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Est-il nécessaire de penser pour avoir des opinions ?

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« Notre sujet nous interroge sur les rapports entre la pensée et nos opinions.

En effet, il semble important d'avoir des opinions, autrement d'être capable de porter un jugement sur toutes choses.

Cependant, que recouvre l'opinion ? Avoir un avis sur tout n'est-ce pas ne réfléchir sur rien.

Ainsi, la question qui nous est posé nous commande de retravailler le concept d'opinion et de s'interroger sur sa portée épistémologique ; en d'autres termes, à quel niveau de connaissance l'opinion nous introduit-elle ? Est-elle consubstantielle à la pensée : sans réflexion, pas d'opinion ? Ou bien diffère-t-elle de la pensée : sans réfléchir, je peux toutefois avoir des opinions ? I – La nature de l'opinion Le libellé de notre sujet prend appui sur le concept de nécessité : est-il nécessaire de penser pour avoir des opinions ? La nécessité se définit comme ce qui est et qui ne peut pas être autrement.

Dire qu'il est nécessaire de penser pour avoir des opinions revient à soutenir que nos opinions sont le fruit de la réflexion, car qu'est-ce que penser si ce n'est réfléchir ? Or, d'une part, nous avons bien l'impression que nos opinions – et nous tenons tous à avoir des opinions – sont réfléchies : elles expriment notre avis, notre point de vue sur les choses et nous les défendons face aux autres.

Mais, d'autre part, nous nous rendons compte que l'opinion a quelque chose de profondément subjectif : c'est pour cela qu'on argumente face à autrui, pour défendre voire imposer nos opinions.

L'opinion est également changeante : on affirme souvent avoir changé d'opinion.

À l'inverse, la science ne change pas : elle évolue certes, puisque (par exemple) de l'idée que la Terre est plate, on est arrivé à l'idée qu'elle est ronde ; mais, il s'agit d'un progrès vers la vérité.

Pour ce qui est de l'opinion, il n'y a jamais de progrès véritable similaire. L'opinion, bien qu'elle soit nôtre et que nous nous attachions à elle, semble variable et changeante suivant les circonstances.

Pire, il nous arrive souvent de défendre des points de vue qui ne sont pas les nôtres.

Nous transmettons alors des opinions qui ont été émises par d'autres.

À ce moment-là, aucune réflexion n'a lieu : en effet, si la pensée est réflexion et la réflexion retour sur soi, nous ne nous trouvons pas dans une situation réflexive.

Nous absorbons les opinions des autres pour les retransmettre par la suite.

L'opinion n'est m ê m e p a s la nôtre à ce moment-là, elle n'est qu'une rumeur, ce que Spinoza appelle la connaissance par ouï-dire : c'est le bouche à oreille. Dès lors, une esquisse de réponse se profile : alors qu'il nous semble que l'opinion soit l'expression de notre pensée, il apparaît souvent qu'elle est simplement reçue et transmise, sans qu'on prenne le temps de l'analyser.

En ce sens, il ne semblerait pas nécessaire de penser pour avoir des opinions ; prolongeons cette analyse en nous intéressant à ce que dit Platon de l'opinion. II – Platon et l'opinion De ce que nous avons dit, il ressort que l'opinion est le plus souvent reçue de l'extérieur, elle est transmise par exemple par la tradition, la coutume ou l'éducation.

En ce sens, elle n'est pas réfléchie.

Mais, pour Platon, même l'opinion que l'on forme soi-même n'est pas réfléchie.

Qu'en est-il ? Selon Platon, l'âme se divise en trois parties : la partie désirante, qui correspond à la région du basventre ; elle se nomme epithumia en grec et comprend tous les désirs et pulsions du sujet.

La seconde partie est dite irascible (thymos) et elle correspond au cœur, c'est-à-dire au courage.

La dernière (le nous), dite rationnelle, guide l'âme en son ensemble ; elle seule est proprement capable de science, c'est-à-dire d'une connaissance vraie.

En effet, l'epithumia correspond à ce qui dans l'âme varie en fonction des circonstances : c'est le désir inconstant qui fait naître en nous l'opinion.

Ainsi, une chose est jugée bonne parce qu'elle nous est avantageuse et non parce qu'elle est bonne en soi.

L'opinion correspond donc à u n certain degré de connaissance, qui est minimal et qui nous rapproche de l'animalité.

L'opinion, c'est la soumission de la pensée au désir.

A contrario, se fier à la partie intellectuelle de l'âme, c'est-à-dire à la raison, permet de dégager le vrai en tant que vrai.

On passe alors de l'opinion à la science, autrement dit d'un pseudo savoir à un savoir véritable. Ce qu'il faut retenir, c'est que l'opinion est formée à partir de nos désirs ou de nos penchants.

L'âme ne retient alors que ce qui l'intéresse sans faire le détour de la réflexion, c'est-à-dire sans penser.

La pensée consiste à l'inverse à organiser notre connaissance autour de principes rationnels et universels. III – Liberté de penser et opinion Ainsi, s'il n'est pas nécessaire de penser pour avoir des opinions, c'est que l'opinion correspond à un degré de la connaissance, à un niveau épistémologique proche de zéro.

C'est la pure soumission au désir et aux circonstances.

De ce point de vue-là, notre sujet n'a donc rien d'un sujet d e politique, mais bien d'épistémologie : quel degré de connaissance l'opinion permet-elle d'atteindre ? Aucun, répondrons-nous, si nous considérons que l'opinion n'est pas nécessairement reliée à l'exercice de pensée, c'est-à-dire à la réflexion. Cependant, il est possible de s'interroger sur le recroisement des deux perspectives, politique et épistémologique.

En effet, l'opinion demeure infailliblement du côté de l'hétéronomie, c'est-à-dire de la dépendance vis-à-vis d'autre chose : le désir, la tradition, la coutume, l'opinion d'autrui, etc.

Or, sur ce point, les libertés telles qu'elles se trouvent défendues dans les démocraties peuvent très bien ne conduire à aucune liberté de pensée véritable.

En effet, on peut concevoir que la liberté d'opinion ne soit que la liberté de transmettre des opinions qui ne sont pas en elles-mêmes interrogées, notamment sur leur validité. De ce point de vue, il faut d'abord libérer l'opinion avant d'en assurer la transmission.

En d'autres termes, l'exercice philosophique de réflexion ne doit pas conduire à imposer telle ou telle opinion, mais à former l'esprit à la réflexion, en sorte qu'il dépasse l'opinion, c'est-à-dire une connaissance par ouï-dire, pour atteindre l'autonomie, le pouvoir d e penser par soi-même.

Le fait qu'il ne soit pas nécessaire de penser pour avoir des opinions implique que l'on éduque la pensée avant d'affirmer la liberté d'opinions. Politique et épistémologie se recoupent ici, au sens où les idées consistantes et innovantes pour la Cité – l'espace politique – ne peuvent pas provenir de l'opinion, c'est-à-dire de poncifs transmis de bouche en bouche, m a i s d e réelles innovations, centrées sur un savoir.

Le fait qu'il ne soit pas nécessaire de penser pour avoir des opinions prend alors l'allure d'un engagement à penser, esquisse la tâche qui nous incombe, non plus d'avoir des opinions, mais de penser véritablement. Conclusion : Ainsi, nous avons vu quelle était la nature de l'opinion : affective, subjective, aléatoire.

Tous ces défauts étant d'ailleurs ce qui nous fait tenir à elle.

Mais, ce n'est pas parce que nous reformulons des idées ou que nous énonçons des points de vue que nous pensons réellement.

Avec Platon, nous avons entrevu la nature désirante de l'opinion et le court-circuit qu'elle impose à la réflexion.

L'opinion est donc bien un degré de connaissance quasi-nul, qui ne peut prétendre à aucune véracité, proprement fruit du travail de la pensée.

Or, parlà, nous avons constaté que l'opinion et sa dénonciation nous enjoignait à éduquer la pensée : en effet, l'espace politique ne saurait se contenter de la libre circulation des opinions, aussi doit-il encourager l'apparition d'une forme authentique de connaissance, pour que la possibilité d'avoir des idées soit vraiment due à une réflexion autonome et non plus à une redite ignorante d'elle-même.. »

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