Aide en Philo

En quoi mes opinions sont-elles miennes ?

Extrait du document

« VOCABULAIRE Opinion Jugement sans fondement rigoureux, fondé sur des croyances ou des impressions subjectives et qui se donne abusivement les apparences d'un savoir. Même quand elle tombe juste, « l'opinion pense mal» (Bachelard), car elle ne peut se fonder rationnellement. La philosophie, comme quête de la vérité, est ainsi en lutte contre les opinions. [Introduction] L'opinion (la doxa) constitue selon Platon et quelques autres philosophes le plus bas degré de la connaissance : elle ne peut atteindre le vrai.

Malgré la permanence d'une critique virulente à leur égard, les opinions subsistent, se reproduisent, et tout individu paraît même particulièrement attaché à celles qu'il considère volontiers comme les « siennes ».

Mais en quoi des opinions peuvent-elles être les « miennes », ou du moins m'apparaître de telle façon que je les revendique comme telles ? [I.

L'opinion anonyme et collective] De l'Antiquité à nos jours, l'opinion paraît haïssable à la philosophie, qui ne conçoit sa propre possibilité qu'à partir du moment où elle la renie.

C'est qu'elle en a une conception en effet peu flatteuse : caractérisant ceux qui n'ont pas accès au savoir, l'opinion émane d'une masse anonyme, sans responsable initial.

Assimilée éventuellement à la rumeur en raison de son absence de rigueur, on ne sait trop d'où elle vient, où elle naît.

Pire : elle manque de constance, elle est fluctuante.

Mais elle est en même temps partagée par de nombreux individus, au point qu'on se trouve (par exemple en politique) amené à devoir en tenir compte, ou la flatter : voici qu'elle mène à la démagogie, aux discours qui cherchent à lui plaire pour se concilier son pouvoir.

Elle est donc à la fois faible et forte, flottante et lourde : contradiction qui signale son inconsistance. Pourtant, chacun ne se prive pas d'avoir quelques opinions, ou, selon un verbe consacré d'y « adhérer » – ce qui semble indiquer qu'elles sont, au moins en partie, lucidement choisies.

Mais on n'adhère qu'à ce qui existait déjà. Avoir « ses » opinions pourrait alors signifier que l'on se contente d'en adopter, qui étaient disponibles, à notre portée.

Il suffisait de s'« y rattacher », comme à un courant dans lequel il est agréable de se laisser porter.

Adhérer à une opinion dont on sait qu'elle est partagée a quelque chose de rassurant : on n'est pas seul à y croire, elle a d'autant plus de chances d'être juste ou de l'emporter qu'elle recueille de nombreux suffrages.

Adopter une opinion commune, c'est récupérer un peu de la puissance du collectif. « Mes » opinions se forment par les rencontres, les conversations entendues, les lectures faites.

Elles représentent de la sorte comme un résumé des milieux que j'ai traversés, de ma biographie : j'y tiens dès lors comme à une partie de moi-même et de mon histoire.

Et d'autant plus qu'après les avoir adoptées, j'ai pu oublier d'où elles proviennent, qui me les a suggérées ou transmises : elles sont devenues « miennes ». [II.

L'appropriation des opinions] C'est ainsi parce que « mes » opinions témoignent de mon passé que je peux les considérer comme constitutives de ce que je suis.

Mais, de plus, si je les ai adoptées, c'est qu'elles correspondaient à une tendance de ma pensée, à ce qui n'y était en quelque sorte qu'en germe, et n'attendait qu'une formulation pour se préciser.

La force des opinions, leur séduction, vient précisément du fait qu'elles comblent, chez celui qui les recueille, une sorte d'attente informulée : elles révèlent ce qu'il ne savait encore énoncer de lui-même, et c'est bien pourquoi elles lui donneront ensuite l'impression de lui appartenir : c'est qu'elles le complètent, et participent ainsi à sa constitution. De plus, les opinions sont multiples, et souvent contradictoires.

Comme elles ont toutes en commun une absence de rigueur ou de fondement, adhérer à une opinion donne le sentiment d'effectuer un choix.

Ce dernier engage celui qui l'effectue.

La rencontre avec l'opinion semble alors résulter d'un double mouvement : l'opinion se proposait à moi, mais c'est parce que je me dirigeais simultanément vers elle, chacun faisant en quelque sorte la moitié du chemin. Elle n'apparaît donc jamais comme simplement subie ou imposée, et sa rencontre est vécue comme un moment « heureux », ou du moins satisfaisant, puisque le sujet en revendique une part de responsabilité. Avoir l'impression de posséder « ses » opinions, c'est ainsi privilégier – pour confirmer sa propre façon d'être – le moment où on les a acquises, en ne se préoccupant pas de leurs origines ou de leur histoire antérieure.

Tout se passe comme si l'opinion se formait au moment même où je décide qu'elle sera désormais mienne – ce qui est bien entendu trompeur.

Même si je sais confusément qu'elle existait avant moi et qu'elle provient de multiples discours entremêlés avant mon adhésion, je finis par me considérer comme son « auteur » au moins partiel.

Rencontrer une personne qui la partage n'est d'ailleurs pas toujours l'occasion de se reconnaître comme participant d'un même « courant d'opinion » : chacun perçoit l'autre comme ayant « la même opinion que lui », et n'envisage pas l'au-delà du duo.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles