« C'est plus fort que moi ! » ?
Extrait du document
«
1.
Il faut d'abord analyser le sens global de cette expression.
« C'est plus fort que moi » : c'est ce qu'on dit non
pas lorsqu'on se heurte à des forces extérieures supérieures à la nôtre, mais à une force interne.
D'où le statut
problématique de l'adjectif démonstratif « ce » (c'est plus fort que moi »).
Comme si nous voulions dire : ce qui me
fait agir est en moi mais n'est pas moi, ou plus exactement : est en moi sans que je m'y reconnaisse, sans même
que je le veuille, alors même que je veux faire ou penser le contraire.
En ce sens, la question pose évidemment le
problème de l'inconscient (que Freud appelle significativement le « ça »).
Ce que signifie l'expression « c'est plus
fort que moi », c'est qu'il existe des pensées ou des actes que le sujet conscient et volontaire que je suis n'assume
pas : je pense, mais ça pense en moi, malgré moi, contre moi.
2.
Élucider le sens de l'expression est nécessaire mais non suffisant.
Car la question posée concerne la valeur de
cette expression.
Savoir ce que l'expression « c'est plus fort que moi » vaut peut signifier deux choses.
• D'abord, quelle est sa valeur de vérité ? Existe-t-il réellement des pulsions, des désirs, des mobiles inconscients
qui me font agir malgré moi ?
• Ensuite, et surtout, sa valeur morale.
Demander quelle est la valeur de cette expression invite explicitement à se
situer du point de vue moral : est-ce une excuse valable à certains de mes actes ? Puis-je me défausser de ma
responsabilité, dire : « ce n'est pas moi, puisque c'est plus fort que moi » ?
[Il y a des réactions impulsives que je ne peux pas maîtriser et des forces en moi capables de submerger
ma volonté.
Dans l'émotion et dans la passion, il est des moments où le sujet est dessaisi de sa maîtrise
de soi.
Il peut alors se produire des phénomènes dont le contrôle échappe à la fois à la volonté et à la
conscience.]
Sous le coup d'une émotion, je ne contrôle pas mes réactions
Tout le monde a fait l'expérience des larmes impossibles à retenir, du fou-rire incontrôlable ou du coup de
sang ou de poing...
Toutes ces émotions ou passions semblent me submerger, être plus fortes que moi.
Nous
connaissons tous aussi l'envie irrésistible de faire quelque chose que notre conscience réprouve et nous y
avons tous succombé un jour, lorsque «la tentation était trop forte».
Dans tous ces cas, «l'homme n'est
même plus maître dans sa propre maison».
Freud va être amené à concevoir que bon nombre de maladies, mais
aussi d'actes quotidiens s'expliquent si l'on admet l'hypothèse de
l'inconscient.
Il y aurait en nous u « réservoir » de forces et de désirs
(ou pulsions) dont nous n'aurions pas conscience, mais qui agiraient sur
nous..
Pour le dire brutalement, en ce sens, l'homme n'agirait pas (ne
choisirait pas ses actes e toute connaissance de cause, dans la
clarté), mais serait agi (c'est-à-dire subirait, malgré lui, des forces le
contraignant à agir) : il ne serait pas « maître dans sa propre maison »,
il ne serait pas maître de lui.
Empruntons à Freud un exemple simple.
Un président de séance, à
l'ouverture dit « Je déclare la séance fermée » au lieu de dire « Je
déclare la séance ouverte ».
Personne ne peut se méprendre sur ses
sentiments ; il préférerait ne pas être là.
Mais ce désir (ne pas assister
au colloque) ne peut s'exprimer directement, car il heurterait la
politesse, les obligations sociales, professionnelles, morales du sujet.
Notre président subit donc deux forces contraires : l'une parfaitement
en accord avec les obligations conscientes, l'autre qui ne l'est pas et
qui ne peut s'exprimer directement, ouvertement.
Il y a donc conflit, au
sein du même homme, entre un désir conscient, conforme aux normes
morales et un autre désir plus « gênant ».
Or, dans notre exemple, ce
second désir, malgré la volonté de politesse du président, parvient à
s'exprimer, mais de façon détournée, anodine : on dira que « sa langue
a fourché ».
Ici, l'exemple est simple dans la mesure où le président a sans doute parfaitement conscience qu'il ne veut
pas être là.
Mais dans bon nombre de cas, quand ma langue fourche, je ne sais pas pourquoi, c'est-à-dire que
j'ignore moi-même ce qui me pousse à dire tel mot plutôt qu'un autre.
Or pour Freud le cas est exactement
identique et s'interprète de même, comme le conflit entre deux désirs dont l'un est gênant et peut être ignoré
par le sujet.
Il n'y a pas d'actes innocents ou anodins.
Tous sont révélateurs d'un affrontement en moi de
deux forces..
»
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