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Benedetto Croce

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Devant l'oeuvre de Benedetto Croce, nous ne pouvons retenir ce mouvement d'admiration qui nous envahit chaque fois qu'il nous arrive de rencontrer un homme de génie qui ait eu le rare privilège d'unir la précocité à la longévité. Ses ouvrages s'échelonnent sur une période d'exactement soixante-dix ans. Ses tout premiers essais, de caractère littéraire, parus dans un journal de Rome, et réédités beaucoup plus tard (en 1910) sous le titre de Il primo passo, datent de 1882 (il avait alors seize ans, étant né en 1886) ; son dernier volume, paru peu avant sa mort (survenue le 20 novembre 1952 à quatre-vingt-six ans révolus), intitulé Indagini su Hegel e schiarimenti filosofici, est de 1952. De plus, il fut, dans son travail, extrêmement constant et infatigable et il ne se laissa pas distraire par des occupations étrangères à l'étude, pas même par l'enseignement universitaire ; quant à la vie politique, il ne lui accorda que ce que ses scrupules de citoyen ne lui permirent pas de refuser (il fut ministre de l'instruction publique dans le cabinet Giolitti de 1920 et ministre sans portefeuille dans le premier gouvernement de coalition antifasciste des premiers mois de 1944), mais avec l'esprit insatisfait de celui qui a dû négliger son travail de prédilection et aspire vivement au moment heureux où il pourra le reprendre. Si l'on tient compte du fait qu'il a joui à la fois d'un pouvoir d'assimilation peu commun lui permettant de se rendre familières les matières les plus diverses et ­ comme il l'a dit lui-même ­ une fois passées ses premières années de noviciat littéraire, d'une remarquable rapidité dans la conception et la rédaction de ses écrits, on s'explique, finalement, l'étendue et la variété extraordinaire (plus de soixante volumes) d'une oeuvre qui semble à première vue dépasser le pouvoir de tension et d'effort d'une seule personne.   

« Benedetto Croce Devant l'oeuvre de Benedetto Croce, nous ne pouvons retenir ce mouvement d'admiration qui nous envahit chaque fois qu'il nous arrive de rencontrer un homme de génie qui ait eu le rare privilège d'unir la précocité à la longévité. Ses ouvrages s'échelonnent sur une période d'exactement soixante-dix ans.

Ses tout premiers essais, de caractère littéraire, parus dans un journal de Rome, et réédités beaucoup plus tard (en 1910) sous le titre de Il primo passo, datent de 1882 (il avait alors seize ans, étant né en 1886) ; son dernier volume, paru peu avant sa mort (survenue le 20 novembre 1952 à quatre-vingt-six ans révolus), intitulé Indagini su Hegel e schiarimenti filosofici, est de 1952. De plus, il fut, dans son travail, extrêmement constant et infatigable et il ne se laissa pas distraire par des occupations étrangères à l'étude, pas même par l'enseignement universitaire ; quant à la vie politique, il ne lui accorda que ce que ses scrupules de citoyen ne lui permirent pas de refuser (il fut ministre de l'instruction publique dans le cabinet Giolitti de 1920 et ministre sans portefeuille dans le premier gouvernement de coalition antifasciste des premiers mois de 1944), mais avec l'esprit insatisfait de celui qui a dû négliger son travail de prédilection et aspire vivement au moment heureux où il pourra le reprendre.

Si l'on tient compte du fait qu'il a joui à la fois d'un pouvoir d'assimilation peu commun lui permettant de se rendre familières les matières les plus diverses et comme il l'a dit lui-même une fois passées ses premières années de noviciat littéraire, d'une remarquable rapidité dans la conception et la rédaction de ses écrits, on s'explique, finalement, l'étendue et la variété extraordinaire (plus de soixante volumes) d'une oeuvre qui semble à première vue dépasser le pouvoir de tension et d'effort d'une seule personne. Cette oeuvre, Dieu merci, n'est pas tout entière de caractère philosophique au sens strict du mot.

A l'instar des plus grands philosophes, ceux qui comptent dans l'histoire de la pensée, Croce ne trouva pas son point de départ dans la philosophie elle-même, mais il y arriva peu à peu en partant d'un ensemble de solides recherches historiques à l'égard desquelles la philosophie peut constituer d'une part un couronnement et, d'autre part, un tremplin pour des investigations ultérieures.

Nul ne fut pour lui une meilleure cible que le philosophe pur, contre lequel il se plaisait à faire pleuvoir les traits les plus acérés, lui faisant grief de s'attaquer à toutes les questions sans en connaître à fond aucune, de musarder ou bien de se tourmenter autour d'insolubles problèmes " il est assis depuis de longues années à sa table, examinant son encrier et se demandant : Cet encrier est-il en moi-même ou bien m'est-il extérieur ? " (Ultimi Saggi), et tout absorbé dans ses cogitations, qu'il croit sublimes alors qu'elles sont stériles, il se conduit dans les affaires de la vie comme un enfant imprudent.

Croce ne laissait pas de répéter aux jeunes de se consacrer à un " métier " et par ce mot il entendait la connaissance sûre et expérimentée d'une discipline que ce fût l'histoire, ou la critique d'art, ou l'économie, ou la jurisprudence.

Il leur conseillait d'attendre que la philosophie naisse de problèmes et d'obstacles réellement rencontrés dans la recherche et non pas vainement imaginés dans l'enceinte fermée de leur chambre. Les deux " métiers " qu'il exerça assidûment et de préférence aux autres pendant toute sa vie furent ceux de critique littéraire et d'historien.

" Durant toute mon enfance, écrit-il dans le Contributo alla critica di me stesso, j'eus toujours comme un coeur dans le coeur ; et ce coeur, cette inclination toujours intimement chérie, était la littérature, ou plutôt l'histoire.

" Il commença tout jeune après qu'il fût demeuré seul, son père, sa mère et l'une de ses soeurs étant morts dans le tremblement de terre de Casamicciola (1883) il se jeta à corps perdu dans des recherches d'érudition historique, auxquelles il consacra plusieurs années d'un labeur éperdu, travaillant à des sujets tels que l'histoire des théâtres de Naples, l'influence de l'Espagne dans la vie italienne pendant la Renaissance, et à l'étude de figures, de légendes et d'événements de l'histoire napolitaine.

Son premier essai philosophique naquit spontanément sous sa plume, dicté uniquement par un besoin de clarté dans son propre travail d'historicien : ce fut le mémoire de 1893, intitulé La storia ridotta sotto il concetto generale dell'arte, qui ne fut qu'une pause dans son activité de chercheur, en même temps qu'un prélude à la théorie de l'historiographie, l'un des deux champs d'investigation sur lesquels devaient porter par la suite la plupart de ses efforts. Cependant, l'événement qui l'enleva à la solitude et à l'aridité d'une carrière d'éplucheur d'archives, en le mettant en contact avec des problèmes concrets de son temps et en exerçant une influence décisive sur la formation de son esprit, fut sa rencontre avec le marxisme par le truchement d'Antonio Labriola.

Lorsque celui-ci, dont Croce avait suivi les cours de philosophie à l'Université de Rome et qu'il avait personnellement connu et admiré, lui envoya en 1895 le premier de ses essais sur la conception matérialiste de l'histoire, il le lut et le relut et ne parvint plus à s'arracher à ces pensées et à ces problèmes qui prenaient racine et germaient en son esprit.

Il passa quelques années, les dernières du siècle, plongé dans l'étude de MarxH033 et de l'économie politique, et fut amené à une révision qui le conduisit finalement à une liquidation du marxisme, réduit à n'être plus qu'un canon de l'interprétation historique : ce qui montre que le problème qui le préoccupait était toujours celui de la méthode dans la conception de l'histoire.

Mais cette rencontre avec le marxisme devait laisser des marques profondes dans son esprit : elle lui donna le sens de l'histoire considérée comme une lutte dominée par les forces économiques, lui inspirant une répulsion farouche pour la doctrine idyllique de l'histoire, dont la rhétorique des idéaux se nourrit, et l'amena à concevoir le moment de l'utilité ou de l'économie comme un moment nécessaire dans le développement de l'esprit humain. Son deuxième " métier " fut la critique littéraire où, dès ses années de lycée, il avait excellé et, par ailleurs, les premiers essais que nous avons cités n'avaient pas trait seulement à l'histoire civile, mais aussi à l'histoire littéraire.

Là aussi la philosophie s'offrit à lui comme une réflexion critique sur ce qu'il était en train de faire, elle lui apparut encore une fois comme une doctrine de la méthode qui surgit pour déblayer le terrain du chercheur des préjugés qui l'embarrassent, ou des erreurs qui le font se fourvoyer.

En 1894, il écrivit le mémoire La critica letteraria, dans lequel, en s'efforçant de classer les recherches diverses réunies sous le nom générique de critique littéraire, il esquissa quelques-unes des thèses de sa théorie de l'art qui, à côté de la théorie de l'historiographie, constituera le principal centre d'intérêt de sa recherche philosophique.

Si bien qu'ayant achevé l'étude du marxisme, s'étant libéré de MarxH033, et étant revenu aux études littéraires avec une plus grande maturité et une meilleure assurance de lui-même, il n'eut d'autre projet que celui de recueillir ses idées concernant l'esthétique, en suivant, dans ce domaine aussi,. »

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