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Baruch SPINOZA

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Ils conçoivent l'homme comme un empire dans un empire. Baruch SPINOZA

« « L'homme n'est pas un empire dans un empire » (III, préface) La proposition qui vise le statut de l'homme a pour toile de fond une critique de la nature c onçue comme un empire que Dieu régirait en maître.

Les deux illusions sont c onjointes : il s'agit de rec tifier et la pensée de Dieu et c elle de la personne humaine.

D ieu n'est pas une personne, et l'homme ne s e gouverne pas non plus selon les décrets d'une volonté libre de toute détermination.

Si l'homme n'es t pas un « empire », c'est qu'il es t une chose singulière finie, capable de produire des effets mais déterminé à s on tour par ce qui l'environne ; il n'est donc pas intelligible par lui-même, détac hé du tout naturel dans lequel il se trouve immergé.

Enfin, c'est la théorie du libre arbitre que Spinoza récuse, aus si bien chez les moralistes que dans s a tournure cartésienne : elle suppose la croyance en une maîtrise possible et souhaitable des p a s s i o n s et au-delà, une discipline du sens ible par la volonté.

L'Éthique I I I cherchera au contraire à montrer la néc essité des affec ts en dévoilant leurs méc anismes. Ils conçoivent l'homme comme un empire dans un empire. En déc larant à propos des moralistes : < En vérité, on dirait qu'ils conçoivent l'homme dans la nature comme un empire dans un empire », Spinoza ( 1 6 3 2 - 1 6 7 7 ) r é c u s e la morale, affirme une conception nouvelle de la liberté.

C ette fameuse formule « l'homme comme un empire dans un empire » se retrouve souvent sous la plume de Spinoza, mais elle est explicitée clairement dans la préface du troisième livre de L'Ethique, son ouvrage principal. Spinoza es t, comme Descartes, l'héritier de la «révolution galiléenne ».

Les découvertes de Galilée entraînent une réforme totale des sc iences et obligent à redéfinir la place de l'homme dans l'univers.

M ais Spinoza, à la différence de son précurs eur D e s cartes , accepte de tirer de la s cience nouvelle des implications morales et politiques.

C elles-ci seront perçues c omme ,tellement inouïes, révolutionnaires , tranquillement opposées à l'abs olutisme politique et au conformisme religieux, qu'elles vaudront à Spinoza avec l e s surnoms de «chien galeux» et «d'impie », une vie précaire et menac ée. Une des principales conséquenc es des découvertes de Galilée, c'est que la nature apparaît c omme désenchantée, uniquement régie par les lois scientifiques, les lois de la mécanique.

Spinoza en tire la conc lus ion suivante : il faut c onsidérer l'homme comme une partie de la nature comme une autre et dont tous les a c t e s s'expliquent par des lois, des c a u s e s .

M a i s il s'inscrit ains i contre la c onception traditionnelle de la liberté humaine, qui veut que l'homme décide souverainement de ses actions, qu'il soit doté de «libre-arbitre ».

C ette conception traditionnelle s ' a d o s s e à la religion.

D e s c a r t e s l'a exprimée le plus clairement en disant que notre volonté était infinie comme celle de Dieu.

Bref, dire que l'homme a été créé à l'image de D ieu, cela signifierait que l'homme est libre, que sa volonté est libre.

O r Spinoza c onteste ce point en disant que cela revient à considérer « l'homme dans la nature comme un empire dans un empire». P our récuser cette conception, Spinoza considère la façon dont la morale parle des pas sions et des hommes passionnés. Les moralistes c onsidèrent les pas sions comme un vic e de la nature humaine : le passionné est condamnable parce qu'il es t responsable de sa passion, il ne suit aucun des c onseils que les moralis tes lui donnent, il fait un mauvais usage de s a volonté, il se rend complice de son vice.

En clair, résume Spinoza : « Ils c herchent la c ause de l'impuissance et de l'inconstanc e humaine [...] dans je ne sais quel vic e de la nature humaine, et pour cette rais on pleurent à son sujet, la raillent, la méprisent, ou le plus souvent la détes tent : qui sait le plus éloquemment ou le plus subtilement c ensurer l'impuissance de l'âme humaine est tenu pour divin.

» La pos ition moraliste amène et à l'auto-glorification — c ensurer le vice, c ' e s t s e f a i r e passer pour divin — et au mépris de l'homme.

L'homme est raillé, méprisé, détesté. M ais, et ici s'amorce la critique spinoziste, l'homme n'est pas c ompris .

Les moralistes n'ont jamais expliqué ni ce qu'était une passion, ni quelles en étaient l e s causes.

La preuve de leur impuissance à connaître, est précisément que personne ne peut suivre leur conseil, qu'ils n'ont jamais aidé personne à surmonter sa faiblesse, et que la s e u l e c h o s e que nous enseigne la morale est le mépris de l'être humain.

Les moralistes s ont ceux qui « aiment mieux détester ou railler les affections el les actions des hommes que de les connaître ». D'où proviennent l'incompréhension et l'impuiss ance des moralistes ? D e ce qu'ils n'ont pas c ompris que l'homme n'était qu'une partie de la nature comme une autre, c'est-à-dire soumis à des lois .

Les p a s s i o n s s o n t d e s phénomènes naturels comme les autres , qui ont d e s c a u s e s naturelles , comme t o u s l e s autres phénomènes naturels. Être pass ionné, ce n'est pas avoir une nature vicieuse ; il n'y a pas de nature vicieuse.

Q u'un homme soit ambitieux, c ruel, jaloux, cela s 'explique de la même façon qu'on explique la chute des corps ou qu'un chien a la rage.

O n ne blâme pas un chien parce qu'il a la rage on ne blâme pas la pierre parce qu'elle tombe quand on la lâche : on tente de comprendre, par les causes, pour prévenir et pour guérir.

Il doit en aller de même pour les passions, ces prétendus vices de la nature humaine L e s pas s i o n s « reconnaissent c ertaines c a u s e s par où elles sont clairement connues, et ont certaines propriétés a u s s i dignes de connaissance que les propriété d'une autre chos e quelconque ». L'erreur des moralistes provient donc de ce qu'ils reconnaissent que toutes les c h o s e s d a n s la nature s ont s o u m i s e s à d e s l o i s sauf l'homme, que tout phénomène a une caus e s auf dans le cas des ac tions humaines.

Ils pensent donc que l'homme est « un empire dans un empire ». C es moralistes ont donc u n e c onception erronée de la liberté.

P arlant des p a s s i o n s , i l s « semblent traiter n o n d e c h o s e s n a t u r e l l e s qui s uivent les lois communes de la nature, mais de choses qui sont hors de la nature [...] Ils croient en effet que l'homme [...] a sur ses actions un pouvoir absolu.

» La religion et la tradition philosophique font de l'homme une exception dans la nature en affirmant que s a volonté est libre, qu'il peut décider en toute autonomie de ses actes.

C ette exception ne se justifie pas : c'est une illusion.

Et c ette illusion nous amène à détes ter l'homme au lieu de le comprendre, voire de l'aider. O n comprend alors le programme de Spinoza : « Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas louer, ne pas blâmer, mais comprendre.

» P our Spinoza, l'homme ne naît pas libre, mais il peut le devenir.

C 'est la compréhension qui libère.

P our donner un exemple anac hronique et caricatural, les moralis tes seraient des hommes s e lamentant parce que les hommes ne s avent pas voler, et qui attribueraient c e t t e i n c a p a c i t é à une nature vicieuse : l'attitude d'un spinoziste consisterait à chercher la loi de la pesanteur et à inventer l'avion. Si Spinoza s'oppose à la morale, il ne faut pas oublier que son ouvrage es sentiel s'intitule L'Éthique.

Il ne s'agit pas de tout justifier, ni de se désintéresser de toutes règles d'action, de toute vie en commun, de tout jugement. M ais la morale à laquelle s 'oppose Spinoza découle, on l'a vu, d'une méconnaiss ance de l'homme et de ses actions d'une part, et d'autre part des jugements de valeur allant parfois jusqu'au mépris de l'homme, du pécheur, du passionné.

La morale ne m'explique ni ce dont je s ouffre, ni les causes de ma «maladie ».

P ar contre, elle me c ondamne, et m'impose des normes .

V oilà où est le Bien, voilà où est le M al.

Impuis sante à expliquer, la morale réussit merveilleus ement bien à culpabiliser l'être humain : elle impose des normes transcendantes : Bien et M al, ne dit pas c omment les suivre, et c ondamne l'homme qui y déroge. L'éthique spinoziste cons iste à substituer la compréhension des phénomènes aux jugements et aux c ondamnations.

Il ne s 'agit plus d'imposer des normes, mais de permettre à l'homme « d'acc roître s a p u i s s a n c e d'agir et de penser » en lui expliquant c e q u i l u i e s t utile ou nuisible.

P our reprendre un mot de Nietzsche, il s'agit « d'être au-delà du bien et du mal et non pas au-delà du bon et du mauvais ». P our Spinoza, considérer « l'homme dans la nature comme un empire dans un empire » est une absurdité.

A u lieu de croire que l'homme est immédiatement libre, il faut comprendre comment le libérer.

C roire que l'homme a immédiatement un pouvoir abs olu sur s es actions, qu'il est une exception dans la nature (où tout es t soumis à des lois ) parc e qu'il aurait une volonté libre, c 'es t se condamner à le méconnaître et à le mépriser.

C omprendre que l'homme est une partie de la nature comme une autre, c'est-à-dire que toutes s e s actions, même celles qu'il croit volontaires, s 'expliquent par des c auses, c ' e s t s e donner les moyens de le conduire vers la liberté, vers la plus grande puissance possible de penser et d'action, vers l'épanouissement. Le programme de Spinoza est étonnamment moderne.

Par son refus de la morale, il s'apparente à N ietzsc he.

Par s on souci de donner à l'homme une maîtris e de lui-même qu'il n'a pas de prime abord, il s'apparente à Freud.

Spinoza nous a appris à dis socier la morale de la rec herche du bien individuel et collec tif.

Il est légitime que sa devise : « Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas louer, ne pas blâmer, mais comprendre » soit devenue si célèbre : elle sonne comme la première étape de notre libération.. »

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