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Baruch SPINOZA

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L'expérience paraît enseigner que, dans l'intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout le pouvoir appartienne à un seul. Nul État en effet n'est demeuré aussi longtemps sans aucun changement que celui des Turcs et en revanche nulles cités n'ont été moins durables que les cités populaires ou démocratiques, et il n'en est pas où se soient élevées plus de séditions. Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n'est rien de si lamentable que la paix. Entre les parents et les enfants, il y a certes plus de querelles et des discussions plus âpres qu'entre maîtres et esclaves, et cependant il n'est pas de l'intérêt de la famille ni de son gouvernement que l'autorité paternelle se change en domination et que les enfants soient tels que des esclaves. C'est donc la servitude, non la paix, qui demande que tout le pouvoir soit aux mains d'un seul : [...] la paix ne consiste pas dans l'absence de guerre, mais dans l'union des âmes, c'est-à-dire dans la concorde. Baruch SPINOZA

« L'expérience paraît enseigner que, dans l'intérêt de la paix et de la concorde, il convient que tout le pouvoir appartienne à un seul.

Nul État en effet n'est demeuré aussi longtemps sans aucun changement que celui des Turcs et en revanche nulles cités n'ont été moins durables que les cités populaires ou démocratiques, et il n'en est pas où se soient élevées plus de séditions.

Mais si la paix doit porter le nom de servitude, de barbarie et de solitude, il n'est rien de si lamentable que la paix.

Entre les parents et les enfants, il y a certes plus de querelles et des discussions plus âpres qu'entre maîtres et esclaves, et cependant il n'est pas de l'intérêt de la famille ni de son gouvernement que l'autorité paternelle se change en domination et que les enfants soient tels que des esclaves.

C'est donc la servitude, non la paix, qui demande que tout le pouvoir soit aux mains d'un seul : [...] la paix ne consiste pas dans l'absence de guerre, mais dans l'union des âmes, c'est-à-dire dans la concorde. Servitude: état de dépendance à l’égard des causes extérieures (action, ou causalité inadéquate).

Les passions produisent la servitude par leur passivité, non par leur essence affective liée au Désir. Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain). L’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles. Âme (anima): chez Descartes, principe substantiel lié au corps et formé de l’entendement et de la volonté; elle est indépendante du corps et immortelle.

Spinoza n’emploie pas ce terme pour désigner l’individu humain singulier : il utilise le terme Mens (esprit). Remarques préliminaires Pour dégager l'intérêt philosophique d'un texte, on peut, à partir de l'étude ordonnée (qui fait l'objet de la première partie du commentaire), s'attacher à en montrer la portée critique, puis, dans une perspective comparative, le confronter avec d'autres points de vue (« éclairage différentiel »). Analyse succincte du texte (résumé de la partie explicative) Évoquant une opinion couramment admise et reposant en apparence sur l'expérience, Spinoza entreprend de la réfuter. La paix, assimilée au maintien de l'ordre, supposerait un pouvoir fort et concentré — voir dictatorial. En fait, la paix ainsi obtenue ou maintenue n'est que servitude.

Elle ne peut être vraiment sûre et durable, au contraire, que si elle repose sur une entente effective entre citoyens (« concorde »). Spinoza explicite ici, pour les critiquer, les présupposés d'une certaine conception du pouvoir et de sa justification. Ce qui est dit de toute communauté politique vaut ainsi pour tout groupe humain, comme le montrent l'analogie entre famille et cité, et les exemples historiques invoqués.

La dernière phrase du texte, en proposant une conception positive de la paix (définie comme « union » effective et pas seulement comme « absence de guerre »), parachève la critique de l'opinion commune évoquée au début. Remarques sur l'intérêt philosophique du texte En réfléchissant sur la finalité effective du pouvoir politique, Spinoza propose une approche critique très efficace d'une part de certaines pratiques politiques répressives et sans légitimité, d'autre part des idéologies de justification dont elles se parent. Le premier point d'impact de cette critique est une certaine interprétation de l'expérience passée, dont Spinoza montre qu'elle est à la fois superficielle et partielle.

Certes, les « cités populaires ou démocratiques » semblent avoir été moins durables que les autres.

Mais peut-on faire d'un argument de fait un argument de droit ? De même, l'État des Turcs semble avoir été très durable, mais à quel prix ? La durée est-elle une valeur, un argument de droit ? Le second point d'impact de la critique spinoziste est l'apologie du maintien de l'ordre.

Celui-ci, appelé abusivement « paix », ne peut pas constituer une fin en soi, pas plus que la perpétuation d'un pouvoir établi n'en constitue une si celui-ci n'est pas légitime.

Les concepts de paix et de servitude doivent être saisis dans leur dimension sociale, et on ne peut confondre la paix fondée sur la terreur et la domination avec la paix résultant d'un accord volontaire, librement consenti, des citoyens (« concorde »). Ainsi, Spinoza introduit dans les catégories politiques des distinctions critiques dont l'effet immédiat est de récuser l'habituelle justification que se donnent les pouvoirs oppressifs et les dictatures.

Le « maintien de l'ordre » est toujours le maintien d'un certain ordre social.

Il ne peut donc être une fin en soi que si l'on considère cet ordre social particulier comme le meilleur possible, ce qui dépend des appréciations que chacun a intérêt à porter.

De fait, toute une idéologie politique joue sur l'ambivalence du mot « ordre » pour assurer le maintien des rapports de forces existants.

Le chantage au chaos, à la peur, relève d'une attitude conservatrice dont les enjeux économiques et sociaux sont régulièrement travestis en motifs plus ou moins hypocrites («désir de paix », de « sécurité », de « stabilité », etc.). On remarque, dans le prolongement de ce qui précède, que la « stabilité » d'un pouvoir n'est pas, selon Spinoza, le critère suffisant et décisif pour le présenter comme un modèle.

La précarité des cités populaires et démocratiques passées n'est pas non plus le signe de leur absence de valeur, sauf si l'on confond le droit et le fait, la légitimité et la force.

Spinoza, partisan du réalisme en politique, ne confondait pas celui-ci avec une justification de ce qui est, comme c'est souvent le cas chez certains idéologues de service.

Le pouvoir n'est qu'un instrument, dont on appréciera l'utilisation en distinguant deux critères : • celui des fins poursuivies (par exemple, objectifs sociaux de la politique) ;. »

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