Baruch SPINOZA
Extrait du document
«
Plus on prendra de soin pour ravir aux hommes la liberté de la parole, plus
obstinément ils résisteront, non pas les avides, les flatteurs et les autres
hommes sans force morale, pour qui le salut suprême consiste à
contempler des écus dans une cassette et à avoir le ventre trop rempli,
mais ceux à qui une bonne éducation, la pureté des moeurs et la vertu
donnent un peu de liberté.
Les hommes sont ainsi faits qu'ils ne
supportent rien plus malaisément que de voir les opinions qu'ils croient
vraies tenues pour criminelles (...) ; par où il arrive qu'ils en viennent à
détester les lois, à tout oser contre les magistrats, à juger non pas
honteux, mais très beau, d'émouvoir des séditions pour une telle cause et
de tenter n'importe quelle entreprise violente.
Puis donc que telle est la
nature humaine, il est évident que les lois concernant les opinions
menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant,
qu'elles sont faites moins pour contenir les méchants que pour irriter les
plus honnêtes, et qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence
sans grand danger pour l’État.
Questions
1.
Dégagez l'idée centrale du texte en mettant en évidence les principales
étapes de l'argumentation.
2.
Expliquez les expressions suivantes :
a) « ceux à qui une bonne éducation, la pureté des moeurs et la vertu donnent un peu de liberté »
b) « les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant ».
3.
Pourquoi « les lois concernant les opinions » ne peuvent-elles être maintenues « sans grand danger pour l'État » ?
4.
La liberté d'expression vous semble-t-elle pouvoir menacer l'ordre public ?
VOCABULAIRE SPINOZISTE
Vertu: non pas la pureté, ni l’austérité, mais l’action libre, fondée sur le Désir et sur la réflexion.
Cette action, qui
est une sagesse, consiste à être dans la joie et à se lier d’amitié avec d’autres hommes libres.
Morale: principes de la conduite recherchant la «perfection» et la «vertu», mais commandés traditionnellement par
la crainte (de la mort et des sanctions) et entraînant l’éloge de l’austérité et de l’humiliation.
Cette perfection et cette
vertu devront donc être définies autrement pour être véritables.
Ce sera la tâche de l’éthique.
Liberté: elle n’est pas un acte de la volonté qui n’est qu’une faculté (entité abstraite, en fait inexistante).
La liberté
concrète est l’autonomie d’un individu, atteinte lorsque ses actions ne résultent que de causes internes (celles qui
résultent de l’essence même de cet individu, c’est-à-dire de son Désir).
Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain).
L’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles.
Cause: tout événement produit un effet et est donc une cause, en même temps qu'il a une cause.
Mais les séries
causales n’agissent que dans le cadre de l'Attribut auquel elles appartiennent : les idées produisent des idées et
agissent sur des idées (Attribut Pensée), les corps et leurs modifications produisent des modifications et agissent sur
les corps (Attribut Étendue).
Réponses rédigées
1.
On pourrait formuler la thèse centrale de Spinoza, dans ce texte, en une phrase.
C'est la mise en cause de la liberté
d'expression, et non son respect, qui nuit le plus à l'État.
Comment une telle idée est-elle développée ? Il s'agit en fait
d'exposer et de fonder ce qui peut passer pour un paradoxe : la liberté d'expression n'est pas un facteur de trouble ou
de division, mais au contraire un facteur de cohésion et de calme.
Dans une première étape (jusqu'à « un peu de liberté »), Spinoza pose la nécessité de la liberté d'expression à l'aide
d'une sorte de raisonnement par l'absurde : toute restriction à celle-ci dresserait contre l'État les hommes d'esprit
libre.
Dans une deuxième étape, Spinoza rend compte de l'affirmation précédente en se référant à la nature humaine et plus
précisément à la caractéristique qui sous-tend sa propension à la révolte : le refus d'accepter toute disqualification
des « opinions qu'elle croit vraies ».
Dans une dernière étape, Spinoza souligne l'écart qui se produit entre la finalité
invoquée des lois restreignant la liberté d'expression et leur effet réel : au lieu de nuire effectivement aux criminels,
c'est aux hommes libres et honnêtes qu'elles portent préjudice, les incitant par là même à se révolter.
2.
a) « ceux à qui une bonne éducation, la pureté des moeurs et la vertu donnent un peu de liberté.
»
La liberté dont il s'agit, dans le contexte étudié, concerne la capacité de juger et d'exprimer son jugement sans
entrave ni pression extérieure.
Une telle liberté requiert sans doute un certain rapport à l'existence matérielle : l'homme
libre ne doit dépendre que de son propre travail pour s'assurer le nécessaire, ce qui n'est pas incompatible avec son.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Le désir est l'essence même de l'homme - Baruch Spinoza (1632-1677)
- Baruch SPINOZA
- Baruch SPINOZA
- Baruch SPINOZA
- Baruch SPINOZA