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Baruch SPINOZA

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Une opinion vulgairement répandue nomme esclave celui qui agit sur l'ordre d'un autre, et homme libre celui qui se conduit comme il le veut. Cette manière de voir n'est pas tout à fait conforme à la vérité. En fait, l'individu entraîné par une concupiscence personnelle au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu'exige son intérêt authentique est soumis au pire des esclavages. Au contraire, on devra proclamer libre l'individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur la raison. Quant à la conduite déclenchée par un commandement, c'est-à-dire l'obéissance, bien qu'elle supprime en un sens la liberté, elle n'entraîne cependant pas immédiatement pour un agent la qualité d'esclave. Il faut considérer avant tout, à cet égard, la signification particulière de l'action. À supposer que la fin de l'action serve l'intérêt non de l'agent, mais de celui qui commande l'action, celui qui l'accomplit n'est en effet qu'un esclave, hors d'état de réaliser son intérêt propre. Toutefois dans toute libre République et dans tout État où n'est point pris pour loi suprême le salut de la personne qui donne les ordres, mais celui du peuple entier, l'individu docile à la souveraine Puissance ne doit pas être qualifié d'esclave hors d'état de réaliser son intérêt propre. Il est bien un sujet. Ainsi la communauté politique la plus libre est celle dont les lois s'appuient sur la saine raison. Car, dans une organisation fondée de cette manière, chacun, s'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire s'appliquer de tout son coeur à vivre raisonnablement. De même, les enfants, bien qu'obligés d'obéir à tous les ordres des parents, ne sont cependant pas des esclaves; car les ordres des parents sont inspirés avant tout par l'intérêt des enfants. Il existe donc, selon nous, une grande différence entre un esclave, un fils, un sujet, et nous formulerons les définitions suivantes : l'esclave est obligé de se soumettre à des ordres fondés sur le seul intérêt de son maître; le fils accomplit sur l'ordre de ses parents des actions qui sont dans son intérêt propre ; le sujet enfin accomplit sur l'ordre de la souveraine Puissance des actions visant à l'intérêt général et qui sont par conséquent aussi dans son intérêt particulier. Baruch SPINOZA

« Une opinion vulgairement répandue nomme esclave celui qui agit sur l'ordre d'un autre, et homme libre celui qui se conduit comme il le veut.

Cette manière de voir n'est pas tout à fait conforme à la vérité.

En fait, l'individu entraîné par une concupiscence personnelle au point de ne plus rien voir ni faire de ce qu'exige son intérêt authentique est soumis au pire des esclavages.

Au contraire, on devra proclamer libre l'individu qui choisit volontairement de guider sa vie sur la raison.

Quant à la conduite déclenchée par un commandement, c'est-à-dire l'obéissance, bien qu'elle supprime en un sens la liberté, elle n'entraîne cependant pas immédiatement pour un agent la qualité d'esclave.

Il faut considérer avant tout, à cet égard, la signification particulière de l'action.

À supposer que la fin de l'action serve l'intérêt non de l'agent, mais de celui qui commande l'action, celui qui l'accomplit n'est en effet qu'un esclave, hors d'état de réaliser son intérêt propre.

Toutefois dans toute libre République et dans tout État où n'est point pris pour loi suprême le salut de la personne qui donne les ordres, mais celui du peuple entier, l'individu docile à la souveraine Puissance ne doit pas être qualifié d'esclave hors d'état de réaliser son intérêt propre.

Il est bien un sujet.

Ainsi la communauté politique la plus libre est celle dont les lois s'appuient sur la saine raison.

Car, dans une organisation fondée de cette manière, chacun, s'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire s'appliquer de tout son coeur à vivre raisonnablement.

De même, les enfants, bien qu'obligés d'obéir à tous les ordres des parents, ne sont cependant pas des esclaves; car les ordres des parents sont inspirés avant tout par l'intérêt des enfants.

Il existe donc, selon nous, une grande différence entre un esclave, un fils, un sujet, et nous formulerons les définitions suivantes : l'esclave est obligé de se soumettre à des ordres fondés sur le seul intérêt de son maître; le fils accomplit sur l'ordre de ses parents des actions qui sont dans son intérêt propre ; le sujet enfin accomplit sur l'ordre de la souveraine Puissance des actions visant à l'intérêt général et qui sont par conséquent aussi dans son intérêt particulier. VOCABULAIRE SPINOZISTE Vérité: ce n’est pas seulement l’accord de l’idée et de son objet extérieur: c’est aussi et surtout l’accord de cette idée avec elle-même, et l’évidence intérieure et immédiate d’une idée adéquate (index sui).

Les concepts «Dieu» et « vérité» sont identiques. Liberté: elle n’est pas un acte de la volonté qui n’est qu’une faculté (entité abstraite, en fait inexistante).

La liberté concrète est l’autonomie d’un individu, atteinte lorsque ses actions ne résultent que de causes internes (celles qui résultent de l’essence même de cet individu, c’est-à-dire de son Désir). Âme (anima): chez Descartes, principe substantiel lié au corps et formé de l’entendement et de la volonté; elle est indépendante du corps et immortelle.

Spinoza n’emploie pas ce terme pour désigner l’individu humain singulier : il utilise le terme Mens (esprit). Action adéquate: action découlant de l’essence de l’individu, c’est-à-dire de son Désir et de sa causalité interne.

Elle exprime l’autonomie et par conséquent la liberté véritable de cet individu. Homme: réalité singulière, contingente, constituée par un corps et par l’idée de ce corps (esprit humain). L’existence d’un homme n’est pas logiquement nécessaire mais elle résulte du système des causes naturelles. En dissociant liberté et volonté d'une part, obéissance et esclavage d'autre part, Spinoza entend montrer ici que la véritable liberté est d'agir dans son intérêt propre, soit en vivant sous la conduite de la raison, soit en obéissant à une loi raisonnable. POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE Comment peut-on être libre tout en obéissant ? À cette question, Rousseau, on l'a vu, répond que « l'obéissance à loi qu'on s'est prescrite est liberté ». La réponse de Spinoza est ici légèrement différente.

Certes celui qui vit « volontairement sous la conduite de la raison » est libre au plus au haut point.

Mais celui qui obéit peut être dit libre, si l'ordre auquel il obéit est donné dans son intérêt.

C'est donc la notion d'intérêt propre qui constitue ici le facteur décisif. C'est que la liberté est moins dans l'exercice d'un vouloir que dans l'exercice d'un pouvoir.

Est libre celui qui développe sa puissance d'exister et d'agir.

Or il n'est pas toujours nécessaire, pour cela, de faire appel à la raison.

Le texte précédent l'a rappelé : le désir de se conserver, pour un individu donné, s'exprime « dans la mesure de l'effort qui lui est propre ».

Il est par conséquent inutile de demander à quelqu'un de comprendre pourquoi il doit agir comme on le lui demande, s'il n'est pas en mesure de le faire.

C'est, par exemple, le cas de l'enfant, mais aussi des sujets, c'est-à-dire des hommes soumis à la souveraine Puissance d'une République.. »

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