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Alain et l'inconscient

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L'inconscient est une méprise sur le moi, c'est une idolâtrie du corps. On a peur de l'inconscient... Alain

« « L'inconscient est une méprise sur le moi, c'est une idolâtrie du corps.

On a peur de son inconscient.

» ALAIN. Alain, professeur de philosophie, journaliste, écrivain se consacre à la diffusion d'une pensée rationaliste qui réfute les courants à la mode au profit de la « grande philosophie » traditionnelle, représentée, selon lui, par Platon, Descartes, Hegel, Comte.

Il considère la philosophie comme un instrument de libération où l'esprit maîtrise l'imagination et les désordres de la passion.

Cette victoire de la raison, qui est toujours à recommencer, passe par la soumission du corps et le rejet des inerties « qui, si on n'y prend garde, prennent le masque de la pensée.

» Aussi Alain refuse-t-il, chaque fois qu'il a à s'exprimer sur ce point, la croyance à l'inconscient.

Dans « Éléments de philosophie », il écrit : « L'inconscient est une méprise sur le moi, c'est une idolâtrie du corps.

On a peur de l'inconscient ; là se trouve logée la faute capitale.

Un autre moi me conduit qui me connaît et que je connais mal.

L'hérédité est un fantôme du même genre.

» (Livre II, chapitre XVI). Ici la formule est empreinte d'une certaine réserve, mais souvent la dénonciation est beaucoup plus violente.

Ainsi, dans son « Histoire de mes pensées », il écrit : « J'allais ainsi contre le plus fort préjugé des temps modernes ; et de toute façon je devais être jugé sévèrement par tous les docteurs, du moment que je n'adorais pas à quatre pattes l'inconscient, le subconscient, le seuil de conscience, et d'autres articles de la philosophie simiesque.

» En tout cas, elle est de principe : « Dans les disputes sur l'inconscient, où, contre toutes les autorités établies et reconnues, je ne cède js un pouce de terrain » (« Sentiments, Passions et Signes »). Ce n'est certes pas, on s'en doute qu‘Alain ignore tout de Freud (pour l'inconscient psychique), ou de Darwin (Pour les lois de l'hérédité).

« Qu'un mécanisme semblable à l'instinct des bêtes nous fasse souvent parler et agir, et par suite penser, cela est connu et hors de discussion » (« Sentiments, Passions et Signes »).

On ne peut pas dire non plus qu'Alain n'ait pas un moment essayé de comprendre cette doctrine : « Ne cherchez jamais à quoi pense un foi, mais plutôt observez comment un dérangement mécanique produit des signes qui n'ont pas de sens […].

Je pensais à ces choses comme je lisais la « Psychanalyse de Freud ; ce n'est qu'un art de deviner ce qui n'est point » (« Propos », « Signes ambigus », 17 juillet 1922). Ou encore dans un « Propos » antérieur : « Cette idée de l'inconscient, tant vantée et si bien vendue, je n'en fais rien ; […] quand j'ai voulu en user, afin de me mettre à la mode, elle n'a rien saisi de l'homme, ni rien éclairé » (« Fantômes », 23 septembre 1921). Il s'agit, pour Alain, de quelque chose de plus qu'une simple question de mots.

Il estime qu'on ne peut aucunement, à partir des doctrines sur l'inconscient ou l'hérédité, fonder une quelconque morale : « Le public comme les auteurs n'ont point coutume de dire conscience morale ; ils disent conscience, et tout est dit », ou encore, « J'étais aidé par la langue commune, qui n'admet point d'autre sens du mot conscience que celui qui implique le jugement moral.

» (Alain, « Histoire de mes pensées « ).

Au contraire, lorsque Freud parle d'inconscient, il le fait en référence à la conscience psychologique, et pas du tout par rapport à la conscience morale. Certes la conscience est toujours double, car la conscience oppose toujours ce qui devrait être à ce qui est.

« La conscience suppose une séparation de moi d'avec moi, en même temps qu'une reprise de ce qu'on juge insuffisant, qu'il faut pourtant sauver.

» Il s'agit là, comme le dit Alain, d'une « conception héroïque de la morale », qui explique parfaitement que l'inconscient ne soit alors conçu que comme « une conscience subalterne, errante et séparé », à proprement parler comme quelque chose d'inintéressant, sinon d'impossible. Ce qui est en jeu, pour Alain, c'est un conflit sans cesse recommencé entre les passions (l'inconscient) et la raison (le conscient), ou, plus simplement encore, entre le corps et l'esprit.

Les partisans de l'inconscient estiment sans doute que les signes qui viennent du corps sont des pensées qui méritent d'être interprétées ; pour les tenants du rationalisme, il n'y a de pensées véritables qu'en liaison avec une extrême attention.

Une « pensée qui n'est point formée en pleine attention » n'est pas une pensée du tout. La fabrique de notre corps peut produire des suites de paroles et de gestes par le simple jeu de l'excitation et de la fatigue.

Et parce que je suis homme (et d'emblée crédule), je suis porté à croire que « tous mes mouvements sont des signes, et tous mes cris sont des sortes de mots ».

Je suis porté à croire « que tout cela a un sens, et traduit à moi-même mes propres pensées, pour moi secrètes, de moi séparées, et qui vivent, s'élaborent, se conservent dans mes profondeurs ».

Et avec le grand talent d'écrivain qui est le sien, Alain dénonce cette illusion : « C'est une erreur sur les pensées mêmes, que l'on croit conserver en soi comme des pensées dans les profondeurs, qu'on reverra, qui auront grossi ; ou comme des algues recouvertes d'une eau opaque, qui grandissent et se nourrissent, et que quelque coup de mer jettera sur la plage.

» Cette croyance en la possibilité de lire les signes renvoie à cette toute-puissance des passions qui nous rend si faibles et si crédules.

« Vieille question ; faut-il interroger le chêne de Dodone, ou les entrailles des animaux expirants ? Ou bien encore, faut-il consulter la Pythie, folle par état et par système, et essayer de lire tous les signes qu'elle nous jette ? » De même faut-il croire que ce qui vient dans mes rêves, « ce qui sort de mes entrailles, sans que je l'aie composé ni délibéré, est une sorte d'oracle, cad une pensée venant des profondeurs » ? Alain répond résolument non.

Non, il faut refuser de croire que les mouvements de notre corps signifient des pensées.

Non il faut refuser d'interpréter ses propres rêves.

« Il faut plutôt rejeter au mécanisme de la nature ces prétendues pensées, qui ne sont que des rencontres de signes » (« Sentiments, Passions & Signes »). Comme on le voit, la critique de l'inconscient qu'on trouve chez Alain ne porte pas sur tel ou tel point de la doctrine de Freud.

Elle est absolument radicale parce qu'elle écarte, comme on l'a vu, le psychologisme.

Au profit de la morale.

Mais elle est radicale aussi parce qu'elle repose sur une certaine conception de l'homme.

Pour les tenants de l'inconscient, il y a croyance en une intériorité, avec ses degrés de conscience, de préconscient, d'inconscient.

Au contraire pour Alain, il n'y a point un « intérieur » de l'homme : « L'intérieur de l'homme, et ce genre de pensée qui prétend se passer du monde, voilà une fiction de littérateur ».

L'homme qui pense (et c'est là l'honneur de l'homme), c'est un homme non pas replié sur lui-même dans une éternelle introspection, mais projeté dans le monde : « L'homme pensant, selon moi, c'est l'homme en mouvement.

» Ce qui est « en lui », dit Alain, ce n'est pas la pensée, mais ce qui est structure et mouvement.

« Bref le dedans de l'homme n'explique jamais rien de ce qu'il dit ou de ce qu'il fait.

» Ainsi la pensée de l'homme est dans son action qui lui fait parcourir le monde.

« Point n'est besoin de supposer quelque idée sourde qui revient du fond de la nuit ; le monde est assez grand ; et l'homme pensant le parcourt, faisant de chaque chose dieu et destin.

» (« Propos », « Fantômes », 23 septembre 1921).. »

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