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« Hendrickje se baignant de Rembrandt Hendrickje, les pieds dans l'eau, soulève des deux mains sa chemise au-dessus de ses cuisses.

La jeune femme est de face, le visage, qui esquisse un sourire amusé, est légèrement penché vers l'eau.

Mais la draperie rouge et or que l'on aperçoit derrière elle laisse penser qu'il ne s'agit pas d'une banale toilette.

Hendrickje interprète-t-elle le rôle de Suzanne qui, dans l'Ancien Testament, fut épiée par deux vieillards pendant qu'elle se baignait ? Ou celui de Bethsabée , thème cher à Rembrandt : le roi David, l'apercevant faire sa toilette, en tomba amoureux. Le tableau semble avoir été peint sur le vif.

La scène, d'un grand naturel, possède une liberté d'expression qui annonce Courbet et Manet . La vie de Rembrandt est tendue par deux ambitions.

Jusqu'en 1642, Rembrandt n'a d'autre volonté que d'être le premier des peintres d'Amsterdam.

Jusqu'en 1669, année de sa mort le 4 octobre, Rembrandt veut être le premier des peintres de son temps.

Jusqu'en 1642, c'est à la fortune et à la renommée qu'il voue son oeuvre.

A partir de 1642, il ne rend plus de comptes qu'à la peinture.

Jeune peintre associé à Jan Lievens à Leyde, il ne songe à vingt ans qu'à prouver qu'il est peintre d'histoire et qu'il est capable de peindre des portraits qui répondent à l'attente de modèles sûrs de leur foi comme de leur fortune.

C'est que la peinture d'histoire est le premier des genres dans la hiérarchie que les guildes et les académies ont instaurées en Europe depuis presque deux siècles.

C'est que le portrait est le plus sûr moyen d'attirer à soi une clientèle bourgeoise qui veut tenir tête à la noblesse de l'Europe.

Dès 1631, Rembrandt est à Amsterdam.

Il a vingt-cinq ans.

La Leçon d'anatomie du professeur Tulp, qu'il peint un an plus tard somme que l'on reconnaisse immédiatement la puissance et la pertinence de sa peinture.

Cette toile est l'une des premières qu'il signe de son seul prénom, Rembrandt.

Signer ainsi c'est vouloir être confondu dans la gloire avec ceux que l'on nomme de la même manière par leurs seuls prénoms ou surnoms, comme Masaccio, Leonardo, Michelangelo, Rafaelo...

Rembrandt sait encore que seule la gravure, parce qu'elle circule à plusieurs exemplaires, est en mesure de faire connaître son oeuvre aux amateurs de toute l'Europe.

Aussi Rembrandt grave.

Pendant des années, posent devant Rembrandt des théologiens et des armateurs, des marchands et des banquiers, des couples aux pourpoints et aux robes parés de dentelles, des fonctionnaires de la Compagnie des Indes orientales.

Et dans son atelier, Rembrandt, peintre d'histoire, peint la Sainte Famille comme L'Enlèvement de Ganimède ou Le Sacrifice d'Abraham.

Et il peint encore des personnages qui ne sont ni des portraits ni des prophètes des Saintes Écritures mais des philosophes, mais des hommes coiffés de turbans, chargés de chaînes, personnages d'un Orient inventé... En 1642 il présente à ceux qui ont été ses modèles le tableau le plus vaste qu'il ait jamais peint qu'est La Compagnie du capitaine Frans Banningh Cocq (La Ronde de nuit).

Nul ne doute que la peinture qu'il vient d'achever soit un chef-d'oeuvre.

Mais les miliciens qui entourent Cocq et qui ont payé pour que la toile rende comme il convient hommage à leur civisme, ne peuvent admettre que les mouvements et les ombres cachent presque leurs visages.

Par cette toile Rembrandt congédie ses modèles, refuse que la peinture continue de ne servir que leur vanité.

En cette même année 1642, meurt sa femme Saskia. Quatorze ans plus tard, en 1656, la Haute Cour d'Amsterdam nomme un liquidateur judiciaire qui est chargé de vendre tous les biens du peintre.

Quatre ans plus tard, Rembrandt doit quitter la somptueuse demeure qu'il a pendant des années encombré de chefs-d'oeuvre et doit s'installer dans le quartier populaire du Jordaan, sur le Rozengracht.

Rembrandt, ruiné, ne cesse pas de peindre et de graver.

On sait dans toute l'Europe quelle exception il est.

Depuis Messine, l'amateur qu'est Don Antonio Ruffo lui commande un portrait d'Homère, un autre d'Alexandre.

Le grand duc de Toscane, de passage à Amsterdam, lui rend visite.

Mais les bourgeois d'Amsterdam, qui lui ont commandé pour leur nouvel Hôtel de ville une toile représentant La Conjuration de Claudius Civilis, qui se dresse contre le pouvoir de Rome, n'admettent pas qu'il représente cette figure mythique borgne.

La toile est rendue au peintre...

Que lui importe...

Il peint encore Les Syndics des drapiers, La Fiancée juive, Le Retour de l'enfant prodigue.

Et, quelques années avant de mourir, il peint un portrait de lui-même où il ricane.

Il rit comme a ri le peintre Zeuxis, mort de rire.

Zeuxis dont il ne reste pas un trait, pas une ligne, n'a pas cessé, mort au quatrième siècle av.

J.-C., de hanter la conscience des peintres pour lesquels il est un modèle.

Rembrandt, qui se peint en Zeuxis, signifie que, quand bien même son oeuvre disparaîtrait, la lumière incomparable qu'il a conçue demeurera une référence dans les siècles des siècles.. »

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