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La Lutte de Jacob et de l'ange de Rembrandt
Rembrandt a peint ici un combat sublimé, un duel sans agressivité.
Les deux adversaires ne paraissent pas se
battre, mais plutôt danser ou s'embrasser.
Le visage de l'ange, les yeux baissés vers Jacob, est empreint de
compassion.
Jacob, représenté à contre-jour, manque définitivement de combativité.
Le texte sacré (Genèse 32, 28-32) décrit la scène : "Et Jacob resta seul ; et un homme lutta avec lui jusqu'au lever
de l'aurore.
Voyant qu'il ne pouvait le vaincre, il le toucha à l'articulation de la hanche, et l'articulation de la hanche
de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui."
Cette scène où Jacob affronte l'ange près de gué de Jabbok est une scène de la Genèse qui a très souvent été
traitée dans l'histoire de la peinture.
Gauguin s'en inspirera en 1889 dans sa Vision après le sermon .
La vie de Rembrandt est tendue par deux ambitions.
Jusqu'en 1642, Rembrandt n'a d'autre volonté que
d'être le premier des peintres d'Amsterdam.
Jusqu'en 1669, année de sa mort le 4 octobre, Rembrandt
veut être le premier des peintres de son temps.
Jusqu'en 1642, c'est à la fortune et à la renommée qu'il
voue son oeuvre.
A partir de 1642, il ne rend plus de comptes qu'à la peinture.
Jeune peintre associé à Jan
Lievens à Leyde, il ne songe à vingt ans qu'à prouver qu'il est peintre d'histoire et qu'il est capable de
peindre des portraits qui répondent à l'attente de modèles sûrs de leur foi comme de leur fortune.
C'est
que la peinture d'histoire est le premier des genres dans la hiérarchie que les guildes et les académies ont
instaurées en Europe depuis presque deux siècles.
C'est que le portrait est le plus sûr moyen d'attirer à soi
une clientèle bourgeoise qui veut tenir tête à la noblesse de l'Europe.
Dès 1631, Rembrandt est à
Amsterdam.
Il a vingt-cinq ans.
La Leçon d'anatomie du professeur Tulp, qu'il peint un an plus tard somme
que l'on reconnaisse immédiatement la puissance et la pertinence de sa peinture.
Cette toile est l'une des
premières qu'il signe de son seul prénom, Rembrandt.
Signer ainsi c'est vouloir être confondu dans la
gloire avec ceux que l'on nomme de la même manière par leurs seuls prénoms ou surnoms, comme
Masaccio, Leonardo, Michelangelo, Rafaelo...
Rembrandt sait encore que seule la gravure, parce qu'elle
circule à plusieurs exemplaires, est en mesure de faire connaître son oeuvre aux amateurs de toute
l'Europe.
Aussi Rembrandt grave.
Pendant des années, posent devant Rembrandt des théologiens et des
armateurs, des marchands et des banquiers, des couples aux pourpoints et aux robes parés de dentelles,
des fonctionnaires de la Compagnie des Indes orientales.
Et dans son atelier, Rembrandt, peintre
d'histoire, peint la Sainte Famille comme L'Enlèvement de Ganimède ou Le Sacrifice d'Abraham.
Et il peint
encore des personnages qui ne sont ni des portraits ni des prophètes des Saintes Écritures mais des
philosophes, mais des hommes coiffés de turbans, chargés de chaînes, personnages d'un Orient inventé...
En 1642 il présente à ceux qui ont été ses modèles le tableau le plus vaste qu'il ait jamais peint qu'est La
Compagnie du capitaine Frans Banningh Cocq (La Ronde de nuit).
Nul ne doute que la peinture qu'il vient
d'achever soit un chef-d'oeuvre.
Mais les miliciens qui entourent Cocq et qui ont payé pour que la toile
rende comme il convient hommage à leur civisme, ne peuvent admettre que les mouvements et les
ombres cachent presque leurs visages.
Par cette toile Rembrandt congédie ses modèles, refuse que la
peinture continue de ne servir que leur vanité.
En cette même année 1642, meurt sa femme Saskia.
Quatorze ans plus tard, en 1656, la Haute Cour d'Amsterdam nomme un liquidateur judiciaire qui est
chargé de vendre tous les biens du peintre.
Quatre ans plus tard, Rembrandt doit quitter la somptueuse
demeure qu'il a pendant des années encombré de chefs-d'oeuvre et doit s'installer dans le quartier
populaire du Jordaan, sur le Rozengracht.
Rembrandt, ruiné, ne cesse pas de peindre et de graver.
On sait
dans toute l'Europe quelle exception il est.
Depuis Messine, l'amateur qu'est Don Antonio Ruffo lui
commande un portrait d'Homère, un autre d'Alexandre.
Le grand duc de Toscane, de passage à
Amsterdam, lui rend visite.
Mais les bourgeois d'Amsterdam, qui lui ont commandé pour leur nouvel Hôtel
de ville une toile représentant La Conjuration de Claudius Civilis, qui se dresse contre le pouvoir de Rome,
n'admettent pas qu'il représente cette figure mythique borgne.
La toile est rendue au peintre...
Que lui
importe...
Il peint encore Les Syndics des drapiers, La Fiancée juive, Le Retour de l'enfant prodigue.
Et,
quelques années avant de mourir, il peint un portrait de lui-même où il ricane.
Il rit comme a ri le peintre
Zeuxis, mort de rire.
Zeuxis dont il ne reste pas un trait, pas une ligne, n'a pas cessé, mort au quatrième
siècle av.
J.-C., de hanter la conscience des peintres pour lesquels il est un modèle.
Rembrandt, qui se
peint en Zeuxis, signifie que, quand bien même son oeuvre disparaîtrait, la lumière incomparable qu'il a.
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