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La Conjuration de Claudius Civilis de Rembrandt
Les tableaux représentant de célèbres événements historiques abondent dans la peinture hollandaise, et tout
particulièrement les récits traitant du soulèvement des Pays-Bas contre l'Espagne et de la victoire finale.
Bien souvent, comme dans cette toile-ci, les épisodes de l'histoire hollandaise sont représentés de manière allusive,
par rapprochement avec des événements antérieurs, parfois même tirés de la Bible.
Ici, la révolte hollandaise contre
les Espagnols est comparée à l'insurrection des Bataves (les anciens habitants des Pays-Bas) contre le gouverneur
romain du pays, en 69 après J.-C.
Le sujet est emprunté à Tacite : les Bataves, unis autour de leur chef, le borgne
Claudius (ou Julius) Civilis, prêtent serment sur l'épée, jurant de combattre l'envahisseur romain jusqu'à la mort.
Le tableau a été commandé à Rembrandt par la municipalité d'Amsterdam pour décorer son nouvel hôtel de ville.
Il
fut effectivement mis en place en juillet 1662, mais vite retiré.
Pourquoi ? Qu'est-ce qui dans cette toile magnifique
a déplu aux échevins d'Amsterdam ? Sans doute ne répond-elle pas aux normes habituelles à l'époque des peintures
héroïques : il n'y a ici ni grande mise en scène ni geste héroïque, seule compte l'intensité dramatique.
C'est l'instant
pathétique du serment, l'échange secret liant ces hommes que Rembrandt a voulu traduire.
Comme dans Les Pèlerins d'Emmaüs , Rembrandt utilise une table pour renvoyer la lumière sur les convives
transformés en statues de métal phosphorescent.
Les visages des conjurés proches de Claudius Civilis, à peine
dessinés, ressemblent à des flaques d'or.
Mais plus on s'eloigne du centre de la scène, plus les couleurs se raniment.
La toile est travaillée à touches rapides, presque fébriles, travaillées en pleine pâte, une manière de peindre
habituelle à Rembrandt.
La vie de Rembrandt est tendue par deux ambitions.
Jusqu'en 1642, Rembrandt n'a d'autre volonté que
d'être le premier des peintres d'Amsterdam.
Jusqu'en 1669, année de sa mort le 4 octobre, Rembrandt
veut être le premier des peintres de son temps.
Jusqu'en 1642, c'est à la fortune et à la renommée qu'il
voue son oeuvre.
A partir de 1642, il ne rend plus de comptes qu'à la peinture.
Jeune peintre associé à Jan
Lievens à Leyde, il ne songe à vingt ans qu'à prouver qu'il est peintre d'histoire et qu'il est capable de
peindre des portraits qui répondent à l'attente de modèles sûrs de leur foi comme de leur fortune.
C'est
que la peinture d'histoire est le premier des genres dans la hiérarchie que les guildes et les académies ont
instaurées en Europe depuis presque deux siècles.
C'est que le portrait est le plus sûr moyen d'attirer à soi
une clientèle bourgeoise qui veut tenir tête à la noblesse de l'Europe.
Dès 1631, Rembrandt est à
Amsterdam.
Il a vingt-cinq ans.
La Leçon d'anatomie du professeur Tulp, qu'il peint un an plus tard somme
que l'on reconnaisse immédiatement la puissance et la pertinence de sa peinture.
Cette toile est l'une des
premières qu'il signe de son seul prénom, Rembrandt.
Signer ainsi c'est vouloir être confondu dans la
gloire avec ceux que l'on nomme de la même manière par leurs seuls prénoms ou surnoms, comme
Masaccio, Leonardo, Michelangelo, Rafaelo...
Rembrandt sait encore que seule la gravure, parce qu'elle
circule à plusieurs exemplaires, est en mesure de faire connaître son oeuvre aux amateurs de toute
l'Europe.
Aussi Rembrandt grave.
Pendant des années, posent devant Rembrandt des théologiens et des
armateurs, des marchands et des banquiers, des couples aux pourpoints et aux robes parés de dentelles,
des fonctionnaires de la Compagnie des Indes orientales.
Et dans son atelier, Rembrandt, peintre
d'histoire, peint la Sainte Famille comme L'Enlèvement de Ganimède ou Le Sacrifice d'Abraham.
Et il peint
encore des personnages qui ne sont ni des portraits ni des prophètes des Saintes Écritures mais des
philosophes, mais des hommes coiffés de turbans, chargés de chaînes, personnages d'un Orient inventé...
En 1642 il présente à ceux qui ont été ses modèles le tableau le plus vaste qu'il ait jamais peint qu'est La
Compagnie du capitaine Frans Banningh Cocq (La Ronde de nuit).
Nul ne doute que la peinture qu'il vient
d'achever soit un chef-d'oeuvre.
Mais les miliciens qui entourent Cocq et qui ont payé pour que la toile
rende comme il convient hommage à leur civisme, ne peuvent admettre que les mouvements et les
ombres cachent presque leurs visages.
Par cette toile Rembrandt congédie ses modèles, refuse que la
peinture continue de ne servir que leur vanité.
En cette même année 1642, meurt sa femme Saskia.
Quatorze ans plus tard, en 1656, la Haute Cour d'Amsterdam nomme un liquidateur judiciaire qui est
chargé de vendre tous les biens du peintre.
Quatre ans plus tard, Rembrandt doit quitter la somptueuse
demeure qu'il a pendant des années encombré de chefs-d'oeuvre et doit s'installer dans le quartier
populaire du Jordaan, sur le Rozengracht.
Rembrandt, ruiné, ne cesse pas de peindre et de graver.
On sait
dans toute l'Europe quelle exception il est.
Depuis Messine, l'amateur qu'est Don Antonio Ruffo lui.
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