Extrait du document
«
Les Pèlerins d'Emmaüs de Rembrandt
Rembrandt nous décrit ici l'instant où les pèlerins ont la révélation : l'homme assis à leur côté qui rompt et bénit le
pain, c'est le Christ.
(Evangile du lundi de Pâques, saint Luc 24, 13-35).
Rembrandt a déjà peint la même scène
vingt ans auparavant, le tableau qui porte le même nom fait partie de la collection du musée Jacquemart-André à
Paris.
Mais quelle différence dans la manière de peindre ! On était alors en pleine tragédie : le visage stupéfait du
disciple, la chaise renversée, les effets de contrastes lumineux, la dramatisation était à son comble.
Ici, au
contraire, tout est retenu : pas d'effet dramatique, pas de gestes excessifs.
Certes, l'homme assis à la droite de
Jésus appuie soudain plus fortement son bras sur la table, mais c'est bien la seule manifestation d'émotion.
C'est que Rembrandt veut nous entraîner ailleurs.
Vers ce Christ au visage nimbé de lumière qui est la figure centrale
de la toile et vers qui convergent les regards et l'attention de tous.
Si ici l'image biblique est tendre, Rembrandt a aussi tiré des Evangiles des méditations sur la violence humaine .
Au
cours des années 1630, il a peint un cycle de tableaux étonnamment tragiques sur les étapes de la Passion du
Christ .
La vie de Rembrandt est tendue par deux ambitions.
Jusqu'en 1642, Rembrandt n'a d'autre volonté que
d'être le premier des peintres d'Amsterdam.
Jusqu'en 1669, année de sa mort le 4 octobre, Rembrandt
veut être le premier des peintres de son temps.
Jusqu'en 1642, c'est à la fortune et à la renommée qu'il
voue son oeuvre.
A partir de 1642, il ne rend plus de comptes qu'à la peinture.
Jeune peintre associé à Jan
Lievens à Leyde, il ne songe à vingt ans qu'à prouver qu'il est peintre d'histoire et qu'il est capable de
peindre des portraits qui répondent à l'attente de modèles sûrs de leur foi comme de leur fortune.
C'est
que la peinture d'histoire est le premier des genres dans la hiérarchie que les guildes et les académies ont
instaurées en Europe depuis presque deux siècles.
C'est que le portrait est le plus sûr moyen d'attirer à soi
une clientèle bourgeoise qui veut tenir tête à la noblesse de l'Europe.
Dès 1631, Rembrandt est à
Amsterdam.
Il a vingt-cinq ans.
La Leçon d'anatomie du professeur Tulp, qu'il peint un an plus tard somme
que l'on reconnaisse immédiatement la puissance et la pertinence de sa peinture.
Cette toile est l'une des
premières qu'il signe de son seul prénom, Rembrandt.
Signer ainsi c'est vouloir être confondu dans la
gloire avec ceux que l'on nomme de la même manière par leurs seuls prénoms ou surnoms, comme
Masaccio, Leonardo, Michelangelo, Rafaelo...
Rembrandt sait encore que seule la gravure, parce qu'elle
circule à plusieurs exemplaires, est en mesure de faire connaître son oeuvre aux amateurs de toute
l'Europe.
Aussi Rembrandt grave.
Pendant des années, posent devant Rembrandt des théologiens et des
armateurs, des marchands et des banquiers, des couples aux pourpoints et aux robes parés de dentelles,
des fonctionnaires de la Compagnie des Indes orientales.
Et dans son atelier, Rembrandt, peintre
d'histoire, peint la Sainte Famille comme L'Enlèvement de Ganimède ou Le Sacrifice d'Abraham.
Et il peint
encore des personnages qui ne sont ni des portraits ni des prophètes des Saintes Écritures mais des
philosophes, mais des hommes coiffés de turbans, chargés de chaînes, personnages d'un Orient inventé...
En 1642 il présente à ceux qui ont été ses modèles le tableau le plus vaste qu'il ait jamais peint qu'est La
Compagnie du capitaine Frans Banningh Cocq (La Ronde de nuit).
Nul ne doute que la peinture qu'il vient
d'achever soit un chef-d'oeuvre.
Mais les miliciens qui entourent Cocq et qui ont payé pour que la toile
rende comme il convient hommage à leur civisme, ne peuvent admettre que les mouvements et les
ombres cachent presque leurs visages.
Par cette toile Rembrandt congédie ses modèles, refuse que la
peinture continue de ne servir que leur vanité.
En cette même année 1642, meurt sa femme Saskia.
Quatorze ans plus tard, en 1656, la Haute Cour d'Amsterdam nomme un liquidateur judiciaire qui est
chargé de vendre tous les biens du peintre.
Quatre ans plus tard, Rembrandt doit quitter la somptueuse
demeure qu'il a pendant des années encombré de chefs-d'oeuvre et doit s'installer dans le quartier
populaire du Jordaan, sur le Rozengracht.
Rembrandt, ruiné, ne cesse pas de peindre et de graver.
On sait
dans toute l'Europe quelle exception il est.
Depuis Messine, l'amateur qu'est Don Antonio Ruffo lui
commande un portrait d'Homère, un autre d'Alexandre.
Le grand duc de Toscane, de passage à
Amsterdam, lui rend visite.
Mais les bourgeois d'Amsterdam, qui lui ont commandé pour leur nouvel Hôtel
de ville une toile représentant La Conjuration de Claudius Civilis, qui se dresse contre le pouvoir de Rome,
n'admettent pas qu'il représente cette figure mythique borgne.
La toile est rendue au peintre...
Que lui
importe...
Il peint encore Les Syndics des drapiers, La Fiancée juive, Le Retour de l'enfant prodigue.
Et,.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓