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La Leçon d'anatomie du docteur Tulp de Rembrandt
Voici la première commande prestigieuse de Rembrandt depuis son arrivée à Amsterdam, un an auparavant : un
portrait corporatif, genre à la mode dans les confréries hollandaises.
Mais sa Leçon d'anatomie du docteur Tulp va
révolutionner le portrait de groupe : Rembrandt transforme ce qui n'est souvent qu'un exercice de style destiné à
immortaliser les membres d'une association en une véritable scène d'action.
Le 31 janvier et le 2 février 1632, le célèbre docteur Nicolaas Pietersz Tulp, considéré comme le plus éminent
anatomiste des Pays-Bas, donne une conférence publique devant quelques chirurgiens triés sur le volet.
Plongeant
ses ciseaux dans la chair disséquée, l'anatomiste fait la démonstration du fonctionnement des tendons du bras.
Le
cadavre, celui d'un condamné à mort, d'un blanc quasi phosphorescent, éclaire toute la scène et notamment les
visages fascinés de l'auditoire.
Seuls deux participants suivent la dissection des yeux, en se penchant vers le cadavre, les autres regardent dans
des directions différentes : chassé-croisé de regards attentifs (observez ces sourcils froncés !) qui renforce
l'intensité dramatique.
Quant à l'homme placé juste derrière le docteur Tulp, qui nous regarde fixement, il tient en main la liste des
participants.
Car si la célèbre leçon d'anatomie du docteur Tulp est événement, y assister est un honneur qui n'est
pas donné à tout le monde.
Rembrandt commémore l'instant à sa façon : composant un drame en un acte où
chaque personnage interprète son rôle.
La vie de Rembrandt est tendue par deux ambitions.
Jusqu'en 1642, Rembrandt n'a d'autre volonté que
d'être le premier des peintres d'Amsterdam.
Jusqu'en 1669, année de sa mort le 4 octobre, Rembrandt
veut être le premier des peintres de son temps.
Jusqu'en 1642, c'est à la fortune et à la renommée qu'il
voue son oeuvre.
A partir de 1642, il ne rend plus de comptes qu'à la peinture.
Jeune peintre associé à Jan
Lievens à Leyde, il ne songe à vingt ans qu'à prouver qu'il est peintre d'histoire et qu'il est capable de
peindre des portraits qui répondent à l'attente de modèles sûrs de leur foi comme de leur fortune.
C'est
que la peinture d'histoire est le premier des genres dans la hiérarchie que les guildes et les académies ont
instaurées en Europe depuis presque deux siècles.
C'est que le portrait est le plus sûr moyen d'attirer à soi
une clientèle bourgeoise qui veut tenir tête à la noblesse de l'Europe.
Dès 1631, Rembrandt est à
Amsterdam.
Il a vingt-cinq ans.
La Leçon d'anatomie du professeur Tulp, qu'il peint un an plus tard somme
que l'on reconnaisse immédiatement la puissance et la pertinence de sa peinture.
Cette toile est l'une des
premières qu'il signe de son seul prénom, Rembrandt.
Signer ainsi c'est vouloir être confondu dans la
gloire avec ceux que l'on nomme de la même manière par leurs seuls prénoms ou surnoms, comme
Masaccio, Leonardo, Michelangelo, Rafaelo...
Rembrandt sait encore que seule la gravure, parce qu'elle
circule à plusieurs exemplaires, est en mesure de faire connaître son oeuvre aux amateurs de toute
l'Europe.
Aussi Rembrandt grave.
Pendant des années, posent devant Rembrandt des théologiens et des
armateurs, des marchands et des banquiers, des couples aux pourpoints et aux robes parés de dentelles,
des fonctionnaires de la Compagnie des Indes orientales.
Et dans son atelier, Rembrandt, peintre
d'histoire, peint la Sainte Famille comme L'Enlèvement de Ganimède ou Le Sacrifice d'Abraham.
Et il peint
encore des personnages qui ne sont ni des portraits ni des prophètes des Saintes Écritures mais des
philosophes, mais des hommes coiffés de turbans, chargés de chaînes, personnages d'un Orient inventé...
En 1642 il présente à ceux qui ont été ses modèles le tableau le plus vaste qu'il ait jamais peint qu'est La
Compagnie du capitaine Frans Banningh Cocq (La Ronde de nuit).
Nul ne doute que la peinture qu'il vient
d'achever soit un chef-d'oeuvre.
Mais les miliciens qui entourent Cocq et qui ont payé pour que la toile
rende comme il convient hommage à leur civisme, ne peuvent admettre que les mouvements et les
ombres cachent presque leurs visages.
Par cette toile Rembrandt congédie ses modèles, refuse que la
peinture continue de ne servir que leur vanité.
En cette même année 1642, meurt sa femme Saskia.
Quatorze ans plus tard, en 1656, la Haute Cour d'Amsterdam nomme un liquidateur judiciaire qui est
chargé de vendre tous les biens du peintre.
Quatre ans plus tard, Rembrandt doit quitter la somptueuse
demeure qu'il a pendant des années encombré de chefs-d'oeuvre et doit s'installer dans le quartier
populaire du Jordaan, sur le Rozengracht.
Rembrandt, ruiné, ne cesse pas de peindre et de graver.
On sait
dans toute l'Europe quelle exception il est.
Depuis Messine, l'amateur qu'est Don Antonio Ruffo lui
commande un portrait d'Homère, un autre d'Alexandre.
Le grand duc de Toscane, de passage à.
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