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« Le Fils prodigue de Rembrandt "Un homme avait deux fils.

Le plus jeune dit à son père : Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.

Il leur a donc réparti son bien et, peu de jours après, le plus jeune fils a tout rassemblé et il est parti pour un pays lointain. Là, il a dilapidé sa fortune en vivant comme un perdu." (Évangile selon saint Luc, XV, 11,13). Dans cette toile on reconnaît sans peine le thème du fils prodigue, dilapidant sa fortune dans une joie insouciante. L'homme et la femme sont richement habillés, les mets sont rares et chers.

Ils se retournent vers les spectateurs comme pour saluer les autres convives de l'auberge dans laquelle ils se trouvent.

Bref, ils sont riches, beaux, heureux, et tiennent à le faire savoir au monde entier.

Une attitude de débauche qui ne convient pas du tout aux bourgeois et marchands d'Amsterdam, où l'austérité, le sens de l'économie et la réserve sont de mise.

Et c'est principalement la raison pour laquelle Rembrandt donne à ces deux personnages ses traits et ceux de sa femme Saskia.

Car on murmure des reproches, on jalouse ce couple heureux, ce peintre exubérant qui achète sans compter des oeuvres d'arts avec l'argent de sa femme.

Avec cette superbe toile, Rembrandt leur rend la monnaie de leur pièce. Rembrandt réalisera également une gravure très proche de cette toile ; moins démonstrative, cette oeuvre nous place dans l'intimité du peintre qui dessine auprès de sa femme. La vie de Rembrandt est tendue par deux ambitions.

Jusqu'en 1642, Rembrandt n'a d'autre volonté que d'être le premier des peintres d'Amsterdam.

Jusqu'en 1669, année de sa mort le 4 octobre, Rembrandt veut être le premier des peintres de son temps.

Jusqu'en 1642, c'est à la fortune et à la renommée qu'il voue son oeuvre.

A partir de 1642, il ne rend plus de comptes qu'à la peinture.

Jeune peintre associé à Jan Lievens à Leyde, il ne songe à vingt ans qu'à prouver qu'il est peintre d'histoire et qu'il est capable de peindre des portraits qui répondent à l'attente de modèles sûrs de leur foi comme de leur fortune.

C'est que la peinture d'histoire est le premier des genres dans la hiérarchie que les guildes et les académies ont instaurées en Europe depuis presque deux siècles.

C'est que le portrait est le plus sûr moyen d'attirer à soi une clientèle bourgeoise qui veut tenir tête à la noblesse de l'Europe.

Dès 1631, Rembrandt est à Amsterdam.

Il a vingt-cinq ans.

La Leçon d'anatomie du professeur Tulp, qu'il peint un an plus tard somme que l'on reconnaisse immédiatement la puissance et la pertinence de sa peinture.

Cette toile est l'une des premières qu'il signe de son seul prénom, Rembrandt.

Signer ainsi c'est vouloir être confondu dans la gloire avec ceux que l'on nomme de la même manière par leurs seuls prénoms ou surnoms, comme Masaccio, Leonardo, Michelangelo, Rafaelo...

Rembrandt sait encore que seule la gravure, parce qu'elle circule à plusieurs exemplaires, est en mesure de faire connaître son oeuvre aux amateurs de toute l'Europe.

Aussi Rembrandt grave.

Pendant des années, posent devant Rembrandt des théologiens et des armateurs, des marchands et des banquiers, des couples aux pourpoints et aux robes parés de dentelles, des fonctionnaires de la Compagnie des Indes orientales.

Et dans son atelier, Rembrandt, peintre d'histoire, peint la Sainte Famille comme L'Enlèvement de Ganimède ou Le Sacrifice d'Abraham.

Et il peint encore des personnages qui ne sont ni des portraits ni des prophètes des Saintes Écritures mais des philosophes, mais des hommes coiffés de turbans, chargés de chaînes, personnages d'un Orient inventé... En 1642 il présente à ceux qui ont été ses modèles le tableau le plus vaste qu'il ait jamais peint qu'est La Compagnie du capitaine Frans Banningh Cocq (La Ronde de nuit).

Nul ne doute que la peinture qu'il vient d'achever soit un chef-d'oeuvre.

Mais les miliciens qui entourent Cocq et qui ont payé pour que la toile rende comme il convient hommage à leur civisme, ne peuvent admettre que les mouvements et les ombres cachent presque leurs visages.

Par cette toile Rembrandt congédie ses modèles, refuse que la peinture continue de ne servir que leur vanité.

En cette même année 1642, meurt sa femme Saskia. Quatorze ans plus tard, en 1656, la Haute Cour d'Amsterdam nomme un liquidateur judiciaire qui est chargé de vendre tous les biens du peintre.

Quatre ans plus tard, Rembrandt doit quitter la somptueuse demeure qu'il a pendant des années encombré de chefs-d'oeuvre et doit s'installer dans le quartier populaire du Jordaan, sur le Rozengracht.

Rembrandt, ruiné, ne cesse pas de peindre et de graver.

On sait dans toute l'Europe quelle exception il est.

Depuis Messine, l'amateur qu'est Don Antonio Ruffo lui commande un portrait d'Homère, un autre d'Alexandre.

Le grand duc de Toscane, de passage à Amsterdam, lui rend visite.

Mais les bourgeois d'Amsterdam, qui lui ont commandé pour leur nouvel Hôtel de ville une toile représentant La Conjuration de Claudius Civilis, qui se dresse contre le pouvoir de Rome, n'admettent pas qu'il représente cette figure mythique borgne.

La toile est rendue au peintre...

Que lui. »

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