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le Sonnet du Cygne de Mallarmé

Publié le 29/06/2023

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« ANALYSE DU SONNET du CYGNE de Stéphane Mallarmé, 1885 Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui Magnifique mais qui sans espoir se délivre Pour n’avoir pas chanté la région où vivre Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui. Tout son col secouera cette blanche agonie Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie, Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris. Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne, Il s’immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne. « Nôtre maître : Mallarmé » écrivait Claudel dans Réflexions et propositions sur le vers français. Mallarmé, le maître qui clôt, à la mort d’Hugo, le romantisme et ouvre les voies de la modernité. Mallarmé s’inscrit au cœur du mouvement symboliste qu’il surpasse par l’ampleur de ses thèses : Crise de vers, la musique et les lettres… Publié pour la première fois en mars 1885, le poème appelé : « Sonnet du Cygne », semble pour certaines critiques avoir été écrit dans les années 1864-65 avant la période de crise spirituelle et existentielle qui se termine par la publication en 1866 de la première part de son œuvre dans le Parnasse contemporain.

Symphonie en « i », symphonie en blanc, les qualificatifs accolés à ce sonnet, révèlent l’importance des commentaires suscités par ce texte.

Nous examinerons d’abord ce second qualificatif, cette « symphonie en blanc », puis nous chercherons à analyser l’importance des jeux du signifiant utilisés par Mallarmé, enfin nous tenterons de commenter « l’hermétisme » apparent du poème comme poétique même de celui-ci. Le BLANC, symphonie en blanc, la thématique du blanc se retrouve dès le premier mot du poème : le vierge.

Là, où rien pour l’instant ne s’inscrit.

Le matériau du poème est encore intact, ouvert à tous les possibles.

Possibles qui ouvrent un espace pour le vol du cygne qui peut y inscrire son trajet.

Matrice virtuelle et encore intouchée, elle inaugure le poème dans l’optimisme affirmé.

Elle se poursuit par l’animal emblématique du poème : le cygne.

Le cygne : étymologiquement : « le blanc » d’une part, et d’autre part : « ce qui lui ».

Epiphanie de la lumière, consacré à Apollon, dont il est le fils, le cygne est bien l’animal du dieu dans les syntagmes suivants : « Le lac dur, le gel, le transparent glacier, la blanche agonie, l’hiver, le fantôme, le pur éclat.

».

Le lac dur, donc glacé, recouvert de givre, inscrit le blanc dans ce qui résiste, la dureté, mais aussi comme le cygne même dans la brillance.

L’insensibilité du blanc se découvre ici comme l’antinomie du blanc vivant du cygne, mais aussi en alliance avec celui-ci dans la brillance.

Nous discernons dans le même lieu thématique une alliance des contraires, un oxymore de sens.

La soudure se forme aux deux faces du blanc, impossible à disjoindre.

Nous discernons d’ailleurs dans le terme « givre », l’étincellement des cristaux, la vibration de la lumière prise dans la cristallisation.

Une vibration, c’est-à-dire une Vie, mais en même temps identique, glacée déjà, fixée, réduite.

Le blanc c’est aussi le virtuel du vol possible du cygne, de tout ce qui instaure passage et création : « oublié, fuir, autrefois, se souvenir, espoir, vivre, secouer… ».

Ce virtuel s’oriente soit en positif, soit en négatif et allie le plus souvent les deux. Nous pourrions avancer que Mallarmé « pétrarquise » son écriture dans cette alliance incessante des contraires., dans ces négations (v.4-6-7-11).

Si le blanc est manque, distance, lieu du virtuel et négation, il est aussi métaphore même de la création, de la simple allusion facile de la page blanche, jusqu’à la tension de l’écriture prise toujours au manque dans lequel elle s’inscrit, au manque qu’elle nie pour l’y inscrire, à la prise du manque, en sa fixation à la page.

Si le poète entr’aperçoit le virtuel d’une possible création, il sait que ce virtuel « ce blanc possible » peut se retourner aussi en négatif dans l’impossibilité de la création.

Cette thématique du blanc est ellemême ouverte au-delà de la sémantique des mots, en un autre champ poétique, à l’intérieur même du poème, en effet de redoublement. Le blanc est en effet assigné dans une architecture du signifiant, dans une « as-signation » poétique aux mystères du signe.

Il faut maintenant, comme le souhaitait Mallarmé rendre « l’initiative aux mots ».

Cette voie nous la retrouvons en premier lieu par la suggestion même que nous inspire le « cygne ».

L’art de Mallarmé plus qu’un art du symbole est un art de la suggestion.

Le symbole : poète égale cygne n’est pas donné, le cygne n’a de référent que luimême : Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui Bien sûr, il serait simple de penser au cygne de Mantoue et à Virgile, au cygne de Cambrai et à Fénelon, et pourquoi pas au cygne de Tournon et à Mallarmé.

Le cygne dans l’œuvre de Mallarmé marque présence : Les fenêtres, les fleurs, à plusieurs reprises dans Hérodiade et dans l’après-midi d’un faune.

L’animal est un habitué de la poésie de Mallarmé qui joue de sa symbolique.

Mais cette symbolique restreinte n’est pas ici la véritable architecture cachée du poème, elle masque même comme en un jeu, l’invisible qui comme le cygne pris dans la glace, est lui pris dans le poème.

Cet invisible nous le remarquons d’abord dans la syntaxe.

Mallarmé utilise dans ce poème un certain nombre de relatives : que hante sous le givre, qui n’ont pas fui, qui sans espoir délivre, où vivre, que vêt.

Au niveau syntaxique, la relative, expansion du nom joue par le pronom relatif, effet de substitution, de négativation du nom enfermé dans le pronom. Celui-ci n’a pas de sens en lui-même sans son antécédent.

Il n’est rien, et pourtant il renferme en son sein cet antécédent dont il procède.

Il en assume la fonction, mais non la forme.

Nous pourrions, je crois mettre en parallèle le cygne pris dans la glace et le nom pris dans le pronom, comme effacé, nié, absent bien que présent.

Le pronom relatif instaure un véritable blanc dans le poème.

Mais d’autre part par sa fonction sémantique d’expansion du nom, nous avancerions l’hypothèse, vu le nombre important de relatives, que celles-ci assument la fonction symbolique de « plumage » du nom, le nom ferait office de « cygne » ou de « signe » et la relative de plumage sémantique du signe.

Nous avancerions d’ailleurs de même que les adjectifs qualificatifs fort nombreux qui entourent les noms et qui inaugurent le poème, Mallarmé ne leur donne pas même fonction que ces relatives : le vierge, le vivace, le bel.

Puis nous constatons dans ce poème tout un jeu sur la lettre même, essentiellement fondé sur les allitérations en /v/ : et l’assonance en /i/.

L’allitération en /v/ ne peut que nous renvoyer au /V/ola du cygne.

Le V comme silhouette de ce vol : vierge, vivace, va, ivre…Quant à l’assonance en /i/ elle peut suggérer en premier lieu, la lettre du cygne le /y/, cette assonance s’immisce huit fois à la rime, elle se lie par l’intermédiaire du cygne au blanc.

Le /i/, au son le plus élevé des voyelles, renvoie sans doute aussi à la cristallisation à l’œuvre dans le poème, par son caractère strident, le /i/ serait le cristal de la glace, disséminé dans le poème, il enserre ainsi l’ensemble du poème dans une cristallisation glaciaire suggérée, elle, par le sens même du poème.

Ensuite, nous apercevons un jeu de forme anagrammatique, par exemple le terme « vivace » est repris par le « vierge », « vivace », « ce lac ».

Les mots se disséminent les uns dans les autres, nous notons aussi en miroir inversé le mot cygne dans « magnifique ».

L’allitération en /S/ se répand elle aussi : « se souvient, que c’est lui », comme pour nous indiquer que le /C/ du cygne se transforme en S, image à la lettre du cou du cygne, mais aussi première lettre du mot signe.

Le cygne peut alors devenir « signe ».

Ce poème publié en 1885, précède de seulement quinze ans, les analyses de Pierce, au niveau linguistique sur les icônes, les indices, les symboles, une des premières théories du Signe.

Le signe est d’ailleurs au vers 12 « as-signé-é ».

Acte de faire comparaître, mais ici seul le fantôme du signe advient.

Le référent reste blanc.

Le poème s’enferme ainsi en lui-même, le sens se réverbèrent d’un terme à l’autre comme les cristaux de givre qui réverbèrent le lieu d’enfermement du cygne.

Mais ce renvoi incessant du poème à luimême, nous indique que le sens n’est sans doute pas ici mais que Mallarmé essaie.... »

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