Aide en Philo

Koltes retour au desert

Publié le 05/11/2023

Extrait du document

« Bernard-Marie Koltès, Le Retour au désert, (1988). Pendant la guerre d’Algérie, Mathilde revient en France avec son fils Édouard dans l’intention de récupérer la maison familiale et de régler des comptes.

Une violente dispute l’oppose à son frère Adrien devant les serviteurs, Aziz et madame Queuleu. Aziz.

– Qu’ils se tapent donc, et, quand ils seront calmés, Aziz ramassera les morceaux. Entre Édouard. Madame Queuleu.

– Édouard, je t’en supplie, je vais devenir folle. Édouard retient sa mère, Aziz retient Adrien. Adrien – Tu crois, pauvre folle, que tu peux défier le monde ? Qui es-tu pour provoquer tous les gens honorables ? Qui penses-tu être pour bafouer les bonnes manières, critiquer les habitudes des autres, accuser, calomnier(1), injurier le monde entier ? Tu n’es qu’une femme, une femme sans fortune, une mère célibataire, une fille-mère, et, il y a peu de temps encore, tu aurais été bannie de la société, on te cracherait au visage et on t’enfermerait dans une pièce secrète pour faire comme si tu n’existais pas.

Que viens-tu revendiquer ? Oui, notre père t’a forcée à dîner à genoux pendant un an à cause de ton péché(2), mais la peine n’était pas assez sévère, non.

Aujourd’hui encore, c’est à genoux que tu devrais manger à notre table, à genoux que tu devrais me parler, à genoux devant ma femme, devant madame Queuleu, devant tes enfants.

Pour qui te prends-tu, pour qui nous prends-tu, pour sans cesse nous maudire et nous défier ? Mathilde.

– Eh bien, oui, je te défie, Adrien ; et avec toi ton fils, et ce qui te sert de femme.

Je vous défie, vous tous, dans cette maison, et je défie le jardin qui l’entoure et l’arbre sous lequel ma fille se damne(3), et le mur qui entoure le jardin.

Je vous défie, l’air que vous respirez, la pluie qui tombe sur vos têtes, la terre sur laquelle vous marchez ; je défie cette ville, chacune de ses rues et chacune de ses maisons, je défie le fleuve qui la traverse, le canal et les péniches sur le canal, je défie le ciel qui est au-l20dessus de vos têtes, les oiseaux dans le ciel, les morts dans la terre, les morts mélangés à la terre et les enfants dans le ventre de leurs mères.

Et, si je le fais, c’est parce que je sais que je suis plus solide que vous tous, Adrien. Aziz entraîne Adrien, Édouard entraîne Mathilde.

Mais ils s’échappent et reviennent. Mathilde.

– Car sans doute l’usine ne m’appartient-elle pas, mais c’est parce que je n’en ai pas voulu, parce qu’une usine fait faillite plus vite qu’une maison ne tombe en ruine, et que cette maison tiendra encore après ma mort et après celle de mes enfants, tandis que ton enfant se promènera dans des hangars déserts où coulera la pluie en disant : C’est à moi, c’est à moi.

Non, l’usine ne m’appartient pas, mais cette maison est à moi et, parce qu’elle est à moi, je décide que tu la quitteras demain.

Tu prendras tes valises, ton fils, et le reste, surtout le reste, et tu iras vivre dans tes hangars, dans tes bureaux dont les l30murs se lézardent(4), dans le fouillis des stocks en pourriture.

Demain je serai chez moi. Adrien.

– Quelle pourriture ? Quelles lézardes ? Quelles ruines ? Mon chiffre d’affaires est au plus haut.

Crois-tu que j’ai besoin de cette maison ? Non.

Je n’aimais y vivre qu’à cause de notre père, en mémoire de lui, par amour pour lui. Mathilde.

– Notre père ? De l’amour pour notre père ? La mémoire de notre père, je l’ai mise aux ordures il y a bien longtemps. Adrien.

– Ne touche pas à cela, Mathilde.

Respecte au moins cela.

Cela au moins, ne le salis pas. Mathilde.

– Non, je ne le salirai pas, cela est déjà très sale tout seul. Notes de vocabulaire : 1. calomnier: chercher à nuire à la réutation de quelqu'un par des accusations mensongères. 2. Le péché de Mathilde: pendant la seconde guerre mondiale, mathilde a eu des relations avec les Allemands; 3. se damne: se condamne à l'enfer. 4. Se lézardent: se fissurent. .Introduction : Le Retour au désert repose sur un affrontement familial .

Les protagonistes sont Adrien, un ancien colon qui dirige une fabrique, et sa sœur Mathilde ; le contexte est la guerre d'Algérie.

Les préoccupations des protagonistes sont matérielles puisque Mathilde revient en France avec son fils Édouard dans l’intention de récupérer la maison familiale mais aussi psychologiques puisqu' elle revient dans l'intention de régler des comptes.

Dans cette scène, une violente dispute l’oppose à son frère Adrien devant les serviteurs, Aziz et madame Queuleu.

Il s’agit d’une scène dramatique et spectaculaire, mais qui a aussi une portée politique car la pièce est engagée : quelle vision du monde incarnent les deux personnages ? I.

Dramatisation et mise en scène de l’affrontement « Qu'ils se tapent donc...

Aziz retient Adrien » Le « système » des personnages repose sur un équilibre – un frère, une sœur : il s'agit donc d'un duel.

Autour d’eux, des personnages secondaires servent de témoins, sorte de chœur antique, modérateurs, commentateurs, qui renvoient l’image du conflit et en marquent la violence. La théâtralité repose sur les jeux de scène signalés par les didascalies : ce sont essentiellement des mouvements (« entre, retient, (2 fois) » : verbes de mouvement), qui témoignent de la violence de l’affrontement verbal.

Les didascalies soulignent un effet de symétrie. La violence des attitudes des deux protagonistes et du conflit est rendue indirectement par les répliques et les commentaires des domestiques (« qu’ils se tapent / ramassera les morceaux »), par le ton et l’attitude mélodramatiques de supplication de Madame Queuleu (« je t’en supplie ») qui interpelle le fils de Mathilde, Edouard.

. D'ailleurs, cette idée de duel est soulignée aussi par la distribution de la parole qui rythme la scène qui repose sur deux tirades symétriques. Transition : Cependant la pièce n’est pas uniquement action et mouvement.

Il s’agit d’un théâtre engagé, social : les deux protagonistes, bien individualisés, incarnent deux visions du monde, deux façons de le percevoir. II.

Adrien : un homme de la tradition « Tu crois pauvre folle...pour sans cesse nous maudire et nous défier » D'abord Adrien est un homme violent cf apostrophe qui débute la tirade « pauvre folle » qui est brutale et méprisante, insultante.

Il prend sa sœur à parti par une accumulation de questions rhétoriques : il espère donc la faire réagir et vue la violence du ton, il cherche à déclencher une réaction physique. C'est un homme plein de préjugés, qui donne la primauté au groupe, dont il prend la défense : il parle au nom de « tous les gens honorables », ce qui souligne son conformisme moral et social, tout comme l'expression « les bonnes manières ».

« le monde » voire « le monde entier » ( gradation) semble être de son côté.

Sa sœur est présentée d'emblée comme anti-conformiste puisqu'elle « défie, bafoue, critique, ...injurie » les gens bien.

L'accumulation de verbes souligne les prises de position de Mathilde autant que l'injure ressentie par Adrien. Il a une vision sectaire des rapports hommes-femmes : « Tu n’es qu’une femme » la négation restrictive marque son mépris ou du moins son sentiment de supériorité. Ses préjugés se marquent dans ses valeurs : la famille (champ lexical très présent) on apprend ici que Mathilde est une « mère célibataire ».

L'expression « fille-mère » est particulièrement méprisante : c'est.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓