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Vous examinerez ce jugement de Maine de Biran: "Les philosophes du XVIIIe siècle n'ont pas connu l'homme" ?

Publié le 06/04/2009

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On appelle volontiers le XVIIe siècle, le « siècle des philosophes «, marquant par là que c'est un siècle d'idéologues plutôt qu'un siècle de fins connaisseurs de l'âme humaine. C'est, en fait, un siècle qui souffre de la comparaison avec le siècle qui le précède, siècle des moralistes, et avec le siècle qui le suit, siècle qui voit la naissance de la psychologie expérimentale. Entre les deux, les philosophes du XVIIIe siècle, à quelques exceptions près (Vauvenargues, Chamfort), n'apportent aucune touche nouvelle à ces nuances de psychologie sur lesquelles raffine la littérature depuis l'Antiquité: et d'autre part, ils n'ont ni les moyens ni le désir de faire des expériences de psychologie : les visions de Dorval ne sont que de brillantes fulgurations littéraires, et un certain occultisme à prétention scientifique (Ibidem, p. 155) n'était pas fait pour donner une allure sérieuse à la science de l'homme. Dès lors, on comprend la condamnation sans appel de Maine de Biran (1766-1824): « Les philosophes du XVIIIe siècle n'ont pas connu l'homme. « Ce jugement surprend un peu tout d'abord, quand on pense que l'homme et l'humanité ont été la grande préoccupation des philosophes du XVIIIe siècle. Voltaire n'était-il pas « l'ami du genre humain «? Le philosophe n'est-il pas, avant tout, celui qui veut le bonheur de l'homme? Et pourtant nous devons bien reconnaître que le XVIIIe siècle n'est pas très intéressé par les dissertations abstraites et générales sur l'homme: il est surtout préoccupé de le libérer des entraves que le Christianisme, la Raison au sens universel et a priori du mot, les rapports qu'il entretient avec le pouvoir font peser sur lui. Tout au plus, renonçant aux préoccupations trop abstraites du XVIIe siècle, se soucie-t-il d'expliquer l'homme en montrant que ce que l'on prenait pour des entraves éternelles est relatif à des conditions locales et temporelles. Ainsi en modifiant ces conditions espère-t-il construire un type d'homme nouveau lié à une société nouvelle.  

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« synthétique, littéraire et vivante? II L'explication de l'homme Il faut reconnaître que les philosophes du XVIIIe siècle ne semblent jamais avoir très bien dominé cette multitude defaits qu'ils accumulent sur l'homme.

Dans leur souci de substituer à l'homme universel des classiques un hommeindividuel, ils ont été surtout soucieux de montrer comment des déterminations locales ou temporelles pouvaientexpliquer l'homme, mais précisément ils n'ont guère su créer de héros consistants et naturels : il est impossible denier un certain échec à cet égard. 1 L'homme expliqué par le lieu.

Ce n'est pas seulement pour de simples raisons de mode que le cosmopolitisme, lesrécits de voyage, le goût de l'étranger font fureur à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe.

Ce n'est pas parhasard que les « Persans » de Montesquieu ou les héros des Contes de Voltaire ou le Gil E-las de Lesage sont avanttout des voyageurs : c'est parce qu'il s'agit de montrer à quel point l'homme peut dépendre des lieux où il vit.L'étonnement perpétuel d'Usbek et de Rica est de découvrir que ce qu'ils avaient pris chez eux, en Perse, pour loiséternelles de la nature humaine est simplement relatif à un certain emplacement.

Et Micromégas, le géant venu deSirius, considère avec stupéfaction la Terre, cette planète où les hommes se croient le centre du monde et n'ontaucun sens du relativisme.

Plus sérieusement, plus scientifiquement, Montesquieu fonde la sociologie en prouvantque les faits humains sont conditionnés par les climats (cf.

XVIIIe Siècle, p.

88) et que, par conséquent, il s'agitmoins de connaître l'homme comme on connaît une essence éternelle que d'expliquer la diversité des faits humains. 2 L'homme expliqué par son temps.

Ce n'est pas seulement par le lieu, mais aussi par le temps que les faits humainssont déterminés.

Le XVIIIe siècle voit le premier grand essor de l'histoire, non pas, comme le XIXe siècle, par goûtde la couleur locale ou par communion romantique avec la vie des masses, mais parce que, là encore, il s'est aperçuqu'il n'y a pas d'essence humaine éternelle, mais un homme en perpétuelle dépendance de son époque : si lesRomains ont connu tour à tour la grandeur et la décadence, ce n'est pas parce qu'il est dans l'essence de l'hommede passer de la grandeur à la décadence, mais c'est parce que les conditions historiques ont changé; par exemple,quand ce ne fut plus un pays relativement réduit, mais un immense empire que durent défendre leurs soldats, ils «perdirent peu à peu l'esprit de citoyens », parce qu'ils furent de plus en plus éloignés de la métropole (Ibidem, p.80).

Autres circonstances historiques, autres hommes.

L'homme dépend ainsi du hasard, c'est-à-dire demodifications souvent imprévisibles des causes qui agissent sur lui.

et non d'une essence générale ou d'une fatalitédivine suspendue au-dessus de sa tète: telle est l'opinion de Voltaire qui admet toutefois que, de temps en temps,dans des circonstances privilégiées, de grands hommes peuvent contribuer à un certain progrès.

D'ailleurs, cesgrands hommes sont en étroit rapport avec leur siècle : un Louis XIV est à la fois source et symbole de la civilisationde son temps (Ibidem, p.

121). 3 Des héros sans consistance.

L'étrange en tout cela est que la littérature du XVIIIe siècle n'arrive guère, en fait, àpeindre l'homme : à force d'être expliqué par le temps et par l'espace, le héros s'évanouit souvent, privé qu'il est detoute nature humaine.

Au fond, les héros les plus saillants sont des héros de l'histoire : le Charles XII de Voltaire ouson Louis XIV sont bien vivants, mais, précisément, moins par leur nature que parce qu'ils symbolisent leur époqueet leur pays.

On a souvent signalé l'impuissance de Voltaire à créer un héros valable et consistant, mais n'est-cepas parce que, dans son désir de renouveler la tragédie, de lui assurer un cadre historique et géographique, ilcharge trop ses héros de signification passée ou présente, ce qui leur supprime toute personnalité véritable? Qu'est-ce que Zaïre, sinon le symbole du choc de l'Occident chrétien et fanatique et de l'Orient musulman et plustolérant? Mais dans ce conflit que Voltaire croit voir au moyen âge, que deviennent les cris éternels de la passion etde la jalousie? Force est de reconnaître qu'ils sont bien schématisés et bien froids (Ibidem, p.

107).

D'une façongénérale, malgré leur extrême agitation, comme ils sont squelettiques, inconsistants, tous ces héros de roman duXVIIIe siècle! Souvent ce sont de simples observateurs, de simples regards posés sur le monde, tels un Gil Blas, unCandide, un Zadig; ou bien ils incarnent les idées de l'auteur, tels un Saint-Preux, un Monsieur de Wolmar, une Julied'Étanges, un Emile; ou bien, quand on veut, à toute force, comme Diderot ou Beaumarchais, leur donner unenature, on crée de purs nerveux, de brillants agités et exaltés, tels le Neveu de Rameau ou Figaro.

Ainsi, pour avoirfui l'homme et sa nature éternelle, pour avoir essayé de l'expliquer dans son individualité locale et temporelle, lephilosophe du XVIIIe siècle voit dans une certaine mesure l'homme lui échapper; on ne peut sans doute pas dire qu'il« n'ait pas connu l'homme », mais peut-être n'a-t-il pas cru en l'homme comme en un immuable sujet d'étude. III La construction de l'homme Toutefois ce perpétuel changement de l'homme ne conduit pas les philosophes du XVIIIe siècle au scepticismepsychologique.

On peut même se demander si les héros qui les intéressent ne sont pas les héros d'action, les hérosinfiniment perfectibles, les héros qui dévoilent toutes les possibilités de l'homme.

« Nous sommes nés pour agir »,disait Voltaire.

Le problème ne serait-il pas pour le XVIIIe siècle, plutôt que de connaître l'homme, de le reconstruiredynamiquement? Le vrai héros du XVIIIe siècle ne serait-il pas le héros de la civilisation en progrès? 1 La civilisation.

Cette notion de civilisation est un véritable thème voltairien et on peut dire que souvent les hérosde Voltaire n'ont d'existence que par la civilisation qu'ils représentent : qu'est-ce que « le Mondain » (Ibidem, p.115) sinon l'homme heureux d'une civilisation, l'homme qui s'épanouit en elle? Cet idéal a d'ailleurs été vivementreproché à Voltaire : on lui a fait grief d'ignorer le tragique de la condition humaine, de superposer à l'homme éternelde Pascal l'homme superficiel du Mondain et du Temple du goût.

La XXVe Lettre philosophique (Ibidem, p.

112). »

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