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Vladimir JANKELEVITCH Philosophie morale

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

jankelevitch
« Dès le premier tressaillement de la réflexion l'esprit d'inquiétude nous tourmente ; car la réflexion n'est pas là pour confirmer les évidences, mais au contraire pour les contester. La philosophie de Descartes, par exemple, commence avec le doute radical, c'est-à-dire avec une entreprise tout à fait absurde et, en apparence, déraisonnable : mais le doute lui-même est-il autre chose que la forme la plus critique de la prise de conscience ?(...) La métaphysique naît, en somme, non point tant de "l'étonnement" que d'une crise de conscience ; la métaphysique est fille du scrupule. L'existence, après tout - cette existence qui nous est donnée comme le plus naturel, le plus évident et le plus général de tous les faits - l'existence va-t-elle de soi ? Bien entendu, rien n'est absurde et même insensé comme une pareille question, puisque notre propre pensée, qui la pose, témoigne par le fait qu'elle est résolue avant d'être posée... Mais justement, il ne sera pas dit que notre pensée reste prisonnière de quelque chose, fût-ce de sa propre existence ; et l'on sait que la dignité du "roseau pensant" consiste, non pas à surmonter la limite, mais à en prendre conscience : pour se libérer il suffit, bien souvent, de savoir qu'on n'est pas libre. Philosopher revient donc, en somme, à ceci : se comporter à l'égard de l'univers et de la vie comme si rien n'allait de soi. » Vladimir JANKELEVITCH Philosophie morale, pages 42-43

Eléments d’introduction

-          Dans son sens originel, puis traditionnel, la philosophie regroupe un certain nombre de champs de réflexion, de démarches ou d’attitudes pratiques. La philosophie – du grec philein « aimer «, et sophia « sagesse « - comporte une première ambiguïté due au double sens de « sagesse « et de « savoir « de la sophia : la philosophie est, en premier lieu, l’amour de la sagesse ; mais elle est aussi l’effort pour acquérir une conception d’ensemble de l’univers, ou de l’universalité des choses.

-          Sans doute le premier aspect – pratique – n’est-il pas dissociable du second : tout effort pour élaborer une règle de vie, pour adopter une attitude réfléchie et responsable implique une réflexion critique et une interrogation sur les conditions de possibilité d’un savoir.

-          Il s’agit ici pour Jankélévitch de s’interroger sur la nature, l’essence de la philosophie. En tant qu’elle est réflexion sur le monde, elle est aussi et avant tout attitude critique. Mais de quelle nature et sur quoi ce porte une telle critique, c’est précisément l’objet du texte.

 

Objet du texte

 

            Il s’agit ici pour Jankélévitch de montrer en quoi consiste la démarche philosophique. C’est donc bien une définition de l’essence de la philosophie que l’auteur se donne ici pour objet. Si donc l’attitude philosophique sur soi ou sur le monde apparaît de prime abord comme absurde, car comme remise en doute radical, elle n’en est pour autant pas moins fondée en raison.

Problématique

            En quel sens et dans quelle mesure peut-on légitimement affirmer que la remise en cause de ce qui parait pourtant assurée, allant de soi, naturel et évident, constitue la nature, l’essence propre de l’activité philosophique ? En quoi le doute radical est-il finalement, loin d’être absurde, est-il figuratif d’une démarche proprement philosophique de l’homme au monde et à soi-même ?

 

jankelevitch

« pour confirmer les évidences, mais au contraire pour les contester.

La philosophie de Descartes, par exemple,commence avec le doute radical, c'est-à-dire avec une entreprise tout à fait absurde et, en apparence,déraisonnable : mais le doute lui-même est-il autre chose que la forme la plus critique de la prise de conscience ? » Il semble que dès que l'on sort de l'immédiateté sensible, dès qu'on commence un temps soit peu à réfléchir,c'est-à-dire à prendre du recul sur ce qui se donne à nous spontanément – et que l'on a pour habitude deprendre tel que, sans l'interroger – c'est l'inquiétude qui se fait jour.Ainsi il semble que l'inquiétude soit la conséquence, le corollaire de toute réflexion.

Pourquoi existons-nous ?Quel est le sens ou le but de l'existence ? De telles questions que personne ne peut éviter montrer bienqu'exister, pour l'homme, ne se réduit jamais entièrement au simple fait d'être, ou à l'urgence immédiate devivre.

Contrairement aux choses de la nature qui simplement sont là, l'homme non seulement existe, mais aconscience de son existence.

Et cette existence, en tant qu'elle suppose réflexivité de la conscience de soi,est source d'inquiétude, voire d'angoisse.Il s'agit en effet de comprendre que la réflexion n'a pas pour but de confirmer, de valider les évidences qui sedonnent d'emblée à nous, mais elle est le signe, au contraire, le moteur par lequel l'homme se donne lesmoyens de dépasser les évidences sensibles qui lui sont immédiatement données.On comprend alors que la réflexion est là pour nous débarrasser de l'illusion en tant que celle-ci se comprendcomme adhésion trop précipitée et non justifiée, non fondée, au donnée sensible.

La réflexion est donc là pournous permettre de dépasser les évidences, c'est-à-dire en encore de faire en sorte que l'on arrive à faire ladistinction entre apparence et essence.

En ce sens la réflexion va à l'encontre de l'attitude naturelle, celle quifait que nous accordons à la perception notamment une confiance toute spontanée et naïve.Pour illustrer sa thèse, Jankélévitch prend l'exemple la démarche philosophique de Descartes : en effet, celui-ciouvre les Méditations Métaphysiques en affirmant la nécessité d'un doute radical concernant tout ce qu'il avait pu considérer comme évident jusque là : l'existence du monde extérieur, sa propre existence, etc.

le doutehyperbolique est symptomatique du besoin qu'a Descartes de fonder radicalement son système philosophique.En ce sens le cogito est à la fois la vérité qui demeure quand toutes les autres se sont évanouies, mais c'estaussi celle à partir de quoi tout va pouvoir être reconstruit, et refonder en raison.Or, une telle attitude semble absurde, et c'est bien en ce sens que le doute cartésien est une expérience depensée, il est hyperbolique et certainement pas existentiel.

C'est dans cette perspective qu'une telle démarchede remise en question prend son sens.

Ainsi le doute, en tant qu'il s'attache à tout ce qui nous parait pourtanthors d'atteinte de toute remise en question, est figuratif d'une prise de conscience de soi qui est celle d'uneconscience réflexive, capable de prendre du recul vis-à-vis des évidences encore infondées. - 2e MOUVEMENT « La métaphysique naît, en somme, non point tant de « l'étonnement » que d'une crise de conscience ; la métaphysique est fille du scrupule.

L'existence, après tout - cette existence qui nous est donnée comme le plusnaturel, le plus évident et le plus général de tous les faits - l'existence va-t-elle de soi ? Bien entendu, rien n'estabsurde et même insensé comme une pareille question, puisque notre propre pensée, qui la pose, témoigne par lefait qu'elle est résolue avant d'être posée.

» De là naît la métaphysique : celle-ci est dépassement du sensible en tant que l'on chercher les principes deson fondement légitime.

Or, une telle métaphysique est moins le fruit d'une étonnement, au sens où celui-cis'imposera à nous immédiatement – car, on l'a vu la réflexion suppose une mise à distance du monde et de sonimmédiateté dans une prise de conscience radicale qui va à l'encontre de l'attitude naturelle – elle est en cesens « crise de conscience ».

Cette crise témoigne du fait que la conscience est manque, elle figure le faitprécisément que l'homme ne se contente pas de vivre mais qu'il existe.

Exister, c'est donc être si l'on veut,mais en un sens qui n'est pas le même que pour les choses.

C'est être pour un sujet, c'est-à-dire pourquelqu'un capable de s'interroger et de réclamer pour ce qui existe une justification.

C'est dans cetteperspective qu'il faut comprendre la métaphysique.C'est dans cette perspective que l'on peut comprendre la formule selon laquelle la métaphysique est « la filledu scrupule » : elle témoigne justement de ce souci de fonder légitimement les choses et le monde ainsi que lerapport que nous entretenons avec eux.

Elle est ce qui s'attache de manière rigoureuse, presque à titred'exigence morale, à donner du sens à ce qui, avec la crise de la conscience qui résulte de la réflexion commeinquiétude, à donner du sens à ce que la réflexion nous montre la vacuité (parce qu'elle a su remettre enquestion notre confiance naïve et spontanée).La métaphysique s'interroge donc sur le sens de l'existence.

C'est dans cette perspective que l'on pourraitreprendre l'interrogation leibnizienne qui est la suivante : pour y a-t-il plutôt quelque chose que rien ?L'exigence d'un sens témoigne, pour l'homme, de la nullité d'une existence tout entière rabattue à la tâcheanimale de vivre.

Chercher ou donner un sens à sa vie suppose que l'homme soit capable de se rapporter à desfins, proches ou lointaines, et par conséquent qu'il soit ouvert à la dimension temporelle de l'avenir.Pourtant, en tant que la réflexion comme crise de la conscience consiste en une remise en question de tout,c'est-à-dire en tant qu'elle prétend faire table rase de tout ce qu'elle tenait pour acquis peut paraître reposersur une sophisme : pensons ainsi au cogito cartésien qui énonce que la seule chose dont je ne peux doutec'est précisément que je doute actuellement.

Cette première vérité apparaît alors comme évidente, et l'onpourrait alors taxer cette démarche du saut de l'absurdité puisqu'elle est fondée et fonde ce qu'elle prétendjustement remettre en question.. »

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