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Sommes-nous les auteurs de nos vies ?

Publié le 27/03/2009

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Sommes-nous les auteurs de nos vies ?

 

Une histoire est l'oeuvre d'un auteur, qui fixe un début et une fin à cette histoire et en détermine le déroulement, les péripéties. L'auteur crée, donne naissance à une histoire et aux personnages dont elle est constituée, tout en organisant son développement dans le temps. L'auteur, face à l'histoire qu'il crée, est généralement libre, libre d'inventer, de continuer, d'interrompre son histoire, de faire vivre ou mourir ses personnages. A cet égard, la situation que décrit Stephen King dans son roman Misery est exceptionnelle : l'écrivain Paul Sheldon est capturé par une ancienne infirmière, Annie Wilkes, qui le contraint à faire revivre l'héroïne de ses romans, Misery, sous peine de mort. Dans ce cas précis, Paul Sheldon n'est plus à proprement parler "l'auteur" de son histoire, puisque c'est quelqu'un d'autre qui le force à ressusciter son héroïne, contre son premier choix. Il reste que, dans la majeure partie des cas, l'auteur crée librement une histoire où il donne vie à des personnages.

Une vie, en un sens, est une histoire. Comme une histoire, elle a un début et une fin, et s'organise dans le temps, dans la durée. Mais s'il semble évident de retrouver l'auteur d'une histoire inventée, il n'en est pas de même de notre vie. Qui en est l'auteur ? Dans quelle situation sommes-nous : personnage ou auteur? Ou peut-être les deux?

Nous avons l'impression d'organiser notre vie selon des choix bien personnels, mais ces choix ne cachent-ils pas tout ce que, dans notre vie, nous ne choisissons pas? Choisissons-nous de naître, de mourir? Le début et la fin de notre vie ne sont pas de l'ordre du choix. En outre, le déroulement de notre vie est-il vraiment l'oeuvre de nox choix, ou est-il déterminé par d'autres causes, qui nous dépassent ? Être auteur de sa vie, c'est en dessiner les moindres contours de manière libre, à la façon de l'auteur qui écrit une histoire, ou du musicien qui compose une musique. La question est donc de savoir de quelle liberté nous disposons à l'égard de notre propre vie.

Voici donc le problème : la vie, cette suite d'événements rapportés à un individu et qui constitue une "histoire personnelle", est-elle tout entière l'oeuvre et l'expression de notre liberté (d'agir, de penser), ou ne sommes-nous, en un sens, que des marionnettes, qui obéiraient à des causes extérieures à elles? Mais peut-être qu'être auteur, c'est, en un sens moins absolu, être auteur de ses actes, et donc responsable. Dès lors, même si nous ne créons pas notre vie, nous la construisons néanmoins : sans en être l'architecte, nous en sommes les ouvriers. Sans être les auteurs du plan de notre vie, et des matériaux qui la constituent, c'est peut-être néanmoins à nous et à nous seuls qu'il revient de réaliser, de concrétiser ce plan, d'agencer ces matériaux les uns avec les autres.

 

  • I . La vie est inscrite dans un schéma déterministe
  • II . Le déterminisme n'empêche pas le choix, la liberté
  • III . La liberté de choix est commandée par le désir

« sentir, d'agir.

Cependant, ce conditionnement n'est pas total : ces manières de penser et d'agir certes permettentd'expliquer les actions et pensées futures de l'individu, mais elles lui permettent aussi de trouver, d' inventer de nombreuses réactions et pensées adaptées au monde social où il vit.

Tout comme la grammaire qu'on intègre étantjeune nous permet de former une infinité de phrases nouvelles, les dispositions de l'habitus sont des schèmes deperception et d'action qui rendent l'individu capable de produire de nouvelles pratiques sociales adaptées au mondedans lequel il vit, adaptation que Bourdieu nomme le « sens pratique ». Notre vie, nos actions, nos pensées, sont donc à la fois déterminées (biologiquement, socialement), mais ce déterminisme ne semble pas empêcher à l'homme d'inventer, à partir de ces déterminations, ses propres pensées etpratiques.

Autrement dit, notre vie semble à la fois être l'effet de ce qui nous détermine et de notre liberté.

Nous en sommes les auteurs, tout en en étant pas les auteurs : comment comprendre ce qui semble contradictoire ? II .

Le déterminisme n'empêche pas le choix, la liberté « Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la compose embrasserait dans la même formule les mouvements des plusgrands corps de l'univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir, comme lepassé, serait présent à ses yeux.

» Laplace, dans l' Essai philosophique sur les probabilités , fait, par cette formule, l'hypothèse d'un démon qui pourrait connaître toutes les causes qui agissent dans le monde.

Ce démon pourrait alorsdire exactement comment nos vies se dérouleraient, car elles seraient strictement déterminées, cad qu'elles seraienttoujours l'effet de quelques causes.

De cette manière, Laplace élimine tout imprévu : rien ne serait imprévisible.

Nosvies pourraient entièrement être prévues à l'avance par une intelligence infinie, pour peu qu'une telle intelligenceexiste.

Mais dire cela, c'est nier toute forme de liberté à l'individu, car la liberté est justement ce qui peut faireapparaître quelque chose d'imprévu, de nouveau.

La liberté est une forme de spontanéité, tout comme l'inspirationd'un auteur est une forme de liberté.

Selon Laplace, donc, aucune liberté n'est possible, donc nous ne pouvons enaucun cas être auteurs de nos vies : bien au contraire, une intelligence infinie pourrait écrire nos vies, les prédire,avant même que nous les vivions.

Nous n'en serions tout au plus que les personnages, agissant au gré des causesqui nous déterminent à agir.

Le véritable auteur serait le déterminisme. Une telle hypothèse trouve de nombreux arguments en sa faveur, comme ceux énoncés plus haut (première partie).

Pourtant, même si nos vies semblent déterminées génétiquement, socialement, historiquement, cela nesemble pas empêcher aux individus d'avoir une certaine marge de manœuvre par rapport à ce déterminisme.

Il nes'agit pas de dire que nous pourrions nous libérer de ce déterminisme, pour devenir tout à coup auteurs de nos vies, mais il s'agit de montrer que nous avons une liberté d'user de ce déterminisme, de construire à partir de lui notre vie. Epictète, dans Les Entretiens , explique comment nous sommes à la fois déterminés et libres, ce qui semblent contradictoire.

Pour le comprendre, il prend une image : nous sommes des acteurs.

Chaque acteur a un thème qui lui est imposé et qui ne dépend pas de lui.

Mais il a aussi un rôle : par ce rôle, l'acteur joue de la manière qu'il veut le thème qui lui a été donné.

Par exemple, si l'on demande à un acteur de jouer la colère, il n'a plus le choix duthème (il ne peut plus choisir de jouer la joie, ou la jalousie etc.), mais il peut choisir la manière de jouer la colèreparmi une infinité de manière de jouer celle-ci (par de cris, par des regards, par des gestes etc.).

Dire que noussommes des acteurs, c'est dire que nous ne choisissons pas le thème de notre vie (être né à tel moment, en tellieu, être de telle taille, de telle force, de telle intelligence etc.), mais nous choisissons notre rôle, cad la manièredont nous allons vivre cette vie, avec tout ce qu'elle nous impose.

Nous ne choisissons pas de vivre, mais nouschoisissons notre existence, notre manière de vivre notre vie.

Ainsi, nous ne choisissons pas de mourir en général,mais nous pouvons choisir de mourir de telle ou telle façon, à tel ou tel moment.

Nous pouvons choisir le sacrifice, lesuicide, la mort pour l'honneur : « la porte est ouverte », écrit Epictète pour insister sur la liberté que nous avonsde choisir notre mort.

Par là, ne sommes-nous pas en un sens « auteurs » de notre vie (ici de notre mort) ? Toutcomme Bourdieu décrit le caractère « générateur » de l' habitus (cad le fait que les dispositions qui conditionnent l'individu lui donnent en même temps les moyens de produire par lui-même une infinité de pratiques nouvelles),Epictète montre qu'à partir du grand nombre de choses qui ne dépendent pas de nous mais qui font notre vie, nouspouvons jouer le rôle qui nous plaît. Exister, c'est s'arracher à ce que nous sommes, à notre être-là.

C'est l'idée que développe Sartre dans l'Etre et le néant , chap.

IV, « la facticité » : nous avons un corps, qui est tel qu'il est, là, et nous sommes nés à tel moment. Mais cette « facticité », ce « fait » d'être là, comme ça et non pas autrement, c'est le point duquel nous partonssans cesse, que nous dépassons sans cesse par notre liberté vers notre « projet » : le corps, pour Sartre, est ainsi« le dépassé ».

Pour le comprendre, prenons un exemple : lorsque j'ai le projet de maigrir, je nie mon corps tel qu'ilest pour le voir autrement, non plus tel qu'il est mais tel que je veux qu'il soit .

Je dépasse ce que je suis vers ce que je projette d'être.

Je me rends auteur de mon existence.

On pourrait objecter que nous avons beau vouloir maigrir,nous n'y arrivons pas, par exemple parce que nous sommes trop gourmands.

Mais pour Sartre, une telle objection netient pas, car nous ne « sommes » pas gourmands comme une pierre « est » lourde.

L'être humain a une existencequi l'arrache constamment à ce qu'il est ; en un sens, l'être humain « n'est pas » : il existe, il se projetteconstamment hors de ce qu'il est vers ce qu'il sera.

La pierre, elle, adhère à ce qu'elle est, elle « est » mais« n'existe pas » ; elle ne peut nier son être pour le dépasser vers un projet ; tandis que l'homme ne peut pasadhérer à ce qu'il est.

« Nous sommes condamnés à être libres », écrit Sartre dans l' Existentialisme est un humanisme . La liberté nie le donné par le projet qu'elle se donne.

C'est ce qui explique qu'on puisse être à la fois déterminés tout en étant profondément libres.

Pour Sartre, il faudrait alors dire que nous ne « sommes » pas auteurs de nosvies, mais nous « devenons » les auteurs de nos vies en existant . Finalement, c'est en jouant le donné qui constitue notre vie (notre thème), en existant que nous devenons les. »

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