Devoir de Philosophie

Sciences & Techniques: Quelques propos sur la chimie actuelle

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

chimie
La chimie d'aujourd'hui a son mot à dire partout où il y a de la matière, que cette dernière soit inerte ou vivante. Elle est devenue une science universelle. Interview de Jean Jacques, chimiste et directeur de recherche honoraire au CNRS. Michel de Pracontal : Pour le "chimiste ordinaire" que vous êtes, que reste-t-il aujourd'hui de l'apport fondateur de Lavoisier ? Pr Jean Jacques : Je crois qu'il y a plus de continuité que de ruptures. Certes, au cours des cinquante dernières années, on a atteint une connaissance de la matière dont Lavoisier n'aurait pas rêvé. On "voit" les molécules. Mais Lavoisier a déjà l'idée que la matière est compréhensible par une démarche expérimentale et quantitative. Son instrument privilégié est la balance. Aujourd'hui, la dimension quantitative s'exprime à travers des appareils sophistiqués comme la RMN (résonance magnétique nucléaire) et les rayons X dont les signaux sont numériquement codés. On ne mesure plus des poids, mais des fréquences ou des longueurs d'onde. N'empêche qu'il faut toujours traduire l'observation en termes chiffrés.
chimie

« M.

P. : L'explosion de la biologie moléculaire fait apparaître le vivant comme un tissu de réactions chimiques.

Lavoisier aurait-il pu avoir cette notion ? J.

J. : Il a été un pionnier en ce sens qu'il a vu que la respiration était une combustion, qu'il existait des relations entre des réactions chimiques et la vie.

On trouve déjà chez Diderot ou certains de ses contemporains une tendance matérialiste spontanée.

Mais c'estvraiment à partir du XIXe siècle que l'on a compris que la chimie du vivant n'était pas différente de celle du laboratoire, qu'il n'y avait pasde force vitale.

La synthèse de l'urée est effectuée en 1828.

A partir du moment où l'on a su réaliser de nombreuses transformations,on a pu clairement poser le problème. Aujourd'hui, on en sait beaucoup plus sur la chimie du vivant, mais il subsiste de nombreuses inconnues.

Le chimiste est incapabled'établir une relation certaine entre une structure moléculaire et ses effets biologiques.

Quand on fabrique une molécule nouvelle, on nesait pas a priori si ce sera un médicament ou un poison.

On ne peut pas découvrir le remède au sida par la chimie seule.

Il reste tout un aspect inexpliqué des relations de molécule à molécule, du biologique et du non-biologique.

On ne comprend pas vraiment lesphénomènes de reconnaissance qui permettent, par exemple, à un neurotransmetteur ou à un médicament de se fixer sur un récepteur.

La métaphore de la clé et de la serrure, fréquemment utilisée pour décrire l'interaction entre un messager chimique et unrécepteur, n'explique pas la nature exacte de cette interaction. M.

P. : La découverte d'une substance ayant tel ou tel effet biologique relève-t-elle donc du pur hasard ? J.

J. : Prévoir à partir de rien ce que sera une molécule, c'est impossible.

De ce point de vue, on en est encore à une chimie prélavoisienne.

Quand Carl Scheele a découvert le chlore, en 1774, il ne s'imaginait évidemment pas qu'on en ferait un gaz de combaten 1917.

Le DDT a été synthétisé par un jeune thésard autrichien trente ou quarante ans avant qu'on découvre ses propriétésd'insecticide.

Le contre-exemple, c'est le perfluoroisobutène, le gaz de combat le plus actif actuel.

Il a été mis au point à partird'études de spectrographie.

Mais, heureusement, il n'a jamais servi. La situation n'a pas tellement changé.

Mais on peut quand même appliquer certaines règles, et tirer quelques déductions.

Ce querappelle par exemple l'histoire de la découverte de la pilule contraceptive. M.

P. : Certaines directions actuelles de la chimie ne vont-elles pas permettre de comprendre plus intimement les interactions entre différentes molécules ? J.

J. : La chimie du XIXe siècle s'est limitée à l'étude des molécules isolées.

On s'intéresse à présent aux relations entre espèces moléculaires, à une espèce de sociologie des molécules.

Par exemple, Jean-Marie Lehn, qui a eu le prix Nobel en1987, étudie des molécules "pièges", les cryptates, qui sont capables de reconnaître des ions et de les enfermer.

Lehn essaie d'étendre l'idée de labiologie à des objets totalement artificiels, synthétiques, capables de se reconnaître.

Mais pour l'instant, il s'agit de modèlesbeaucoup plus simples que des enzymes ou des protéines, des molécules d'une centaine d'atomes alors que celles du vivant en ontdes centaines de milliers ou plus. M.

P. : Outre leur complexité, qu'est-ce qui caractérise les molécules du vivant ? J.

J. : Une propriété particulièrement intéressante est la chiralité, sujet qui m'a occupé de 1970 à 1985.

Une molécule chirale, c'est une molécule non superposable à son image en miroir, comme la main gauche n'est pas superposable à la droite (chiral vient du greccheir, main).

C'est-à-dire qu'elle possède une forme "gauche" et une forme "droite", comme par exemple la double hélice d'ADN.

Lephénomène de la vie est associé à l'existence de la chiralité : les acides nucléiques et les protéines sont latéralisés.

Dans la nature,on les trouve toujours avec une orientation et pas l'autre.

Les enzymes ne reconnaissent qu'un seul énantiomère (forme "gauche" ouforme "droite"), l'organisme vivant ne reconnaît qu'un des antipodes d'un médicament .

Certains insecticides comme la deltaméthrine, ne sont actifs qu'à l'état d'un seul antipode.

Elle existe sous deux formes, dont l'une n'agit pas. C'est Pasteur qui, le premier, a montré, au cours de ses fameuses recherches sur l'acide tartrique, que les molécules du vivant sont chirales.

Pourquoi la vie a-t-elle choisi un sens ? Pourquoi tous les acidesaminés sont-ils dans la même famille ? On a des hypothèses, mais ce n'est pas vraiment expliqué.

Onsuppose qu'au départ, il y a un léger excès de molécules d'une forme par rapport à l'autre.

Cet excèsserait une conséquence du fait qu'au niveau des particules élémentaires, il existe une dissymétrie gauche- droite.

Ensuite, les formes excédentaires ont pu être sélectionnées lorsque la vie a commencé à sedévelopper.

Cette sélection serait liée au fait que deux molécules se reconnaissent plus ou moins bien selon leur orientation.

Certaines expériences semblent le démontrer.

La chiralité est en tout cas au cœur des mécanismes subtils quirégissent la chimie du vivant.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles