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Sciences & Techniques: L'invention du médicament moderne

Publié le 22/02/2012

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En quoi diffère-t-il des autres ? Par la façon dont il est conçu ? Pas vraiment... Par une meilleure connaissance de sa chimie ? Pas davantage... En fait, qu'est-ce qu'un médicament moderne ? Une molécule qui a traversé une épreuve à laquelle nul, avant les années 1950, n'avait songé. Une épreuve qui a tout changé... Tous les psychiatres considèrent l'année 1952 comme un tournant décisif. Pour certains, disposer du premier neuroleptique, la chlorpromazine, a constitué un événement aussi important que les bouleversements introduits par Philippe Pinel au moment de la Révolution française (demeurés dans la légende inventée de toutes pièces par son fils, Scipion Pinel, et représentés par l'" enlèvement des chaînes " des malades mentaux). Pourquoi ? Pour comprendre cet événement, il nous faut élargir notre champ de vision. Car dans ces années cinquante, c'est la notion même de médicament qui est complètement transformée.

« biologiques.

Elles nous disent seulement : " Ça marche " ou " ça ne marche pas ". L'invention des modèles animaux Cette nouvelle manière d'inventer les médicaments va radicalement transformer les pratiques qui précèdentpuis accompagnent la commercialisation des médicaments.

En amont, on essaie donc de trouver desméthodes les plus prédictives possibles de ce qui va se passer lors de l'essai contre placebo chez desêtres humains.

Et pour ce faire, on recourt à la pharmacologie animale.

On tente alors de mettre au pointdes tests prédictifs et facilement reproductibles sur des animaux, eux-mêmes redéfinis dans ce processusparce que devenus hybrides à la suite de modifications de comportements résultant d'apprentissages ou,depuis peu, de modifications génétiques.

Ces tests permettent non seulement de savoir si le médicament est toxique mais aussi s'il est potentiellement efficace. Les essais de médicaments sur des animaux de laboratoire sont très récents.

En effet, lorsque entre lesdeux guerres, Alexander Fleming (à l'origine de la pénicilline ) travaillait sur des projets de vaccins, il ne testait pas ses hypothèses sur des animaux de laboratoire : il passait directement de l'éprouvette à l'êtrehumain.

Tout comme, au cours de la Première Guerre mondiale, lorsque l'équipe de chercheurs, à laquelleil appartenait, ouvrit une controverse dans le Lancet avec les médecins militaires anglais sur le vaccinqu'elle prétendait avoir réussi à mettre au point (mais que l'utilisation d'antiseptiques pour désinfecter lesplaies rendrait inefficace), personne ne songea à définir un modèle animal.

En fait, il y eut des essais systématiques sur des animaux de laboratoire lorsqu'il y eut des essais contrôlés sur des groupes humains. Avec la chlorpromazine, chef de file de la classe des neuroleptiques, on va inventer le médicamentmoderne dans l'un des secteurs de la médecine, la psychiatrie .

Parce qu'elle est dérivée d'une série d'autres médicaments, la chlorpromazine ne fait pas l'objet d'études chez l'animal qui permettraient de "prévoir " son efficacité sur la schizophrénie.

En ce sens, elle est donc fondatrice.

Pourtant, elle s'inscritaussi dans la période qui s'ouvre : car dès que l'on a constaté son efficacité sur l'homme, on étudie seseffets sur l'animal.

Et ce, de manière très empirique.

C'est seulement a posteriori qu'on observe les effetsproduits par cette molécule sur des rats.

Ils sont spectaculaires : les animaux sont en état cataleptique. De là, on perfectionne rapidement la possibilité d'observer cet effet par la " correction des stéréotypies induites par une autresubstance, l'apomorphine ". On dessine alors une sorte de " moulage " qui sera systématiquement utilisé pour tester de nombreuses autres molécules, qu'ellessoient originales ou qu'elles appartiennent à la même famille chimique que la chlorpromazine.

A partir de 1952, l'invention s'organiseautour d'un aller-retour entre le moulage (qui évolue, se perfectionne et se diversifie) et les effets observés en clinique humaine.

Oncrée ainsi des lignées chimiques.

Bien qu'elles croisent régulièrement la biologie animale et humaine, cette science ne constitue pasleur point de départ.

C'est cette idée de " moulage " (d'un animal entier, d'un organe ou de cellules en culture) et non celle dite de "clef-serrure " (un récepteur biologique, dont le mauvais fonctionnement, concomitant à une pathologie, est comparé à une serrure pourlaquelle on s'efforce de dessiner une molécule - la clef - qui lui permettra de fonctionner normalement) qui nous semble le mieuxdécrire les manières d'inventer les médicaments. Une guerre sans pitié C'est peut-être en aval que les modifications provoquées par les médicaments modernes sont les plusextraordinaires.

Si l'étude contre placebo nous paraît désormais relever du bon sens, il aura fallu attendrelongtemps pour que ce type d'essais soit obligatoire.

Aujourd'hui, c'est devenu un mot d'ordre, adressérégulièrement aux médecines traditionnelles non modernes (l'homéopathie par exemple) : comparez vossubstances à un placebo! La réalisation de telles études n'est pourtant pas si simple : il faut pouvoir constituer des groupes homogènes de patients dont tous les membres sont comparables.

Or, si un certain nombre de pathologies sont facilementobjectivables, comme une hypertension artérielle ou une infection microbienne, il n'en est pas de même en psychiatrie .

On ne dispose en psychiatrie d'aucun instrument de laboratoire permettant de faire un test objectivant la pathologie.

Pourtant, on a déployé deconsidérables efforts pour tenter d'en trouver.

On a cherché des " marqueurs " de la dépression ou de la schizophrénie à l'intérieur d'échantillons sanguins ou d'images cérébrales obtenues avec des outils sophistiqués, comme la caméra à positons.

Aucun ne s'estrévélé efficace.

Jusqu'à présent, tous les efforts ont été déçus.

Les psychanalystes, eux, s'en réjouissent; ils considèrent en effet quechercher une cause organique à ce type de troubles est une erreur de méthodologie. En 1905, on comprit que la paralysie générale (l'une des principales pathologies alors rencontrées dans les asiles) n'était qu'un effetde la syphilis sur le cerveau .

Si ceci constitua à l'époque un événement, cela ne fonde en aucun cas un droit de la raison.

Car rien ne permet de dire qu'une telle découverte se renouvellera pour les autres troubles mentaux. A partir de 1952, les psychiatres voulant expérimenter les médicaments dans des études contre placebo se heurtent donc à ladifficulté de constituer des groupes homogènes de patients dont on puisse dire : ils souffrent tous des mêmes troubles mentaux,indépendamment de leur histoire personnelle, dont la prise en compte se situe au cœur des psychothérapies (et en premier lieu de lapsychanalyse ), et au-delà, de toute l'invention psychiatrique depuis Pinel.. »

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