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Sciences & Techniques: James Joule : entre économie et physique

Publié le 22/02/2012

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physique
Comment tirer le meilleur parti de la force des hommes sans augmenter leur fatigue ? A partir de cette interrogation d'ordre économique et social, les notions de "travail utile" et de rendement se précisent. Au début du XIXe siècle, la mécanique industrielle s'en empare et donne au mot "travail" une définition très simple. Avec l'avènement de la thermodynamique, la circulation des concepts entre économie et physique s'intensifie... La thermodynamique exerce sur les penseurs sociaux une véritable fascination, qui ne s'est pas démentie jusqu'à aujourd'hui. Dès la fin du XIXe siècle, on voit dans l'énergie un instrument de mesure universelle, susceptible de se substituer, pour plus de transparence et de justice sociale, à la mesure économique ordinaire, le prix monétaire. Certains socialistes essaieront par exemple de réécrire sur cette base la théorie de Marx. Citons aussi Ernest Solvay, l'inventeur du procédé moderne de fabrication de soude caustique, riche industriel et philanthrope, qui créera au début du siècle à Bruxelles un institut d'"énergétique sociale". Aujourd'hui, ce sont moins des préoccupations de justice sociale que d'équilibre écologique, qui poussent certains économistes à se tourner vers l'énergétique. Mais, dans sa nature, la démarche est la même : pour ces auteurs, l'énergie constituerait un instrument de mesure des phénomènes économiques et sociaux, susceptible de se substituer avantageusement aux mesures économiques ordinaires, sources de confusions et d'effets pervers.
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« sous l'expression de "science des machines"; elle deviendra au XIXe siècle la "mécanique industrielle ". Il faut préciser ici la notion classique de "machine", qui désigne un dispositif de circulation de mouvement mécanique, et s'oppose àcelle de "moteur", qui est à l'origine de ce mouvement.

A l'époque classique, on distinguait deux types de moteurs : les "moteursnaturels" (chutes d' eau , force du vent) et les "moteurs animés" (hommes et animaux).

Depuis la Renaissance, les mécaniciens avaient montré l'impossibilité du "mouvement perpétuel", c'est-à-dire l'incapacité des machines à "créer" de la "force dynamique".

Aquoi servaient-elles alors? A diriger et à modifier l'allure de la force fournie par le moteur, en respectant l'adage classique " ce qu'on gagne en mouvement on le perd en vitesse ".

C'est-à-dire que l'on pouvait, non seulement transporter la force dynamique au point précis où l'on voulait agir, mais, suivant l'objectif, soit augmenter la distance parcourue pour accroître la force instantanée (cas dutreuil), soit à l'inverse produire de la vitesse comme dans l'entraînement d'une machine à coudre.

Mais l'usage d'une machine n'est passans coût en force vive : une partie de cette force se perd au cours du processus en chocs et en frottements.

Mesuré en "travail",l'"effet utile" ne constitue donc qu'une portion de la force vive dépensée.

L'objectif du mécanicien est alors d'améliorer le rendement dela machine, soit le rapport de l'effet ou travail utile sur le travail total dépensé; ce "rendement mécanique" serait, à l'idéal, pratiquementinatteignable, égal à un. Telle est en quelques mots la signification du concept de travail dans la mécanique du début du XIXe siècle.

On voit que ce conceptapparaît dans une optique explicitement économique : mesurer la production (travail utile), le coût d'usage (travail total) et finalement lerendement (rapport du travail utile sur le travail total) des machines.

Dès la fin du XVIIIe siècle, Montgolfier avait affirmé dans un adageresté célèbre : " La force vive est celle qui se paie ".

En 1819, Navier sera encore plus clair en affirmant que l'objectif de la mécanique industrielle est d'"établir une sorte de monnaie mécanique, si l'on peut s'exprimer ainsi, avec laquelle on puisse exprimer les quantitésde travail employées pour effectuer toute espèce de fabrication".

Dans ce texte, Navier n'emploie pas encore le terme "travail" dansson acception physique moderne (il appelle ce produit "quantité d'action").

Pourtant, comme on le voit, le terme travail apparaîtspontanément sous sa plume dans le sens commun, celui de l'activité économique.

En effet, pour penser le rendement des machines,ce physicien est amené à procéder à un jeu complexe d'analogies entre l'homme et la mécanique.

Pour lui, ce que réalise la machinepeut être considéré comme du "travail", puisqu'elle se substitue à l'homme dans la fabrication de l'ouvrage.

Mais de même, le coûtd'usage de la machine peut être considéré comme du travail, puisque sa dépense peut être fournie par un moteur naturel (chute d'eau)mais aussi bien par l'homme.

Cette double analogie permet de comprendre l'origine des expressions "travail utile" et "travail total".Mais elle invite à revenir à la signification du concept ordinaire de travail, c'est-à-dire celui de l'homme.

Pour cela, il nous faut présenterl'œuvre d'un précurseur dont Navier s'est beaucoup inspiré : Coulomb. Sources de travail : l'homme et le charbon Charles-Augustin Coulomb (1736-1806), connu comme un des fondateurs des théories électriques, est de cette générationd'ingénieurs militaires, grands commis de l'Etat, qui, dans la tradition de Vauban et de Bélidor, anticipe la figure du polytechnicien.Envoyé en 1764 à la Martinique construire le Fort-Bourbon (futur Fort-de-France), il s'est intéressé à l'organisation de l'important travailde manutention requis pour ce genre de constructions.

Il en tirera un texte célèbre, connu sous le nom de Mémoire sur la force des hommes , qui fit l'objet de diverses communications à l'Académie des sciences entre 1778 et 1798.

Ce mémoire, qui porte exclusivement sur l'emploi de la force humaine, a constitué la principale inspiration de Navier et, plus généralement, le texte fondateurde toute la mécanique industrielle du XIXe siècle.

En effet, c'est en se penchant sur la notion ordinaire de travail que Coulomb adégagé les concepts de travail utile et travail total et, partant, le principe du rendement : " Il y a deux choses à distinguer dans le travail des hommes ou des animaux : l'effet que peut produire l'emploi de leurs forces appliquées à une machine, et la fatigue qu'ils peuventéprouver en produisant cet effet.

Pour tirer tout le parti possible de la force des hommes, il faut augmenter l'effet sans augmenter lafatigue; c'est-à-dire qu'en supposant que nous ayons une formule qui représente l'effet, et une autre qui représente la fatigue, il faut,pour tirer le plus grand parti possible des forces animales, que l'effet divisé par la fatigue soit un maximum ". Coulomb montre que l'effet, qu'il est toujours possible de ramener par expérience de pensée à l'actiond'élever un corps pesant, peut se mesurer dans ce que les physiciens appelleront bientôt du "travail" (ilparle quant à lui, comme plus tard Navier, de "quantité d'action").

Il suppose par ailleurs que la fatigue aaussi les dimensions d'un travail.

Coulomb ne développe pas cette dernière hypothèse, qui est pourtantétayée à la même époque dans un mémoire de son ami Lavoisier : Sur la respiration des animaux (1789). Assimilant la respiration à un processus de combustion par l'oxygène, Lavoisier montre que celle-cis'accélère avec le rythme de l'activité, et il émet alors l'idée que tout effort pourrait être mesuré en "travail" : "Ces lois sont même assez constantes, pour qu'en appliquant un homme à un exercice assez pénible, on puisse conclure à quelpoids, élevé à une hauteur déterminée, répond la somme des efforts qu'il a faits pendant le temps de l'expérience ". Cette hypothèse de Lavoisier fera l'objet d'un débat scientifique qui se poursuivra tout au long du XIXe siècle.

En fait, Lavoisieranticipait là un modèle thermodynamique complexe, car le principe de conservation de l'énergie ne put être définitivement vérifié enbiologie qu'après la mise en évidence de l'énergie chimique par Berthelot en 1865.

Auguste Chauveau définira alors le "travailphysiologique" (1891), puis les expériences de Rubner sur le chien (1894) suivies par celles d'Atwater sur l'homme (1899) confirmerontdéfinitivement les intuitions de Lavoisier .

En 1909, Jules Amar, contemporain de Taylor, qui développera en France la physiologie appliquée au travail professionnel, pourra soutenir une thèse intitulée Le rendement de la machine humaine .

Ainsi, le concept de travail, que la physique avait emprunté au sens commun est, au terme d'un long parcours, revenu, formalisé, à ses origines : l'étude del'activité professionnelle.

On pourrait croire, au vu des débats du début du siècle, que les organisateurs du travail auraient détournésans précaution un concept physique; c'est en fait pratiquement l'inverse : les sciences de l'homme ont en quelque sorte repris unsiècle plus tard ce que la physique leur avait emprunté. L'étude de l'activité humaine économique est donc à l'origine de la thermodynamique et en conséquence la "machine humaine" futainsi une des premières machines thermodynamiques analysées.

Si Joule lui-même s'y intéressa peu, le cas de la machine humaine. »

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