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Schopenhauer : désir et souffrance

Publié le 27/02/2008

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schopenhauer
Tout vouloir procède d'un besoin, c'est-à-dire d'une privation, c'est-à-dire d'une souffrance. La satisfaction y met fin; mais pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés; de plus, le désir est long, et ses exigences tendent à l'infini; la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême lui-même n'est qu'apparent: le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d'aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C'est comme l'aumône qu'on jette à un mendiant: elle lui sauve aujourd'hui la vie pour prolonger sa misère jusqu'à demain - Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l'impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu'il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n'y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c'est en réalité tout un: l'inquiétude d'une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu'elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience; or sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner, aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré. Schopenhauer, le Monde comme volonté et comme représentation (1818), Éd. P.U.F., 1992, §38
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« Pour désirer quelque chose, il faut que cet objet ne soit pas en ma possession.

Rappelons d'ailleurs que Leibniz définissait le désir, dans son ouvrage intitulé Nouveaux essais sur l'entendement humain comme « l'inquiétude qu'un homme ressent en lui-même par l'absence d'une chose que l'on sait être source de satisfaction.

» Platon faisaitd'ailleurs une analyse similaire en affirmant que Eros désirait la beauté parce que justement il n'était pas beau, néd'une mère Pénia( pauvreté) dépourvue de tout.

Si le désir naît d'un manque, alors nous dit Schopenhauer, il estaccompagné de souffrances.

Leibniz insiste aussi sur l'inquiétude qui accompagne le désir.

Tant que nous n'avonspas ce que nous voulons, nous souffrons et la représentation de l'objet désiré nous rappelle plus encore que nous nel'avons pas.De plus, nous rappelle Schopenhauer, quand nous privilégions la recherche de satisfaction d'un désir, nous sommesobligés de retarder la satisfaction des autres et même nous allons à l'encontre de celle-ci.

C'est pour cela qu'ilécrit : « pour un désir qui est satisfait, dix au moins sont contrariés.

» Réfléchissons : si je désire avoir une nouvellevoiture, je vais vouloir les moyens, c'est-à-dire faire des économies et trouver l'argent nécessaire en travaillant.Mais si un autre de mes désirs est celui de m'amuser ou de ne pas travailler, alors je suis obligé de choisir entre lesdeux désirs.

Cela veut dire que l'un des deux me fera obligatoirement souffrir puisque je ne pourrais l'assouvir.L'homme est un être contradictoire comme le remarquera Nietzsche, le disciple de Schopenhauer.

Nous pouvonsvouloir des choses complètement opposées et cela nous apporte forcément des souffrances.Enfin, lorsque nous avons un désir, nous mettons en œuvre les moyens pour obtenir l'objet que nous pensons sourcede satisfaction.

Ces moyens demandent souvent beaucoup d'effort, de travail et de peine.

Si je veux devenir riche,il va falloir ainsi que je me prive pendant un certain, que je travaille d'arrache pied pour gagner de l'argent.L'obtention de l'objet de notre désir est difficile, pénible, coûteuse : « c'est une entreprise difficile d'obtenir, de conquérir un bien quelconque ; pas d'objet qui ne soit séparé de nous par des difficultés, des travaux sans fin »écrit-il dans un autre ouvrage.

Cette analyse rappelle l'analyse kantienne du bonheur.

Selon lui, celui-ci est illusoireet les hommes qui partent à sa recherche s'expose aux douleurs d'un labeur qu'il n'imagine même pas.

Le philosopheallemand dont Schopenhauer parle beaucoup écrit ainsi dans Critique de la raison pratique : « Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que de pièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête! Veut-il beaucoup deconnaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour luireprésenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et quisont pourtant inévitables » Le désir demande beaucoup de l'homme pour parvenir à satisfaction et ces exigencesentraînent de nouveau d'innombrables douleurs.Mais la joie de la satisfaction n'efface-t-elle pas toutes ces peines ? La satisfaction est éphémère et quasi inexistante- Dans un premier temps, Schopenhauer souligne la brièveté de la satisfaction.

Les efforts et le désir s'étendentdans le temps, le philosophe précise que le désir est « long ».

Cela coûte beaucoup de peines à l'homme.

On pourraitcroire que la satisfaction est proportionnelle aux obstacles surmontés et au temps passé.

Plus nous oeuvrons et plusnous attendons et plus la satisfaction est grande.

Ce n'est pas le cas.

La satisfaction ne dure jamais réellement,« elle est courte » et n'est jamais cette grande explosion de joie et de jouissances que nous attendons.

Le terme« parcimonieusement » que le philosophe emploie renvoie à une économie rigoureuse, qui mesure de manière stricte.Les jouissances sont donc limitées.

Il n'y a donc pas de « contentement suprême ».

Pourquoi ? Pour plusieursraisons : d'une part, Schopenhauer précise dans la suite de son texte que la satisfaction est négative, c'est-à-direqu'elle apparaît simplement comme la disparition des douleurs accompagnant le désir.

Il n'y a pas de joie, justel'arrêt des souffrances.

D'autre part, nous dit-il ici, aucune satisfaction ne dure parce que le désir est insatiable etrenaît toujours pour un nouvel objet.

Il affirme en effet que la satisfaction dépend du désir, or quand la satisfactiondisparaît, le désir aussi et de ce fait l'existence de la satisfaction semble problématique.

Il semble que le désir refusela satisfaction puisqu'une fois satisfait, il disparaît pour renaître sous une nouvelle forme, pour un nouvel objet.

Lajouissance par suite n'a pas le temps de s'installer, chassée par un nouveau désir.

Mais surtout nous dit l'auteur, lasatisfaction n'apporte rien, elle ne produit aucun effet positif.

Elle se contente juste de ramener le sujet à un étatdéjà connu, l'état préalable au désir.

On n'a en effet simplement gagné d'être revenu à l'état où l'on se trouvait avant l'apparition de ce désir.

» Il n'y a donc aucune évolution, aucune amélioration entre le moment qui précède et celui qui suit le désir.

La jouissance n'a par suite aucun intérêt.- De fait, le désir est toujours couronné de déception et l'image de l'homme qui apparaît dans ce texte est asseznégative.

En effet, si le premier désir est une déception reconnue et que l'homme désire tout de même quelquechose de nouveau, c'est qu'il ne sait pas prendre acte de ses expériences et recommence toujours les mêmeserreurs.

Mais c'est parce que nous l'avons dit l'homme est une créature de la volonté.

Il ne peut pas se défaire dudésir et si jamais la volonté venait à ne rien désirer, précise-t-il dans La volonté comme volonté et comme représentation , alors l'homme serait en proie au plus profond ennui.

Il est donc toujours pousser à désirer, ce qui empêche une jouissance durable d'exister.

Elle est chassée par un nouveau désir.Le mythe platonicien qu'il reprend à la fin du texte est d'ailleurs significatif.

Platon dans Le gorgias , compare en effet le désir au tonneau percé des Danaïdes.

Les Danaïdes étaient condamnées à un châtiment : elles devaient remplirun tonneau.

Or, ce dernier état percé et il se vidait pendant qu'elles le remplissaient.

De fait, il était impossible àremplir et le châtiment était éternel.

De même, Ixion fait partie des grands suppliciés de la mythologie : il étaitattaché à une roue par des serpents et cette roue tournait toujours.

Cela illustre le fait que le désir revient toujours, que l'homme est sur la roue du désir sans jamais pouvoir l'arrêter.

Le désir a une nature proche : il ne peutjamais être comblé et l'existence humaine, soumise aux désirs, ressemble à ces châtiments éternels.

Rappelonsd'ailleurs que l'étymologie du désir est le terme latin desidare( ( de marque la négation et sidus signifie astre) : désirer c'est donc manquer d'un astre, souffrir de l'absence d'un objet idéal.

D'où son impossibilité à satisfaire.C'est en ce sens que Schopenhauer compare la satisfaction du désir à l'aumône.

La satisfaction du désir, comme la. »

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