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Sartre et le cubisme

Publié le 17/04/2009

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On a coutume, depuis le cubisme, de déclarer que le tableau ne doit pas représenter ou imiter le réel, mais qu'il doit constituer par lui-même un objet. Cette doctrine, en tant que programme esthétique, est parfaitement défendable et nous lui devons de nombreux chefs-d'oeuvre. Encore faut-il bien l'entendre. Si l'on veut dire que le tableau, tout dépourvu de signification qu'il soit, se présente en lui-même comme un objet réel, on commet une grave erreur. Certes il ne renvoie plus à la Nature. L'objet réel ne fonctionne plus comme analogon d'un bouquet de fleurs ou d'une clairière. Mais quand je le « contemple » je ne suis pas, pour autant, dans l'attitude réalisante. Ce tableau fonctionne encore comme analogon. Simplement ce qui se manifeste à travers lui c'est un ensemble irréel de choses neuves, d'objets que je n'ai jamais vus ni ne verrai jamais mais qui n'en sont pas moins des objets irréels, des objets qui n'existent point dans le tableau, ni e part dans le monde, mais qui se manifestent à travers la toile et qui se sont emparés d'elle par une espèce de possession. Et c'est l'ensemble de ces objets irréels que je qualifierai de beau. Jean-Paul SARTRE, L'Imaginaire (1940), Gallimard, coll. « Idées », 1975, p. 365-366.

Comprendre la démarche    Sartre réfléchit ici à la nature et au sens d'un certain type d'objet : lequel ?    Cherchez dans une encyclopédie ou une histoire de l'art des informations sur le cubisme et quelques reproductions de tableaux de ce courant. Quel adjectif qualifie exactement ces oeuvres: « réalistes «, « figuratives «, « abstraites « ? En quoi ces oeuvres fournissent-elles à Sartre une bonne occasion de poser le problème qui est le sien ici ?    Analysez la quatrième phrase du texte (l. 5-7) : comment faut-il comprendre ici le mot «signification« et pourquoi est-ce, d'après Sartre, une «grave erreur« de considérer le tableau cubiste comme un «objet réel« ?    Exposez le paradoxe de irréels« (l. 13).    Pour Sartre, on ne peut plus prendre le tableau cubiste comme l'équivalent, l'analogon, de son motif. Pourtant, en le contemplant, le spectateur le fait encore fonctionner comme analogon : mais de quoi, cette fois ?    identifier les enjeux philosophiques    On considère certaines œuvres d'art, en peinture ou en littérature, comme réalistes. On dit aussi que l'artiste réalise ses œuvres. La notion de réalité a-t-elle la même signification dans ces deux cas ?    Si, comme le propose Sartre, on rompt avec les conceptions classiques, que devient le rôle de l'artiste ? Dans cette perspective, comment comprenez-vous la référence à «une espèce de possession« (l. 15)?    Qu'est-ce que ('«attitude réalisante« (l. 9-10) du spectateur ?    Expliquez ce qu'est cet ensemble de «choses neuves« que personne ne voit véritablement. Pourquoi le jugerons-nous « beau « (1.16) ?    Confrontez la conception de la sensibilité esthétique défendue par Sartre avec celle d'autres philosophes.

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« effectivement mais au contraire, la contemplation est une relation, un mode d'appréhension.

En ce sens, on peutdire qu'à travers ces quelques lignes, Sartre nous livre véritablement une phénoménologie de l'image, autrement dit,une observation et une description des phénomènes, entendu les images et de leurs modes d'apparition. Ainsi, si la question de la réalité ou de la représentation du tableau est évoquée ici c'est qu'il s'agit d'un cas paradigmatique dans la mesure où l'on pose à l'époque de Sartre le fait que l'art ne doit plus représenter la chose – ilne s'agit plus d'une copie – mais bien de donner à voir, c'est-à-dire donner corps, vie et réalité à la chose dans letableau.

Or pour Sartre il s'agit manifestement d'un contresens puisqu'il ne faut pas voir le spectateur percevantcomme possédant une attitude réalisant de l'objet : il ne le fait pas être par son imagination consciente. Dans ce cas, on peut voir que le texte s'articule logiquement autour de deux moments : la critique de l'attitude réalisante en art (du début de l'extrait à « Mais quand je le « contemple » je ne suis pas, pour autant,dans l'attitude réalisante ») et la fonction irréalisante de l'imagination perceptive (de « Ce tableau fonctionne encorecomme analogon » à la fin de l'extrait).

C'est suivant ces deux points que nous entendons entre compte du texte. I – La critique de la fonction réalisante en art a) Sartre part de l'exemple du cubisme comme cas paradigme, ou cas d'école de la remise en cause de la valeur représentative en art.

En effet, il ne s'agit nullement de prendre exemple sur la nature ou de l'imiter voir de rivaliseravec elle comme aurait pu le faire un Zeuxis ou un Praxeas en Grèce antique, mais de voir que l'art ne rechercheplus à rendre compte d'une perception.

Il ne s'agit de décalquer la réalité pour la rendre sur un tableau.

On necherche plus à faire vrai et à respecter les proportions et l'anatomie des corps.

Au contraire, on peut parler d'unedéstructuration des corps et des objets.

Et c'est bien pour cela que le cubisme apparaît comme une rupture dansl'histoire de l'art, annonçant l'art moderne et cette tension de plus en plus d'abstraction.

On peut dire que lecubisme s'est développé de 1907 à 1914 à l'initiative des peintres Georges Braque et Pablo Picasso.

Et ce rapport àla nature s'exprime parfaitement dans une lettre de Cézanne à Émile Bernard, du 15 avril 1904, de laquelle sera tiréeune phrase souvent répétée pour justifier les théories cubistes : « Traitez la nature par le cylindre, la sphère, lecône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d'un objet, d'un plan, se dirige vers un point central ».

C'estdonc bien pour cela que Sartre dans la première phrase écrit : « le tableau ne doit pas représenter ou imiter le réel, mais qu'il doit constituer par lui-même un objet » b) En ce sens, donc le tableau est à lui-même son propre objet, c'est-à-dire qu'il ne renvoie pas à quelque chosed'extérieur qu'à lui-même.

Ou plus exactement, s'il a un rapport à l'extériorité du réel, il faut bien voir qu'il necherche en rien cette vérité ou cette réalité.

Néanmoins, si ce programme esthétique est novateur, il n'en demeurepas moins que du point de vue d'une analyse phénoménologique des modes d'être et d'apparaître de l'image, il fautbien constater qu'il ne faut pas entendre « constitue » son objet lui-même comme s'il s'agissait de faire venir à l'êtrequelque chose et lui offrir depuis ce néant qu'il était une assise ontologique consistante.

En effet, il ne faut pascroire que les portraits cubistes ont quelque chose de réel ou font réellement exister un nouvel objet.

Il n'en est riende tel.

Bien au contraire, ce n'est pas parce que le tableau ne renvoie qu'à lui-même en tant qu'il se constitue nonpas avec la nature par imitation mais justement par éloignement.

Il y a une grave confusion ou un grave danger àconfondre la notion de « réalité ».

Le tableau dans sa matérialité est réel tout comme pouvait l'être son modèle,mais il n'en demeure pas moins que la peinture, c'est-à-dire l'ensemble chromatique sur la toile n'est pas un objet etne peut ni ne pourra jamais l'être.

Cela signifie principalement que l'imagination perceptive pose toujours son objetcomme néant.

Bien plus, on pourrait se demander si l'objet du tableau était réel où il se situerait : dans laconscience ? c) Dire que le tableau ne renvoyant pas à un objet existant ou réel en dehors du monde esthétique ce n'est pas direque cet objet existe.

Il est une image, une figuration il ne possède pas les caractéristique de l'être réel.

Le réel estce qui existe dans le monde, dans la phénoménalité, ce qui possède un être et une valeur intrinsèqueindépendamment de la conscience qui l'observe.

Bien sûr le cubisme ne renvoie plus vers l'objet à la manière desclassiques, c'est-à-dire par imitation.

Une fleur n'est plus véritablement une fleur : elle est l'agrégat d'un ensemblede formes géométries et de lignes.

Mais il n'en reste pas moins que dans le plaisir esthétique de la contemplation, lespectateur ne crée pas l'illusion de l'existence de telles fleurs ou de telles femmes comme dans les Demoiselles d'Avignon de Picasso .

L'attitude réalisante consiste alors à faire exister dans la conscience imageante l'objet, ce qui est résolument impossible.

Il est toujours comme néant.. »

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