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Sartre et l'artiste

Publié le 09/05/2005

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sartre
Pour l'artiste, la couleur, le bouquet, le tintement de la cuiller sur la sou-coupe sont choses au suprême degré ; il s'arrête à la qualité du son ou de la forme, il y revient sans cesse et s'en enchante ; c'est cette couleur-objet qu'il va transporter sur sa toile et la seule modification qu'il lui fera subir c'est qu'il la transformera en objet imaginaire. II est donc le plus éloigné de considérer les couleurs et les sons comme un langage. Ce qui vaut pour les éléments de la création artistique vaut aussi pour leurs combinaisons : le peintre ne veut pas tracer des signes sur sa toile, il veut créer une chose ; et s'il met ensemble du rouge, du jaune et du vert, il n'y a aucune raison pour que leur assemblage possède une signification définissable, c'est-à-dire renvoie nommément à un autre objet (...) L'écrivain peut vous guider et s'il vous décrit un taudis, y faire voir le symbole des injustices sociales, provoquer votre indignation. Le peintre est muet : il vous présente un taudis, c'est tout ; libre à vous d'y voir ce que vous voudrez. J.-P. SARTRE

En affirmant que les arts visuels ne sont pas un langage, la position de Sartre est-elle originale ?

Pourquoi le cas de l'écrivain est-il différent ? En est-il de même pour le peintre ?

Puisqu'il s'agit d'esthétique, pensez à Kant et à Hegel.

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« phrases véhiculent des significations et des intentions : le lecteur peut être « guidé », et la description d'untaudis peut cette fois « provoquer l'indignation » parce que l'écrivain a la possibilité de le présenter comme «le symbole des injustices sociales ».• On peut remarquer que la comparaison établie par Sartre entre la peinture et la littérature est assezboiteuse : il aurait pu par exemple mentionner l'existence d'une peinture qui ne se prive pas de mettre encirculation des intentions : qu'il s'agisse des formes promues par le pouvoir nazi ou du réalisme socialistehistoriquement obligatoire sous Staline.

Sans doute Sartre juge-t-il qu'il ne s'agit pas là de peintureauthentique, que le message y prend trop de place et interdit la composition réellement artistique.

Ce enquoi il a raison, ne serait-ce que d'un point de vue kantien pour lequel il n'est pas question que le sujet d'uneoeuvre prenne le pas sur l'impression de finalité interne qu'elle produit, c'est-à-dire sur sa construction.Sartre préfère donc, à juste titre, le peintre « muet ».• Mais il est à craindre que son écrivain soit par contre trop « bavard ».

Ce que suggère ce qu'il en dit, c'estque l'écrivain a bien la possibilité, sinon le devoir, de prendre des positions morales ou politiques et de lesfaire connaître par son oeuvre.

Ce qui évoque évidemment sa théorie de « l'engagement », qui se justifie icipar le fait que ce avec quoi travaille l'écrivain est en soi-même doté de signification, mais fait du langage unsimple outil de communication, et non un matériau comparable à celui du peintre.• Pour des théoriciens et des praticiens plus récents de la littérature, il n'en va pas ainsi.

Selon RolandBarthes, est au contraire écrivain, au sens propre, celui qui considère le langage, non comme un instrumentde transmission (ce qu'il reste par contre pour celui que Barthes qualifie de simple «écrivant », alors queselon Sartre il est bien écrivain), mais bien comme un matériau, à travailler au même titre que le marbre pourun sculpteur ou la couleur pour un peintre.

Et Alain Robbe-Grillet prolonge cette distinction en ajoutant quele véritable écrivain n'a «rien à dire »...

ce qui prend exactement le contre-piedde Sartre.• Par ailleurs, il semble que l'écrivain sartrien, tel qu'il est ici présenté, ne puisse être poète, si l'on remarqueque la poésie fait un usage étrange des mots : elle tente en quelque sorte de les déconceptualiser en lesintégrant dans des métaphores qui en bousculent ou interdisent le sens propre.

Lorsque Lautréamont définitla beauté par « la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d'un parapluie et d'une machine à coudre», il met en crise, entre autres, le concept de beauté et le déporte vers ce qu'il sera pour une majeurepartie de la poésie moderne.

Du point de vue de Sartre, une telle proposition ne voudrait rien dire, ce qui est« vrai » si l'on s'obstine à vouloir que, dans la littérature, tout concept soit rigoureux — mais ramène aussi lalittérature à être un type de discours comparable à celui du journaliste ou du politique.• En repérant la peinture comme hétérogène au langage, Sartre ouvre une question ici sans réponse : d'oùvient le sens que l'on découvre malgré tout dans un tableau ? La solution ne pourra être abordée qu'à lacondition de comprendre le tableau comme une matrice formelle, susceptible de lectures différentes (ce quien garantit aussi la durée).

Dans la littérature, le sens serait immanent, et dépendrait des intentions del'écrivain : cette conception, mise en cause par de nombreux écrivains, suppose que l'écrivain maîtrise latotalité des sens possibles (contemporains et futurs, explicites et implicites, relatifs aussi bien auxdénotations qu'aux connotations) de chacun de ses mots et de chacune de ses phrases...

On devine qu'il ya là une impossibilité.. »

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