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SARTRE: Autrui et l'amour

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

sartre
En soi Autrui-objet n'a jamais assez de force pour occasionner l'amour. Si l'amour a pour idéal l'appropriation d'autrui en tant qu'autrui, c'est-à-dire en tant que subjectivité regardante, cet idéal ne peut être projeté qu'à partir de ma rencontre avec autrui-sujet, non avec autrui-objet. La séduction ne peut parer autrui-objet qui tente de me séduire que du caractère d'objet précieux « à posséder »; elle me déterminera peut-être à risquer gros pour le conquérir; mais ce désir d'appropriation d'un objet au milieu du monde ne saurait être confondu avec l'amour. L'amour ne saurait donc naître chez l'aimé que de l'épreuve qu'il fait de son aliénation et de sa fuite vers l'autre. Mais, de nouveau, l'aimé, s'il en est ainsi, ne se transformera en amant que s'il projette d'être aimé, c'est-à-dire si ce qu'il veut conquérir n'est point un corps mais la subjectivité de l'autre en tant que telle. Le seul moyen, en effet, qu'il puisse concevoir pour réaliser cette appropriation, c'est de se faire aimer. Ainsi nous apparaît-il qu'aimer est, dans son essence, le projet de se faire aimer. D'où cette nouvelle contradiction et ce nouveau conflit: chacun des amants est entièrement captif de l'autre en tant qu'il veut se faire aimer par lui à l'exclusion de tout autre ; mais en même temps, chacun exige de l'autre un amour qui ne se réduit ement au « projet d'être-aimé ». Ce qu'il exige, en effet, c'est que l'autre, sans chercher originellement à se faire aimer, ait une intuition à la fois contemplative et affective de son aimé comme la limite objective de sa liberté, comme le fondement inéluctable et choisi de sa transcendance, comme la totalité d'être et la valeur suprême. L'amour ainsi exigé de l'autre ne saurait rien demander : il est pur engagement sans réciprocité. SARTRE

   Sartre est – tout du moins du point de vue de la tradition française – LE philosophe de la pensée existentialiste : l'existentialisme est un humanisme et sa postérité en sont la preuve incontestable. De même pour l'Etre et le Néant : qui à défaut de l'avoir lu ne connaît pas ce titre ? Il va s'agir dès à présent de passer outre cette connaissance de surface pour entrer dans le livre même. Notre texte nous y invite.

            Extrait de la troisième partie du livre intitulé « le pour-autrui « et du chapitre III « les relations concrètes avec autrui «, notre texte a pour objet l'amour.

 

Thème du texte :

 

L'amour

 

Thèse du texte :

 

Dès lors que l'amour est le projet d'être aimé, l'amour est engagement au sens strict du terme, autrement dit engagement n'impliquant pas de réciprocité. Thèse pour le moins problématique.

Cf dans le texte :

« aimer est, dans son essence, le projet de se faire aimer. «

« L'amour ainsi exigé de l'autre ne saurait rien demander : il est pur engagement sans réciprocité «

sartre

« De « d'où cette nouvelle contradiction » à la fin de notre texte : dans quelle mesure présente-t-il la contradictioninhérente à cette définition de l'amour ? De « en soi autrui-objet » à « projet de se faire aimer » : dans quelle mesure l'amour et le désird'appropriation se distinguent-ils fondamentalement ? Dans quelle mesure aimer est-il le projet de sefaire aimer ? I. « En soi Autrui-objet n'a jamais assez de force pour occasionner l'amour .

» Dans ce premier moment du texte, Sartre se positionne contre une position philosophique qui n'est pas lasienne.

Le texte est donc dans une certaine mesure polémique : il est contre cette conception philosophiqueselon laquelle l'amour serait une relation entre un sujet aimant et un objet aimé.

Il y a donc dès l'abord uneremise en question de la conception « habituelle » de l'amour. « Si l'amour a pour idéal l'appropriation d'autrui en tant qu' autrui , c'est-à-dire en tant que subjectivité regardante , cet idéal ne peut être projeté qu'à partir de ma rencontre avec autrui-sujet , non avec autrui- objet.

» De façon essentiellement argumentée, Sartre poursuit sa critique à l'égard de la position précédemmentmentionnée et propose de substituer à la relation d'un sujet à un objet une relation entre deux sujets : une relation entre un sujet et ce qu'il appelle une « subjectivité regardante ». Le regard est une constante chez Sartre.

Il est intrinsèquement lié à l'altérité, à autrui.

On le voit dans notre texte ils sontquasi synonymes. Cf le texte suivant : « Autrui, en figeant mes possibilités, me révèle l'impossibilité où je suis d'être objet, sinon pour une autre liberté.

Je ne puis être objet pour moi-même car je suis ce que je suis; livré à sesseules ressources, l'effort réflexif vers le dédoublement aboutit à l'échec, je suis toujours ressaisi par moi.

Etlorsque je pose naïvement qu'il est possible que je sois, sans m'en rendre compte, un être objectif, jesuppose implicitement par là même l'existence d'autrui.

Car comment serais-je objet si ce n'est pour unsujet? Ainsi autrui est d'abord l'être pour qui je suis objet, c'est-à-dire l'être par qui je gagne monobjectivité.

Si je dois seulement pouvoir concevoir une de mes propriétés sur le mode objectif, autrui estdéjà donné.

Et il est donné non comme être de mon univers, mais comme sujet pur.

Ainsi ce sujet pur que jene puis, par définition, connaître, c'est-à-dire poser comme objet, il est toujours là hors de portée et sansdistance lorsque j'essaie de me saisir comme objet.

Et dans l'épreuve du regard, en m'éprouvant comme objectivité non révélée, j'éprouve directement et avec mon être l'insaisissable subjectivitéd'autrui. » Quelle est la distinction entre autrui-objet et autrui-sujet ? D'habitude les relations interpersonnelles sont desrelations entre un sujet et un objet, relations nécessairement conflictuelles.

Cf le fameux « l'enfer, c'est lesautres de Sartre » L'amour idéalement serait donc une relation entre moi et autrui toujours mais un autruiconsidéré comme sujet.

Je veux être l'objet de l'autre puisque je veux qu'il m'aime.

Je veux donc qu'il soitsujet.

Or l'autre veut également que je l'aime, que je fasse de lui mon objet.

Quand j'accepte de perdre mesprérogatives de sujet, l'autre accepte que je sois sujet, son sujet.

L'existence de deux sujets devient alorspossible dans une situation d'équilibre.

Notons néanmoins l'emploi à plusieurs reprises du terme « idéal » parSartre.

On notes d'ores et déjà une prise de distance de Sartre lui-même.Sartre remet en question la conception de l'amour comme relation d'un sujet à un « autrui-objet » en montrantque cette relation n'est pas de l'amour mais une relation de possession, et donc d'assimilation, et dans unecertaine mesure d'asservissement.

La se-duction comme nous le rappelle l'étymologie, c'est ramener à soi,conduire à soi.

L'amour n'est pas donc pas l'appropriation d'un objet car sinon l'être aimé serait synonymed'être aliéné, enchaîné à l'autre.

L'amour serait donc quasi une relation de maîtrise / servitude.

« L'amour ne saurait donc naître chez l'aimé que de l'épreuve qu'il fait de son aliénation et de sa fuite vers l'autre »Sartre explicite ici de façon plus explicite, qu'aimer c'est le projet d'être aimé – On dit de la philosophie deSartre qu'elle est une philosophie du pro-jet. Cf ce texte : « Il y a un autre sens de l'humanisme, qui signifie au fond ceci : l'homme est constamment hors de lui-même, c'est en se projetant et en se perdant hors de lui qu'il fait exister l'homme et, d'autre part,c'est en poursuivant des buts transcendants qu'il peut exister ; l'homme étant ce dépassement et nesaisissant les objets que par rapport à ce dépassement, est au coeur, au centre de ce dépassement.

Il n'y apas d'autre univers qu'un univers humain, l'univers de la subjectivité humaine.

Cette liaison de latranscendance comme constitutive de l'homme ; non pas au sens où Dieu est transcendant, mais au sens dedépassement, et de la subjectivité, au sens où l'homme n'est pas enfermé en lui-même mais présent toujoursdans un univers humain, c'est ce que nous appelons l'humanisme existentialiste.

Humanisme, parce que nousrappelons à l'homme qu'il n'y a pas d'autre législateur que lui-même, et que c'est dans le délaissement qu'ildécidera de lui-même ; et parce que nous montrons que ça n'est pas en se retournant vers lui, mais toujoursen cherchant hors de lui un but qui est telle libération, telle réalisation particulière, que l'homme se réalisera. »

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