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ROUSSEAU: Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques

Publié le 27/02/2008

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Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu'ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique ; en un mot, tant qu'ils ne s'appliquèrent qu'à des ouvrages qu'un seul pouvait faire, et qu'à des arts qui n'avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons et heureux autant qu'ils pouvaient l'être par leur nature et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d'un commerce indépendant : mais dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre, dès qu'on s'aperçut qu'il était utile à un seul d'avoir des provisions pour deux, l'égalité disparut, la propriété s'introduisit le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons. La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent ; mais pour le philosophe, ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes et perdu le genre humain. (...) L'invention des autres arts fut donc nécessaire pour forcer le genre humain de s'appliquer à celui de l'agriculture. Dès qu'il fallut des hommes pour fondre et forger le fer, il fallut d'autres hommes pour nourrir ceux-là. Plus le nombre des ouvriers vint à se multiplier, moins il y eut de mains employées à fournir à la subsistance commune, sans qu'il y eût moins de bouches pour la consommer ; et, comme il fallut aux uns des denrées en échange de leur fer, les autres trouvèrent enfin le secret d'employer le fer à la multiplication des denrées. De là naquirent d'un côté le labourage et l'agriculture, et de l'autre l'art de travailler les métaux et d'en multiplier les usages. De la culture des terres s'ensuivit nécessairement leur partage, et de la propriété une fois reconnue les premières règles de justice : car, pour rendre à chacun le sien, il faut que chacun puisse avoir quelque chose ; de plus, les hommes commençant à porter leurs vues dans l'avenir, et se voyant tous quelques biens à perdre, il n'y en avait aucun qui n'eût à craindre pour soi la représaille des torts qu'il pouvait faire à autrui. Cette origine est d'autant plus naturelle, qu'il est impossible de concevoir l'idée de la propriété naissante d'ailleurs que la main-d'oeuvre ; car on ne voit pas ce que, pour s'approprier les choses qu'il n'a point faites, l'homme y peut mettre de plus que son travail. C'est le seul travail qui, donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre qu'il a labourée, lui en donne par conséquent sur le fonds, au moins jusqu'à la récolte, et ainsi d'année en année ; ce qui, faisant une possession continue, se transforme aisément en propriété.ROUSSEAU

 • Importance de la notion « qu'un seul pouvait faire «?  • Que signifie exactement ici avoir « besoin du secours d'un autre « ?  • En quoi peut-il être « utile à un seul d'avoir des provisions pour deux «?  • Comment comprenez-vous « le travail devint nécessaire «?  • Quels rapports entre « l'égalité disparut «, « la propriété s'introduisit «, « on vit bientôt l'esclavage et la misère «? A cause de qui (selon Rousseau) ?  • En quoi « le fer et le blé « ont-ils « perdu le genre humain « ? «selon Rousseau)?  • Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle c'est « la métallurgie et l'agriculture « et non « l'or et l'argent « qui ont « civilisé les hommes et perdu le genre humain «?  • Qu'est-ce qui est en jeu dans ce texte ?  • En quoi présente-t-il un intérêt proprement philosophique ?

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« dans l'état actuel de la connaissance.

Une conjecture prouvée devient un théorème. QUELQUES DIRECTIONS DE RECHERCHE • Importance de la notion « qu'un seul pouvait faire »?• Que signifie exactement ici avoir « besoin du secours d'un autre » ?• En quoi peut-il être « utile à un seul d'avoir des provisions pour deux »?• Comment comprenez-vous « le travail devint nécessaire »?• Quels rapports entre « l'égalité disparut », « la propriété s'introduisit », « on vit bientôt l'esclavage et la misère »?A cause de qui (selon Rousseau) ?• En quoi « le fer et le blé » ont-ils « perdu le genre humain » ? «selon Rousseau)?• Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle c'est « la métallurgie et l'agriculture » et non « l'or et l'argent » quiont « civilisé les hommes et perdu le genre humain »?• Qu'est-ce qui est en jeu dans ce texte ?• En quoi présente-t-il un intérêt proprement philosophique ? 1 - Idées principales du texte a) Description d'une genèseLe texte propose une reconstruction (théorique) de la mutation qui conduit l'homme à la civilisation et àl'organisation en société.

Elle s'organise autour d'un phénomène qui conditionne les autres : la division des activitésnécessaires à la satisfaction des besoins.

La coupure, selon Rousseau, se situe entre un état de société primitif,dans lequel la survie est assurée par l'individu lui-même et un état où croissance des besoins et progrès destechniques exigent une collaboration entre individus.Cette transition s'accompagne, simultanément de plusieurs phénomènes : la propriété, l'inégalité, le travail,l'esclavage, la misère, présentés comme les différents effets d'un même bouleversement.

L'idée d'un passage del'état de nature à l'état social n'est pas nouvelle ; en revanche, considérer cette mutation comme une évolutionnéfaste et non un progrès de l'espèce, constitue un trait spécifique à la pensée de Rousseau.

Elle l'oppose àcertains de ses contemporains, particulièrement Voltaire qui le tournera en dérision à maintes reprises. b) La division des tâchesLe texte oppose l'explication traditionnelle de la corruption du genre humain, l'or et l'argent, à une explication par laconstitution même de la société en tant que groupe organisé.

En d'autres termes, il récuse l'analyse d'unedégénérescence après coup de la société, pour la rapporter à sa genèse même.

Si les hommes se regroupent ets'organisent, c'est pour se partager les tâches devenues trop lourdes avec l'apparition de techniques commel'agriculture et la métallurgie.

Division du travail et division sociale naissent donc en même temps. c) Origine de l'inégalité et de la propriétéEn faisant dépendre les hommes les uns des autres pour leur subsistance, la division des tâches fait passer lesdifférences des individus au statut d'inégalités.

En effet, dans l'état de nature, les différences entre individus nepeuvent pas engendrer l'oppression, puisqu'elles ne trouvent aucun appui dans une structure sociale, chacunrestant indépendant de son semblable, et possédant naturellement les moyens de pourvoir seul à sa subsistance.

Aucontraire, dans un groupe humain où les individus sont très liés les uns aux autres, les capacités de chacundeviennent autant de possibilités de supériorité.

L'originalité de Rousseau tient ici au fait qu'il ne rapporte pasdirectement l'origine de l'inégalité aux différences naturelles, mais qu'au contraire il la décèle dans l'insertion socialede ces différences.

Seule la vie en groupe peut transformer en moyens d'oppression les inégalités naturelles, parcequ'elle seule peut en rendre durables et stables les effets. d) L'absence de libertéLe texte montre que, pour Rousseau, la liberté se caractérise d'abord par l'absence de dépendance à l'égardd'autrui.

La vie que décrit l'auteur dans les premières lignes correspond à cet idéal d'autonomie.

L'homme est libreparce qu'il se suffit à lui-même : aucune dépendance matérielle et sociale.

L'apparition de techniques quiaccroissent la maîtrise de l'homme sur la nature, mais ne sont pas susceptibles d'être mises en œuvre par desindividus isolés, va donc engendrer une dépendance.

Elle marque un abandon de la liberté, sur deux plans : matérield'abord, puisque l'individu est dépendant de l'activité d'autrui pour survivre ; social ensuite, parce que la plus oumoins grande aptitude à remplir sa fonction va placer l'individu dans une situation de dépendance plus ou moinsaccentuée.

Rousseau établit donc une corrélation étroite entre l'accroissement de la maîtrise sur la nature etl'assujettissement des individus.

Une domination de la nature par l'espèce humaine a pour effet un « esclavage » deshommes.

On pourrait retrouver des propos assez voisins dans des réflexions contemporaines (Cf : Marcuse, parexemple). e) Inégalité et travailLorsque l'état social aboutit à diviser les tâches pour mieux assurer des besoins en expansion, il donne naissance autravail : « le travail devint nécessaire et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu'il fallutarroser de la sueur des hommes ».

Avant la mise en valeur de la nature par l'agriculture, l'homme tirait directementet individuellement sa subsistance de la nature, mais il ne travaillait pas.

C'est l'organisation en société qui crée lanécessité du travail, avec son caractère paradoxal : l'apparente prospérité que suggère l'expression « riantescampagnes », et la misère qui croît « avec^les moissons ».

La contradiction, cependant, n'est que superficielle dansla pensée de l'auteur.

En effet, la prospérité des campagnes n'empêche nullement son accaparement par certains. »

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