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ROUSSEAU: il n'y a pas de corps politique sous un régime despotique car le peuple ne devient vraiment un peuple que par un pacte d'association.

Publié le 27/02/2008

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rousseau
« Il y aura toujours une grande différence entre soumettre une multitude et régir une société. Que des hommes épars soient successivement asservis à un seul, en quelque nombre qu'ils puissent être, je ne vois là qu'un maître et des esclaves, je n'y vois point un peuple et son chef : c'est, si l'on veut, une agrégation, mais non pas une association : il n'y a là ni bien public ni corps politique. Cet homme, eût-il asservi la moitié du monde, n'est toujours qu'un particulier ; son intérêt, séparé de celui des autres, n'est toujours qu'un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, son empire après lui reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas de cendres, après que le feu l'a consumé. Un peuple, dit Grotius, peut se donner à un roi. Selon Grotius, un peuple est donc un peuple avant de se donner à un roi. Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique. Avant donc d'examiner l'acte par lequel un peuple élit un roi, il serait bon d'examiner l'acte par lequel un peuple est un peuple. Car cet acte étant nécessairement antérieur à l'autre est le vrai fondement de la Société. » ROUSSEAU — (1.1 à 13) un peuple asservi par un tyran n'est pas un peuple, mais un agrégat d'individus; — (l. 14 à 21) critique de Grotius : le peuple ne peut se vendre au despote que s'il existe en tant que peuple. Recherche de l'intérêt philosophique : ce texte nous invite à réfléchir sur ce qui fonde l'existence d'un État, d'une entité politique. On reconnaît donc là la problématique du contrat social comme acte fondateur du corps politique et même de la société : à la base de l'existence de lois et d'une autorité politique, à la base de toute vie sociale, il doit y avoir une libre soumission de chacun au bien commun défini collectivement. Ce texte ouvre donc sur des perspectives considérables dans le domaine de la philosophie politique. On ne perdra pas de vue non plus sa dimension militante et polémique tournée contre l'absolutisme et ses partisans. Dans cette perspective, il sera intéressant de confronter Rousseau et Hobbes.
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« constitué comme tel avant de se donner au despote.

Dès lors, le véritable fondement du pouvoir n'est plus dans lepacte de soumission, mais dans le pacte d'association qui lui sert de base.

Le texte s'arrête là, mais nous pouvonsimaginer la fin de la démonstration : ce pacte d'association n'est autre que le « contrat social ».

Or, la nature mêmedu contrat social interdit toute soumission ultérieure.

La démonstration par l'absurde est terminée : supposezl'absolutisme, vous supposez le contrat social, mais le contrat social condamne tout absolutisme. [II.

Le despotisme n'est pas un régime politique.

(l.

1 à 13)] Le premier paragraphe est une critique radicale de l'absolutisme.

Ce n'est pas un mauvais régime politique, ce n'esttout simplement pas un régime politique.

On objectera, conformément à la logique que nous venons de dégager, quece premier paragraphe vise surtout l'absolutisme considéré comme un rapport individuel entre le despote et sessujets — rapport autant de fois répété qu'il y a de brebis dans le troupeau.

Mais, s'il est vrai que la constitution dupeuple en unité politique rend impensable tout contrat de soumission, cette forme d'absolutisme est la seulepossible.

Il s'agit bien d'une critique du despotisme en tant que tel.

Rousseau prétend montrer que, dans ledespotisme, il n'y a ni peuple ni chef (l.

5) ! Étrange paradoxe et habile rhétorique fondés sur une série d'oppositions! Cependant, l'aisance du discours ne doit pas cacher la rigueur de l'argumentation. [1- Agrégation et association.]Le point capital réside dans la distinction entre « agrégation » et « association » (l.

6).

Une agrégation estconstituée d'éléments simplement juxtaposés.

Aucune unité ne transforme cette somme de parties en un véritabletout.

Rousseau insiste sur cet aspect : « hommes épars » (l.

2), « successivement asservis » (l.

3).

Le mot «successivement » indique que le despote ne soumet pas un peuple formant une véritable entité, mais seulement unesérie d'individus isolés.

Sa domination ne s'exerce pas sur le groupe en tant que tel, mais sur chaque individu prisséparément, et par suite seulement, sur l'ensemble.

À l'inverse, l'idée d'association implique que les individus ne sontpas seulement rassemblés mais unis.

Elle suppose un accord des volontés particulières, et ainsi l'apparition d'unevolonté générale.

C'est alors que se constitue une « personne morale », distincte des personnes physiques qui lacomposent, et ayant une volonté propre.

Comme la volonté de chaque individu recherche le bien qui lui est propre,la volonté commune tend vers le bien commun.

De l'association naît un « bien public » (l.

7), qui s'oppose à «l'intérêt privé » (l.

10).

L'association crée une entité nouvelle.

Le tout est réellement autre chose que la somme desparties.

C'est cet être que la philosophie politique du xviiie siècle nomme « corps politique » (l.

7).

Dans l'Antiquité,on aurait parlé de cité.

Aujourd'hui, il sera question d'un État.

On désigne ainsi la personne morale née del'association (à ne pas confondre avec un autre sens du mot État qui renvoie plus précisément aux organes parlesquels s'exerce le pouvoir dans un État donné).

On pourra parler aussi de république.

Celle-ci ne naît en effetqu'avec l'apparition d'un bien commun (res publica).

Les membres du corps politique, ou de l'État, ne seront plusseulement des individus, mais des citoyens.Ce pacte d'association par lequel les volontés particulières fusionnent en une volonté générale, est l'acte denaissance du peuple comme État.

C'est, selon la formule de la ligne 18, « l'acte par lequel un peuple est un peuple», comprenons : l'acte par lequel une agrégation d'individus devient une association.

Bien entendu, l'État n'estpleinement formé que lorsque la décision de former ensemble une communauté se traduit concrètement par la miseen place de lois et d'une autorité politique communes.Rousseau fait encore de ce pacte d'association le « fondement de la Société » (l.

21).

La société n'est pas unsimple groupement humain.

Cette définition par le nombre est insuffisante (cf.

I.

3 et I.

8).

Il n'y a de sociétéqu'avec l'instauration d'une unité, d'un ordre social qui met fin aux conflits des volontés particulières.

Cet ordre estproduit par des lois (tacites ou explicites, écrites ou orales), et par une autorité.

Une société n'est viablequ'organisée politiquement d'une manière ou d'une autre.

L'acte de naissance de la communauté politique est doncbien le « fondement de la Société ».Nous reconnaissons dans ce pacte d'association ce que Rousseau nomme le « contrat social ».

Chaque individudispose, à l'état de nature, d'une liberté infinie.

Mais avec l'apparition et la multiplication des relations, l'exercice decette liberté est partout compromis.

L'individu est amené à troquer sa liberté naturelle, infinie mais irréelle, contreune liberté conventionnelle, limitée mais garantie.

En renonçant à sa volonté particulière pour se soumettre à lavolonté générale, il conquiert un espace de liberté. [2.

Critique du despotisme.]Une fois établie la distinction entre association et agrégation, on doit se demander pourquoi il ne peut y avoird'association dans le despotisme.

Il y a certes une unité minimale assurée par la commune soumission à la volontéd'un seul.

Celle-ci garantit au moins une certaine paix civile.

Cependant, l'unité de la société est ici imposée dudehors, elle ne résulte pas d'une libre adhésion de chacun à la communauté et à ses lois, mais d'une contrainteimposée par un individu extérieur et supérieur à la société.

Nous dirons que l'association est un régime d'autonomie :le peuple n'obéit qu'à lui-même ; il est souverain.

En revanche, le despotisme est une forme d'hétéronomie, le peupleest soumis à un ordre qui ne vient pas de lui.En utilisant le langage de la métaphysique, nous pourrons dire que la société issue de l'association est substantielle:elle est à elle-même son propre fondement; en revanche, l'ordre imposé par le despotisme est accidentel; il n'est làque de manière contingente.

C'est pourquoi il ne peut être durable.

Tôt ou tard, l'Histoire disloquera l'empire qui netient que par la force (1.12 et 13).

L'idée est importante pour Rousseau, il n'y a pas de contradiction entre le droitet l'intérêt, le despotisme est non seulement inique, mais son œuvre est inconsistante.

Les tyrans eux-mêmes l'ontcompris et c'est pourquoi ils cherchent à camoufler la force sous l'apparence du droit (cf.

chapitre m du livre I duContrat social).

Ils cherchent à changer la contrainte en obéissance librement consentie.

D'où l'idée monstrueused'un pacte de soumission tel que le pense Grotius.

Le temps est donc l'épreuve suprême de vérité, l'empire dudespote n'y résiste pas.

Le livre II nous apprendra de même qu'on reconnaît l'œuvre du bon législateur à sa. »

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