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ROUSSEAU: DROIT & FORCE

Publié le 28/04/2005

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rousseau
Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence, et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ? Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable. Car sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? S'il faut obéir par force on n'a pas besoin d'obéir par devoir, et si l'on est plus forcé d'obéir on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout. Obéissez aux puissances. Si cela veut dire, cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu, je réponds qu'il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue ; mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin ? Qu'un brigand me surprenne au coin d'un bois : non seulement il faut par force donner la bourse, mais quand je pourrais la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner ? Car enfin le pistolet qu'il tient est aussi une puissance. Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu'on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes. Ainsi ma question primitive revient toujours. ROUSSEAU
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« l'effet de la force (« Céder à la force [...] »), pour s'interroger sur sa nature — morale ou physique — en nousrenvoyant ainsi vers son origine.

La prudence venant conclure le premier paragraphe nous montre bien qu'il peut yavoir (« tout au plus ») délibération et acte volontaire, mais que cet acte reste commandé par la nécessiténaturelle, et non par le respect des droits d'autrui.Ces deux points de vue sont développés dans les deux paragraphes suivants, qui constituent les deux derniersmoments de la deuxième partie.

Le deuxième paragraphe part de la force (« sitôt que c'est la force qui fait le droit[...] ») et se demande ce qui s'ensuit (« l'effet' »).

Son registre mécanique nous oriente bien sûr vers la naturephysique et non morale de cet effet.

L'argumentation procède, tout comme le troisième paragraphe, par l'absurde,en supposant la thèse adverse — que la force se confond avec le droit —, mais sans pouvoir aboutir à aucun devoir.S'il y avait un tel droit se confondant avec la force, il n'y aurait pas de devoir, de fondement moral de l'obligation.Ce droit n'ayant pas un caractère moral, il ne pourrait stabiliser les rapports de forces, et ne serait donc pas undroit.

Nous avons bien là réponse à la question première sur la nature des effets de la force : ils restent sur le planphysique de la force.

Nous passons, avec le troisième paragraphe, au point de vue de celui qui obéit, et qui serait donc censé, selon lathèse adverse dévoilée, obéir par devoir à la force.

Nous sommes encore dans une démonstration par l'absurde :Rousseau montre que s'il y avait un tel devoir d'obéissance à la force, il ne pourrait y avoir de droit.

Je ne peux êtreobligé, en conscience, de céder au plus fort, et l'obéissance restant sur le même plan que la force, il n'y auraitaucune nécessité morale de l'obligation ni donc de stabilisation des rapports de forces.

Rousseau retourne à la façonde Chrysippe l'argument de la raison paresseuse : maladie et médecin sont liés, si l'une s'impose, l'autre s'ensuit,tout comme la force, physique, ne peut provoquer qu'un effet physique.

L'intervention divine ne peut donc restaurerla transcendance du droit lorsqu'il se fonde sur la force.

Rousseau joue ici sur l'ambiguïté de la « puissance », enfaisant se chevaucher la potentia — appartenant d'abord à un registre physique — et la potestas — appartenant àun registre moral.

La référence à Pauli, nous engageant à nous soumettre en conscience aux puissances établies,est d'abord comprise d'un point de vue physique, et reste alors sur le plan de la simple nécessité naturelle.L'intervention divine tente de conférer une autorité morale à ces puissances, mais ce qui pourrait alors êtrepotestas demeure en son fond potentia.

Il est ici question de savoir si l'on peut obéir par devoir à la force, et lesecond paragraphe nous a appris que l'effet de la force ne peut être un devoir : la potentia ne peut donc se fairepotestas.

Qu'il s'agisse d'une monarchie de droit divin ou d'un brigand au coin d'un bois, nous ne sommes donc pas,face à cette puissance, dans le cadre des sociétés politiques.

L'exemple du brigand au coin d'un bois sert d'ailleurstraditionnellement à marquer l'absence du politique.

A l'état de nature, j'ai le droit d'utiliser la force contre la force,et preuve est faite une seconde fois que le droit du plus fort est inefficace parce qu'illégitime.Ce droit resterait cependant bien utile au plus fort, si le philosophe n'avait pas démasqué la supercherie.

Avecl'affirmation finale de la thèse de Rousseau dans le quatrième et dernier paragraphe, il y a donc plus qu'une simplerépétition : la justification et l'affirmation de la nécessité d'une réflexion philosophique sur le politique.

Cettenécessité se montre ici sous un double jour.

Elle est d'abord alternative à la soumission obtuse de ceux quidemeurent mystifiés.

Elle accompagne aussi la révolte, et n'être obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes signifieégalement qu'on peut désobéir à toutes celles qui ne le sont pas.

L'envers de la philosophie politique se montre doncen même temps que sa nécessité : le ton frondeur porté par le seul déterminisme physique nous indique quelle est laréponse réelle à donner aux usurpateurs ; l'argument de la raison paresseuse une fois retourné, rien ne justifie plusl'inaction et ce chapitreest le texte le plus séditieux du Contrat social.

Mais Rousseau, philosophe politique, ne fomente pas une révolution.Il assoit la nécessité de son ouvrage, c'est-à-dire la recherche d'un fondement de l'autorité. ROUSSEAU (Jean-Jacques). Né à Genève en 1712, mort à Ermenonville en 1778. Il n'est pas dans notre propos de résumer la vie de Rousseau, sou séjour aux Charmettes chez Mme de Warens, àMontmorency chez Mme d'Épinay, ses travaux de musique, sa persécution par les catholiques comme par lesprotestants, son voyage en Angleterre après sa fuite de Suisse ou l'hospitalité du marquis de Girardin à Ermenonville.Non plus que la mise à l'Assistance Publique des cinq enfants qu'il eut de Thérèse Levasseur, ou sa brouille avecGrimm et Diderot.

Jean-Jacques Rousseau fut seul, chassé de partout, et c'est en méditant sur son existencemalheureuse, qu'il a pu énoncer sa doctrine de philosophe.

Sa philosophie n'est pas un système, mais une vision dela condition humaine.

— Contrairement aux Encyclopédistes, l'homme, pour Rousseau, est naturellement bon etjuste.

Il fut heureux lorsqu'il vivait sans réfléchir, au milieu de la nature, uniquement préoccupé des soins matérielsde la vie quotidienne.

Puis, il a cherché à paraître, à dominer.

Il a inventé la propriété.

Sont venus l'inquiétuded'esprit, le goût du luxe, l'ambition, l'inégalité, les vices, la philosophie.

La société a corrompu l'homme, en l'élevant à. »

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