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ROUSSEAU: De l'origine du langage.

Publié le 19/03/2009

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rousseau
Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu'il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n'était arraché que par une sorte d'instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n'était pas d'un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s'étendre et à se multiplier, et qu'il s'établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes, qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d'une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l'ouïe, par des sons imitatifs : mais comme le geste n'indique guère que les objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu'il n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité, ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, et qu'il exige l'attention plutôt qu'il ne l'excite, on s'avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d'un commun consentement, et d'une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n'avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir en elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l'usage de la parole. ROUSSEAU

Essentiellement centré sur la question du langage, le texte de Rousseau peut également renvoyer à certaines problématiques étudiées dans le cadre des rapports entre nature et culture : les trois étapes de la genèse du langage sont autant d'étapes de la nature à la culture. De même, il renferme une réflexion sur la genèse de la société et des relations sociales (« une communication plus étroite«, ligne 10), et la formation d'un «accord unanime« (ligne 28) entre les hommes d'une même communauté de langue, qui est l'analogue du contrat social.

Le thème de ce texte relativement long est facile à repérer : c'est celui de l'origine du langage. Mais il peut être plus difficile d'en repérer le problème à travers la richesse et la subtilité de ses idées : c'est à la fin du texte qu'il est formulé, et c'est en fonction de lui qu'il faut ordonner l'explication de chacune des idées du texte, en repérant soigneusement les parallèles, les oppositions, les articulations entre ces idées. Le problème posé par Rousseau a la forme d'un cercle logique : « La parole paraît avoir été fort nécessaire pour établir l'usage de la parole. « Ce problème est celui de l'impossibilité de «concevoir« l'origine du langage, c'est un problème logique, théorique ; mais comme le langage est un fait caractéristique de l'homme en l'état présent de son développement, la pensée doit tenter d'en reconstituer la genèse. Aussi, le problème théorique renvoie, au niveau de la genèse du langage, à une série de difficultés pratiques (cf. «assez difficile à pratiquer «), celle de la « substitution « de « signes institués« et articulés, aux gestes directement expressifs, celle d'une utilisation affinée d'organes naturellement «grossiers« (c'est-à-dire non dégrossis), et plus en amont encore celle de la genèse du geste expressif et mimétique, de ce «langage plus étendu« (ligne 11) que celui qui seul est véritablement naturel, « le cri de la nature « (ligne 3). Ayant ainsi repéré le problème posé par le texte, on comprendra que son allure descriptive expose en réalité des éléments d'analyse qu'il faut restituer. Les trois temps qui scandent l'ordre d'exposition correspondent aux trois moments de l'argumentation de Rousseau, et c'est en les expliquant qu'on pourra légitimement reprendre l'ordre du texte pour établir le plan de son étude ordonnée.

  • Ces trois temps sont les suivants :

- le premier temps (lignes 1 -8) est celui du « cri de la nature«, langage universel, ancré dans la sensibilité, mais exceptionnellement pratiqué ; - le second temps (lignes 8-14) est motivé par le développement des facultés intellectuelles, c'est celui qui voit s'infléchir (s'affiner) la voix, celui où apparaît le langage des gestes : Rousseau établit un parallèle entre la fonction de la voix et celle du geste, mais ce qu'il dit du geste semble recouvrir une ambiguïté : le geste peut avoir une fonction expressive, plus libre que la voix (son « sens dépend moins d'une détermination antérieure «), il peut aussi avoir une valeur démonstrative ou désignative ; - le troisième temps (lignes 14-30), motivé par les insuffisances de la communication gestuelle, marque l'émergence et l'institution du langage parlé.

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