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ROUSSEAU: Amour et Raison

Publié le 27/04/2005

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rousseau
Le penchant de l'instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l'autre, voilà le mouvement de la nature. Le choix, les préférences, l'attachement personnel sont l'ouvrage des lumières, des préjugés, de l'habitude ; il faut du temps pour nous rendre capables d'amour, on n'aime qu'après avoir jugé, on ne préfère qu'après avoir comparé. Ces jugements se font sans qu'on s'en aperçoive, mais ils n'en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu'on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses emportements nous égarent, bien qu'il n'exclue pas du coeur qui le sent des qualités odieuses et même qu'il en produise, il en suppose pourtant d'estimables sans lesquelles on serait hors d'état de le sentir. Ce choix qu'on met en opposition avec la raison nous vient d'elle ; on a fait l'amour aveugle parce qu'il a de meilleurs yeux que nous, et qu'il voit des rapports que nous ne pouvons percevoir. Pour qui n'aurait e idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable. Loin que l'amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants. ROUSSEAU

L'objet de ce texte est de mettre en évidence le rôle que joue la raison non pas dans la formation des instincts, mais dans leur détermination. Le choix de l'être aimé est souvent présenté comme irréductible à la raison, Rousseau va contre cette certitude pour dire que la raison y joue un rôle décisif. L'enjeu y est de soutenir la thèse que l'amour, loin de venir de nos penchants, est, en vérité, ce qui contribue à les affiner, à les canaliser, au point de leur donner un objet. L'amour échappe ainsi à la critique ordinaire que l'on dresse des passions comme nous écartant de la raison. Rousseau va contre le sens commun associant l'amour à une passion soustraite à l'emprise de la raison, et discréditant l'amour à ce titre. L'amour est un élément de la raison, l'indice de la raison en nous, le prolongement rationnel de la nature qui est à l'oeuvre en chacun de nous.

 

L'amour procède-t-il de l'instinct, ou bien d'un jugement de la raison ? (réponse : l'amour est, à notre insu, l'effet de la raison en nous, et il oriente nos instincts, pon ne saurait réduire l'amour à un instinct puisqu'il tranche avec la spontanéité indistincte qui leur est propre.)

 


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« L'amour procède-t-il de l'instinct, ou bien d'un jugement de la raison ? (réponse : l'amour est, à notre insu, l'effet dela raison en nous, et il oriente nos instincts, pon ne saurait réduire l'amour à un instinct puisqu'il tranche avec laspontanéité indistincte qui leur est propre.) On peut distinguer trois mouvements dans ce texte : jusqu'à "...

on ne préfère qu'après avoir comparé." : Rousseau commence par poser la différence qu'il y a entrel'indétermination du "penchant de l'instinct", et l'oeuvre de la raison qui sélectionne un objet parmi une infinité.

Ilfaut insister sur la différence très claire que pose Rousseau entre l'indétermination et l'idée de choix.

L'amour est unjugement, et se distingue de l'instinct sans lui être contradictoire.

L'amour n'est pas l'élection spontanée d'unindividu, il est, mais à notre insu, l'effet de préjugés, de la raison ou de l'habitude.

Il importe d'ailleurs d'insister surce qui distingue ces différentes sources.

L'instinct est indéterminé.

L'amour est prédéterminé.

De "Ces jugements ..." jusqu'à "...hors d'état de le sentir." : l'objet de ce second mouvement est, après avoir poséune différence entre l'instinct - indéterminé - et l'amour -prédéterminé -, Rousseau, qui veut combattre le senscommun identifiant l'amour à une seule passion déraisonnable, montre que c'est à notre insu que l'amour exerce lejugement.

L'essentiel de ce mouvement est de comprendre ce que signifie Rousseau quand il dit qu'on serait horsd'état de sentir sans la considération de qualités estimables.

(Le texte est ici ambigu : les qualités estimables sont-elles celles de l'être aimé, ou celles de l'amant ? Il semble que les deux lectures soient possibles) Si l'amour témoignede qualités estimables chez celui qui aime, alors l'amour est l'indice de notre raison, s'il procède de la considérationdes qualités estimables de l'être aimé, alors on peut presque rendre raison de l'amour, expliquer l'amour selon desraisons objectives.

De "ce choix..." jusqu'à la fin : Si l'instinct est indéterminé, le choix amoureux d'un être aimé procède, enconséquence, de la raison.

Faire de l'instinct un élément d'indétermination, c'est faire du choix un élément de laraison.

Rousseau s'en prend à l'illusion de celui qui tient l'amour pour aveugle, parce qu'une telle illusion procède, envérité, d'un traitement exclusif de l'amour selon la logique des instincts.

Si l'amour nous semble aveugle, ce n'est pasparce qu'il s'attache à un être aveuglément, c'est parce qu'il le fait, à notre insu, pour des raisons qui témoignentde la présence de la raison à l'oeuvre en chacun de nous.

L'amour nous semble aveugle parce que nous ne voyonspas qu'il voit ce que nous ne voyons pas.

L'amour est sélection, choix, élection.

Il tranche dans l'indistinctioninstinctive.

L'élection d'un être aimé tient à des considérations qui échappent à l'indétermination des instincts.L'amour nous affranchit de la nature en nous.

Plus exactement, il participe du mouvement par lequel la nature est ennous canalisée.

Il n'y a pas d'amour sans histoire, sans civilisations.

Si le mouvement d'un sexe vers l'autre estspontané - effet de la nature en nous -, le choix d'un autre est l'effet de l'histoire en nous. [Introduction] L'opinion commune admet volontiers que l'amour est un sentiment à peu près inné dans l'homme : il serait le même àtravers toutes les époques et toutes les sociétés et, de la sorte, serait dû à la nature elle-même.

L'originalité de cetextrait de Rousseau est de montrer au contraire que l'amour véritable — à distinguer du simple instinct sexuel —suppose des acquis tout autres que naturels : la raison, le jugement, l'environnement social participent à sonélaboration.

L'opposition classique entre la passion amoureuse et la raison fait du coup place à des relationsbeaucoup plus subtiles. [I.

Instinct sexuel et amour véritable] Pour Rousseau, le seul composant naturel de l'amour réside dans l'instinct sexuel : c'est bien la nature qui attire unsexe vers l'autre — et c'est ce qu'elle fait pour les animaux aussi bien que pour les hommes.

Mais son rôle s'arrête là: il est générique en même temps que génétique, puisqu'il concerne l'autre sexe en général et assure la reproductionde l'espèce (on peut remarquer que, pour Rousseau, l'hétérosexualité semble à ce niveau obligatoire).Dans ce comportement qui ne relève que de l'instinct, le « penchant » de ce dernier reste «indéterminé» : l'individuvers qui nous mène l'instinct n'est qu'un représentant de l'autre sexe, ses déterminations singulières ne comptentpas.

Pour que l'individu émerge sous l'aspect d'un partenaire se distinguant de tous les autres possibles, il faut un «choix », des « préférences », un « attachement personnel » — qui ne relèvent pas de la nature puisqu'ils sont aucontraire l'oeuvre de la raison, des préjugés, de l'habitude, ce qui fait évidemment signe vers un environnementsocial.

En d'autres termes : pour choisir un individu, il faut des critères, et ceux-ci ne peuvent résulter que d'unelente élaboration.On ne devient donc capable d'aimer véritablement, c'est-à-dire de choisir une personne particulière au lieu desatisfaire aveuglément l'instinct sexuel, qu'au bout d'un certain temps et qu'après avoir acquis des « connaissances».

Ce qui signifie, non pas qu'il faut d'abord connaître de nombreux partenaires avant de pouvoir choisir celui ou cellequi conviendra le mieux, mais qu'une préférence ne peut apparaître qu'à partir de certaines conditions de possibilité: pour aimer, il faut pouvoir « juger » et « comparer » — activités qui impliquent la raison et son travail.Sans doute les jugements en question restent-ils implicites : ils n'en constituent pas moins le contexte relativementauquel il devient possible d'élire une personne plutôt qu'une autre. [II.

Ambiguïté de l'amour]. »

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