Qu'est-ce que l'esprit scientifique et comment se forme-t-il ?

« confiance nécessaire à l'expérience). C — L'esprit scientifique entraînerait une perte du sens de la responsabilité morale.

Retranchés derrière le rideau deleur objectivité et de leur désintéressement, les savants travaillent indirectement à la destruction du genre humainpar l'application qu'ils font eux-mêmes de leurs découvertes aux procédés de perfectionnement de la guerre.

Certes,ils ne peuvent être tenus pour responsables, puisque c'est l'inhumanité des hommes en général qui est la conditionpsycholologique de la guerre, mais il faut bien reconnaître que l'utilisation de leurs découvertes leur importe peu.

Etle fait même que ces découvertes soient exploitées, en bien ou en mal, par d'autres qu'eux, établit suffisammentque la science ne peut trouver ses fins en elle-même. — III — Le « nouvel esprit scientifique ». G.

Bachelard («Le nouvel esprit scientifique », 1946) appelle ainsi la nouvelle conception des rapports de la science et de la nature qui a pris naissance après les théories physiques duXXe siècle.

C'est donc autant une conception de la science qu'une nouvelle analyse de l'esprit scientifique.

Voiciquelles sont les idées directrices de la nouvelle science : 1 — Le réel est réalisation.

Le physicien moderne veut « forcer la nature à aller aussi loin que les spéculationsmathématiques le permettent ».

Ce qui est possible mathématiquement peut toujours être réalisé par le physicien.Par exemple : Pourquoi la masse ne serait-elle pas négative ? Dans quelle perspective d'expérience pourrait-ondécouvrir une masse négative ? Loin d'être esclave de ce qui est, le savant moderne se pose la question « Pourquoipas ? »Le possible joue alors un rôle dans l'organisation de l'expérience.

Il est du réel non encore réalisé.

Ceci implique quele physicien tourne le dos au bon sens et aux concepts enracinés dans la réalité commune. 2 — Toute expérience est relative.

Relative à l'expérimentateur, l'expérience est également relative à l'instrumentd'expérience.

L'instrument est en effet une théorie réalisée (Exemple : le microscope électronique est solidaire de lathéorie des flux d'électrons).

L'observation que l'on croyait « objective » se révèle relative à des théories et à desinstruments.

Il y a une solidarité de l'expérimentateur et du réel.

La « loi » n'est pas autre chose que l'objectivationde la méthode de l'expérience. 3 — On ne peut plus expliquer le complexe par le simple.

La règle d'analyse cartésienne est périmée.

Le simple estune simplification.

Le complexe est premier et sa compréhension seule permet de comprendre le simple.

L'astronomiede Newton ne se comprend que comme cas particulier de la pan-astronomie d'Einstein, de même que la géométried'Euclide est un cas particulier de la pan-géométrie de Lobatchevski. 4 — L'univers est un tissu de relations, sans « choses » et sans « substances ».

L'électron, dernier refuge du bonsens réaliste et substantialiste, se révèle actuellement comme une « société mathématique ».

La matière est «dématérialisée ».

Dans l'astronomie d'Einstein, selon ses vulgarisateurs, l'espace est consistant et la matière seraitla déformation de l'espace.

D'autre part, puisque c'est la relation seule qui a l'être, la « réalité » est différentesuivant le système de relations dont elle peut faire partie : « Le même état de l'espace, qui apparaît comme unchamp purement magnétique pour un certain système de coordonnées, est en même temps un champ électriquepour un autre système en mouvement par rapport au premier » (Einstein). — Ainsi le nouvel esprit scientifique est une nouvelle pensée scientifique qui s'est aperçue de la subjectivitépersistante et insoupçonnée de certaines conceptions qu'on croyait objectives.

Loin de se nier, l'objectivité s'estaccrue et compliquée.

Loin de se détruire, la raison redouble son effort d'abstraction.

Ce qui est profondémentmodifié, c'est la conception classique de la réalité : après l'âge préscientifique dont relèvent la magie et la penséeanimiste, et après l'âge scientifique ou rationaliste où l'univers apparaît comme un système de structures objectivesfixes, nous atteignons, selon Bachelard, l'âge du sur-rationalisme où la physique abstraite ordonnera toutes lespossibilités de l'expérience dans un univers « déchosifié ».. »