Qu'est-ce que la littérature d'idées ?

Chez Diderot, les procédés argumentatifs se déploient jusqu?à évincer le prétexte théorique qui motivait initialement le texte. Si la surabondance rhétorique est philosophiquement nuisible, elle ne constitue en rien une faute au sein de la littérature. _La littérature peut se définir comme une perpétuelle remise en question de la langue, c?est-à-dire de ce à partir de quoi la pensée se constitue. En ce sens, il n?est pas exagéré d?affirmer que l?activité littéraire est en amont du texte d?idées pur, puisqu?elle interroge la possibilité même de sa formation. Dans la littérature d?idées, c?est l?idée elle-même qui devient prétexte à l?écriture, et son énonciation qui est mise au centre du contrat de lecture. _La littérature moderne pousse la recherche littéraire jusqu?à la faire parfois dégénérer en pathologie. De cette manière, les écrits d?Antonin Artaud explorent des principes d?énonciation et d?argumentation extrêmes (ainsi, dans Le Théâtre et son double, la preuve par la pensée magique, ou l?établissement d?une correspondance réelle entre l?activité scénique et la peste à partir d?une comparaison métaphorique). Ces écrits, toutefois, poussent son auteur (et parfois leur lecteur) à ne plus être capable de soumettre la littérature au monde, mais à l?inverse à ne plus pouvoir comprendre le réel que comme un gigantesque texte, une chose écrite qu?il faut perpétuellement interpréter, sans que jamais ne cesse le bruissement de la langue, qui conduit finalement Artaud à la folie.   III, L?Idée littéraire : penser le procédé lui-même comme contenu   _Il s?avère donc nécessaire, pour quiconque se confronte à la littérature d?idées, d?échapper à la faillite du signifiant. Une attitude positive de l?herméneute universel qu?est le littérateur peut se trouver chez Crébillon, auteurs de dialogues libertins tels que La Nuit et le moment : si les personnages sont possédés d?une « fureur de disserter », ce n?est que dans la perspective d?une affirmation de soi, un plaisir d?exercer son intelligence et son habileté rhétorique ; la littérature n?est pas à la recherche d?un énoncé vrai, son objet est la jouissance que procure l?acte d?énonciation.