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Que pensez-vous du mot du philosophe Alain sur la politesse : « On dit souvent qu'il y a une politesse du coeur qui se moque des formes. C'est ce que je ne crois point. » ?

Publié le 16/06/2009

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Ce texte, extrait d'un propos du 17 décembre 1922 intitulé « La science des signes « est reproduit dans Sentiments, Passions et Signes, p. 195. Voici les lignes qui suivent : « Les bons sentiments font souvent beaucoup de mal. Le premier mouvement sera de marquer quelque pitié pour un homme que la maladie a changé, et il n'y a point d'impolitesse qui laisse plus de regrets que celle-là. Même l'expression du plaisir doit être mesurée et préparée; il y a des sourires et des regards parlants qui laissent l'interlocuteur dans l'embarras; ce sont des signes dont il n'a pas la clef; souvent ce sont des signes dont personne n'a la clef, non plus celui qui les lance. « Alain est revenu souvent sur ce thème de la politesse. On trouvera un large choix de textes dans le tome II de Mlle Drevet, dans la Collection Les grands textes, p. 59-64. Notons encore dans un Propos du 10 septembre 1910 cette réflexion qui concerne exactement notre sujet : « Et je ne dis point du tout que la politesse est un mensonge, bonne pour les étrangers; je dis que plus les sentiments sont sincères et précieux, plus ils ont besoin de politesse. « (Propos, Edit. La Pléiade, p. 159.) INTRODUCTION. - « La politesse se perd «, observent tristement certaines personnes qui ont connu la vie de société d'avant 1914. Aux générations nouvelles, cette politesse fait au contraire bien souvent figure d'anachronisme. Les observances formalistes ne sont plus de notre époque. Nous sommes des réalistes et visons à l'essentiel : ne pas se gêner les uns les autres, et autant que possible, se rendre mutuellement service, voilà ce que demande le véritable amour du prochain qui inspire la vraie politesse, celle du coeur, et non la fidélité à des obligations conventionnelles, aussi gênantes dans bien des cas pour ceux qui en sont l'objet que pour ceux qui s'y jugent astreints. ALAIN, qui cependant n'a rien du conservateur systématique et ne se fait pas défaut de bousculer bien des traditions, se prononce nettement contre cette façon de voir : « On dit souvent... « Que penser de cette opinion du célèbre auteur des Propos ?

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« use dans la mesure où elles concourent à réaliser son propos.

La politesse du coeur lui permet d'en inventer, àl'occasion, de plus opportunes, comme aussi d'ailleurs de se libérer au besoin de celles qui, dans un cas particulier,obtiendraient un effet contraire à celui qu'il vise.

Aussi Balzac a-t-il pu écrire : « La politesse exquise, les bellesfaçons viennent du coeur et d'un grand sentiment de dignité personnelle ». III — CETTE POLITESSE SE MOQUE DE CERTAINES FORMES. Ainsi, pour l'homme poli de coeur, le code des usages mondains ne constitue pas une règle intangible et il ne se faitpas scrupule de l'accommoder aux personnes et aux circonstances.Comme nous l'avons dit, c'est principalement dans sa façon de traiter avec des inconnus que se manifeste l'habitudede la politesse.

En effet, ne sachant que très vaguement à qui on a affaire, il convient alors de mettre en pratiqueles règles générales admises dans le monde civilisé.

Mais, dans la mesure où l'on a une connaissance plusapprofondie de celui avec qui on traite, il convient d'adapter à chacun le principe général de la politesse ne pasdéplaire, mais chercher à faire plaisir.Il serait évidemment contraire à la vraie politesse, celle du coeur, d'user à l'égard d'un paysan qui n'est pas sorti deson village des formes qu'on observe dans les salons des ambassades : ce serait lui faire sentir trop brutalement ladistance qui le sépare de son interlocuteur.

On peut avec lui, et même on doit, se moquer de bien des formesobservées dans les relations mondaines, sans toutefois adopter nécessairement celles des relations paysannes, caril n'est pas sûr que ces manières — auxquelles se plient les maquignons de la politique — ne lui déplairaient pas.De même, dans les relations avec les gens au fait des conventions mondaines, il serait absurde et contraire à lapolitesse du coeur d'observer' à l'égard de tous les plus petites prescriptions d'une étiquette raffinée.

Un hommevraiment poli ne ménagera pas les marques de respect à celui qui s'offense de la moindre familiarité, mais il semontrera plus libre lorsque l'observation des formes risque d'être interprétée comme une intention de garder lesdistances.Il y a enfin les intimes avec lesquels on ne saurait sans ridicule prétendre s'en tenir à la politesse des cours.

Etmême ne semble-t-il pas qu'alors la politesse du coeur suffit IV.

— MAIS NON, SOUS PEINE DE SE PERDRE, DE TOUTE FORME. La politesse du coeur ne saurait jamais suffire.

Nous avons déjà donné une raison de cette insuffisance : étantdonné que nous ne pouvons lire dans les coeurs, tant qu'elle n'est pas manifestée, cette politesse est, pour celuiqui en est l'objet, comme si elle n'existait pas; elle a besoin de signes extérieurs pour être efficace.

Vous me direzque, dans l'amitié les marques d'affection importent beaucoup et remplacent, avantageusement, les formes quis'observent en dehors de l'intimité.

C'est cette suppléance que, avec ALAIN, nous ne pouvons admettre.Sans doute, les mots le disent, dans l'amitié, l'essentiel est d'aimer.

Mais l'affection véritable ne va pas sans respectet le respect sans une certaine réserve jusque dans les marques d'affection.

La familiarité engendre le mépris, a ditquelqu'un, et le mépris est incompatible avec l'amitié.

Une amitié ne se cultive donc pas par l'abandon de toutes lesformes de politesse.

Sans s'astreindre, évidemment, à celles qui s'imposent dans les relations protocolaires, elle doittrouver celles qui lui sont propres et qui l'aideront à se maintenir.

C'est la leçon opportune que nous donne ALAIN :"Je sais que l'amitié vent se passer de politesse; je ne crois pourtant pas qu'elle s'en passe tout à fait.

Il y aseulement une politesse propre à l'amitié, dont on peut dire qu'elle est moins stricte que l'autre, mais non pas qu'elleest moins attentive et fine; tout au contraire.

Ce qu'on appelle esprit est sans doute une vivacité à comprendre lessignes de ce genre, qui sont comme les signaux de l'amitié en péril, et même à les devancer." (ALAIN, Les Idées etles âges, II, 43-44.)« Les amitiés de politesse, où la forme sauve le fond, sont un précieux modèle pour l'amour, qui se corrompt, aucontraire, par un mépris de la forme.

» (Ibid., p.

188.)En définitive, c'est la politesse du coeur qui exige le secours des formes. CONCLUSION. - Ils se font illusion ceux qui prétendent fonder leur dédain des formes sur l'authenticité des sentiments qu'éprouve leur coeur.

En réalité, c'est devant la contrainte qu'ils se dérobent et ce qu'ils prennent pourdu naturel n'est que sans-gêne, politique de facilité qui se manifeste inévitablement dans l'ensemble de leurconduite.Au contraire — et c'est encore une leçon d'ALAIN — le respect des formes de la politesse est un exercice de hautevaleur éducatrice et qui contribue efficacement à la maîtrise de soi: « La discipline du geste est la politesse même», dit notre auteur; or, qui est maître de ses gestes l'est aussi de ses sentiments; ainsi, remarque-t-il ailleurs, lapolitesse « n'est qu'une gymnastique contre les passions ».Ces considérations, qui élargissent notre perspective, nous confirment dans la conviction que, loin d'êtrenégligeables et de mériter la moquerie des esprits ouverts, les formes de la politesse constituent l'armaturenécessaire d'une conduite personnelle et sociale vraiment humaine.. »

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