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Punir est-il un devoir ?

Publié le 27/02/2008

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Punir est-il un devoir ?

Qu'appelons-nous au juste punir? La punition suppose en premier lieu qu'une faute ait été commise. Elle est donc une réaction à un acte répréhensible. Mais, entre la punition infligée par le parent, celle infligée par le maître d'école, le professeur, ou encore un tribunal de grande instance, peut-on trouver un autre dénominateur commun que ce fait primordial caractérisant la punition comme réponse à un délit effectif? Dans tous les cas, il semble qu'il y ait à la base la transgression de la loi. Celle que les parents ont fixé, celle qui est instaurée au sein d'une école ou d'un lycée, ou encore plus globalement, celle qui a lieu dans la société. On est donc puni lorsqu'on transgresse des normes qui ont été initialement posées par un groupe (famille, éducation, société...), et la punition semble être proportionnelle au niveau d'importance des régles que l'individu remet en question. De toute évidence, tout groupe se structure précisément autours de règles pré-établies qui coordonnent l'action de ses différents acteurs. Le vivre-ensemble repose donc sur un édifice nomologique assurant son fonctionnement. C'est ici la loi en tant que règle dont nous parlons qui, comme une règle du jeu, régule précisément les démarches individuelles dans la collectivité. C'est à partir de ces règles qu'est généré un équilibre qui est remis en question par l'acte transgresseur. En ce sens, la punition apparaît comme une remise en ordre d'un équilibre chancelant. A un deuxième niveau, on peut penser la punition comme réponse à la transgression d'une loi en quelque sorte naturelle sur laquelle repose bien souvent les lois positives. Du simplement illégal, nous passons ici à l'illégitime. Dans tous les cas, en quoi est-ce nécessaire de répondre à un acte transgressant une loi? Mieux, peut-on voir une raison morale dans l'existence d'un pouvoir exécutif? Est-ce bien de punir, et en quoi cela est-il bien?

« II. Beccaria, dans son Traité des délits et des peines énonce la chose suivante: « Tout acte d'autorité exercé par un homme sur un autre homme est tyrannique s'il n'est pas absolument nécessaire.

La nécessité de défendre le dépôtde la sûreté publique contre les usurpations des particuliers est donc le fondement du droit de punir ».

Qu'est-ce à dire? En rentrant dans la société, nous sommes tous concerné par un contrat social par lequel nous acceptons de perdre une part de notre liberté afin d'assurer notre sécurité.

Ce qui me console toujours lorsque je suis en sociétéet que je fais l'expérience de cette perte de liberté, c'est que tous les autres ont également effectué ce dépôtd'une part de la leur.

Nous nous engageons donc chacun envers tous à accepter cette perte de par la réciprocitéqui la compense.

Ce pourquoi Beccaria rajoute: « C'est donc la nécessité qui a contraint les hommes à céder une partie de leur liberté, et il est bien certain que chacun n'en veut mettre dans le dépôt public que la plus petiteportion possible, c'est-à-dire précisément ce qu'il en faut pour engager les autres à le défendre ». Beccaria précise cependant que la punition est nécessaire, qu'elle est un devoir dans une société.

En effet, lecontrat social dans son exactitude écrite, dans la rectitude de ces règles, est semblable à un ordre géométrique,c'est à dire un ordre correct et exact qui dans la pointe de sa formalité va à l'essentiel.

Des règles claires, desdéductions logiques et prévisibles, voilà bien des adjectifs qualificatifs qu'il serait dure d'appliquer aux hommes:« Vouloir soumettre l'activité tumultueuse des hommes à la précision d'un ordre géométrique exempt de confusionet d'irrégularité, c'est former une entreprise que le succès ne saurait jamais justifier.

Toujours simples, toujoursconstantes, les lois de la nature n'empêchent pas que les astres n'éprouvent de l'aberration dans leursmouvements ».

Cette remarque est essentielle: il ne s'agit pas de savoir s'il faut regretter ou nom cette irrégularité humaine, ainsi que d'y attribuer un jugement de valeur.

Il faut simplement remarquer un hiatus évident entrel'appareil juridique et les hommes.

D'où le fait qu'il soit nécessaire d'épurer l'appareil juridique nous explique Beccaria,réduire le nombre de lois aux strict minimun afin d'assurer leur respect.

C'est à l'homme de se faire une idée de cequi est mauvais, sans qu'une loi soit sans cesse une béquille pour le jugement. Accepter ce hiatus, ne pas s'en plaindre outre mesure, pousse à se montrer clément dans la formulation desjugements de condamnation.

Il s'agit de ne pas oublier que « les hommes dans l'esclavage sont plus voluptueux, plus débauchés, plus cruels que les hommes libres.

Livrés aux sciences, occupés des intérêts des nations, cesderniers voient et agissent dans le grand, tandis que les autres, satisfaits des plaisirs du moment, cherchent dansle tourbillon de la débauche à se distraire de l'anéantissement où ils se voient ».

Priver les hommes coupables d'un délit de leur liberté n'est pas forcément quelque chose de positif, il n'y a que peu de cas d'orthopédie pénitentiaire:la prison ne soigne ni ne change l'homme bien souvent, mais à l'effet presque contraire la plupart du temps.

Rien nesert donc de punir si l'on n'organise point en amont des processus d'éducation, de prévention, si l'exemplarité deslégislateurs n'est pas sans faille...

Nul n'est méchant volontairement, aussi faut-il éclairer un peuple pour qu'il agisseen conséquence.

Beccaria conclue ainsi son ouvrage par ce théorème: « Pour que tout châtiment ne soit pas un acte de violence exercé par un seul ou par plusieurs contre un citoyen, il doit essentiellement être public, prompt,nécessaire, proportionné au délit, dicté par les lois, et le moins rigoureux possible dans les circonstancesdonnées ». Punir: la joie malveillant nietzschéenne; III. Ce théorème est capital puisqu'il nous rappelle, contrairement à quelquechose qui est très répandu aujourd'hui, que la justice n'est pas la justice de lavictime.

On ne punit pas pour « panser » les blessures de la partie civile.D'ailleurs, les pays où la peine de mort est encore en application n'ont jamaisrésolu les problèmes de deuil pour la famille des victimes.

Dans Surveiller et punir , le philosophe français Foucault commence son ouvrage par un rapport concernant l'exécution de la peine d'un condamné.

La scène est toutsimplement insoutenable tandis que le peuple se tient comme spectateur.Comment comprendre ce plaisir à voir souffrir? Comment comprendre cettejustice représentative où le supplicié subit son châtiment devant un public exalté? Comment même comprendre que dans de nombreux états dits« civilisés », on puisse assister à la condamnation à mort d'un condamné?C'est ici ce que Nietzsche dans la Généalogie de la Morale nomme, après Spinoza, une joie malveillante.

Il y a en chacun de nous un plaisir à voir souffrir celui qui nous a fait du mal.

Derrière le devoir de punir, il y a biensouvent un sadisme socialement accepté (ce qui permet son expression) àvoir le bourreau travailler.

Nous sommes ici dans le talion (« oeil pour oeil, dent pour dent ») et non plus dans la justice.

Derrière les grands principes judiciaires se cache la volonté de se venger, de voir souffrir l'autre. Rappelons-nous cette scène du Marchand de Venise de Shakespeare ou Antonio vient emprunter 3000 ducas au prêteur juif Shylock.

Ce dernier leprévient: s'il ne rend l'argent à temps, il se paiera sur sa chair en y découpant l'équivalent d'une livre.

Se payer surla chair de l'autre est en vérité un phénomène persistant dans l'histoire: on en retrouve des traces jusque dansl'Egypte ancienne.

Il y a en nous un plaisir à voir souffrir l'autre, à tel point que cela suffisait parfois à rembourserune dette.

Plus l'on s'endette, plus le prêteur gagne le droit de nous écouter crier en cas d'échec deremboursement.

Nietzsche pose dans son oeuvre ( Ibid. ) la question de savoir si cela est révolu? Les victimes ne désirent-t-elles plus voir souffrir le criminel? Mais il y a pire pour l'auteur.. »

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