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Platon, Théétète: Accoucher les âmes !

Publié le 16/04/2009

Extrait du document

platon
« SOCRATE — Voilà donc jusqu'où va le rôle des accoucheuses ; bien supérieure est ma fonction. Il ne se rencontre point, en effet, que les femmes parfois accouchent d'une vaine apparence et, d'autres fois, d'un fruit réel, et qu'on ait quelque peine à faire le discernement. Si cela se rencontrait, le plus gros et le plus beau travail des accoucheuses serait de faire le départ de ce qui est réel et de ce qui ne l'est point. N'es-tu pas de cet avis ? THEETETE — Si fait. SOCRATE — Mon art de maïeutique a mêmes attributions générales que le leur. La différence est qu'il délivre les hommes et non les femmes et que c'est les âmes qu'il surveille en leur travail d'enfantement, non point les corps. Mais le plus grand privilège de l'art que, moi, je pratique est qu'il sait faire l'épreuve et discerner, en toute rigueur, si c'est apparence vaine et mensongère qu'enfante la réflexion du jeune homme, ou si c'est fruit de vie et de vérité. J'ai, en effet, même impuissance que les accoucheuses. Enfanter en sagesse n'est point en mon pouvoir, et le blâme dont plusieurs déjà m'ont fait opprobre, qu'aux autres posant questions je ne donne jamais mon avis personnel sur aucun sujet et que la cause en est dans le néant de ma propre sagesse, est blâme véridique. La vraie cause la voici : accoucher les autres est contrainte que le dieu m'impose ; procréer est puissance dont il m'a écarté.» Platon, Théétète, trad. A. Diès, Les Belles-Lettres, 150 a-c
  • I Méthodes

a - Particularités du texte : Un dialogue Ce genre littéraire apparaît d'emblée difficile à traiter. Que faire des personnages ? Faut-il morceler son explication en fonction des répliques ? Comment y retrouver la substantifique moelle philosophique ? Pourtant, il faut écarter l'idée qu'il faudrait traiter un dialogue autrement qu'un texte de forme ordinaire. Ceci pour deux sortes de raisons, d'ordre technique et d'ordre philosophique. - Techniquement parlant, la forme dialoguée n'exige aucun traitement particulier, puisqu'il s'agit toujours de reconstruire l'argumentation, de produire les articulations, de repérer et d'analyser des notions. Le programme type de l'explication ou du commentaire doit donc s'appliquer intégralement, sans autre forme Philosophiquement parlant, il n'y a aucune différence substantielle à établir. Platon nous le dit lui-même (Sophiste, 217 b - 218 a) : la “ méthode interrogative ” ne relève pas de l'obligation doctrinale, mais de la commodité pratique. Si l'on dispose d'un “ partenaire complaisant et docile ”, explique-t-il, la méthode “ avec interlocuteur ” est “ la plus facile ”. Si cette condition n'est pas remplie, “ mieux vaut argumenter tout seul ”. Voilà qui nous renvoie à la définition de la pensée comme dialogue de l'âme avec elle-même (Théétète, 189 e). Dans tous les cas il faut une dualité, parce que le mouvement de la pensée requiert d'abord une prise de distance à l'égard de l'apparence immédiate, puis une reprise au niveau supérieur. Ainsi se déploie l'art de “ rendre et demander raison ” qui est proprement la dialectique philosophique (République, 531 d). - Il faut cependant se garder d'en déduire que la forme dialoguée doit être considérée comme un pur accident rhétorique. Au contraire, toute pensée philosophique apparaît de nature dialogale. La vérité philosophique ne se donne pas dans un discours monolithique qu'il suffirait d'apprendre comme un savoir tout fait, mais par un long cheminement personnel, que chacun doit assumer pour son propre compte. La méthode socratique est donc indissociable de la pensée à ÷uvre. C'est pourquoi on retrouvera au sein même du texte une part des fondements philosophiques d'un tel procédé. La philosophie est une pratique initiatique, qui requiert une altérité.

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« a - Introduire Le thème saute aux yeux : il s'agit de la maïeutique.La thèse ne peut être identifiée qu'après lecture approfondie du passage entier.

Le motif de l'impuissance socratiquedoit en effet se renverser : pour s'initier à la philosophie, il faut passer par une médiation incarnée en un médiateur,dont le modèle est Socrate.L'enjeu fondamental apparaît alors : il s'agit du statut de la vérité philosophique.

En effet, elle réside au plus profondde chacun de nous, et tout le travail consiste à la mettre au jour.

Elle paraît naître, alors qu'elle était déjà là.Remarque Pour présenter son explication de manière satisfaisante, il convient de présenter ce point sous forme dequestion.

Par exemple : quel est le statut de la vérité philosophique ? Tel est l'enjeu majeur de ce passage. b - Préparer un plan Le plan est difficile à identifier.

C'est un des inconvénients de la forme dialoguée.

Sachant que c'est le contenu quiprime, il faut repérer les articulations de l'argumentation avant de procéder au découpage.On observera d'abord que Socrate procède à une comparaison point par point de l'art des sages-femmes et de l'artdu maïeuticien, en partant d'un fond de similitude.

On pourra donc présenter sa première partie en se demandants'1'1 _y a une spécificité de la maïeutique.En introduisant le motif de l'impuissance des accoucheuses, Socrate fait rebondir son discours vers sa propreimpuissance (philosophique celle-là).

C'est la seconde phase de son argumentation.

On pourra donc présenter saseconde partie en se demandant si Socrate est philosophiquement impuissant. Remarque: cet extrait peut s'expliquer en deux temps.

Ceci tient à son découpage.

Il ne faut pas s'en offusquer,puisque seul le texte fait foi.

On pourrait sans doute découper en trois points, en dissociant deux types dedifférences entre l'art d'accoucher et la maïeutique : 1) selon l'opposition entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas; 2) selon qu'on accouche les “ hommes-âmes ” et non les “ femmes-corps ”.

Mais on peut alors craindre unalourdissement inutile. c - L'explication du texte 1 Y a-t-il une spécificité de la maïeutique ? Cette question est la première que doit se poser le lecteur.

Le texte ne se comprend pas sans un fond de similitudeentre maïeutique et art d'accoucher, sans quoi la comparaison serait impossible.

Dans sa seconde intervention,Socrate l'indique explicitement : “ mon art de maïeutique, déclare-t-il, a mêmes attributions générales ” que l'art desaccoucheuses.On sait par ailleurs que Socrate se désignait lui-mêmecomme “ fils d'accoucheuse ” (il s'agit de Phénarète).

Il faut encore ajouter que le terme de maïeutique signifielittéralement “ art d'accoucher ”.

Enfin, Socrate décrit les divers aspects de son art en le confrontant à celui dessages-femmes.Comment alors préserver la différence ? Socrate va la détailler sur plusieurs registres.- Les accoucheuses n'ont pas à discriminer le réel et l'apparence, alors que le maïeuticien doit le faire.En effet, il n'arrive pas que les femmes accouchent tantôt d'une “ vaine apparence ”, tantôt d'un “ fruit réel ”.Toute naissance se situe sur le même plan du réel corporel.

Un enfant peut se présenter de multiples manières, ilrelève toujours du même genre de réalité.

Il n'y a pas de “ vrais ” et de “ faux ” enfants, des enfants “ réels ” etdes enfants “ apparents ”.On peut le confirmer a contrario : s'il n'y avait pas ces différences, l'art d'accoucher et la maïeutique socratiqueseraient rigoureusement identiques.

Et l'on pourrait affirmer que “ le plus gros et le plus beau travail desaccoucheuses ” serait d'opérer la discrimination entre ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

Or ce n'est pas le cas.On voit donc, par différence, ce qu'est le travail de la maïeutique : discerner le réel et l'apparence, le vrai et le faux.Par rapport à l'art d'accoucher, nous changeons de plan, de registre ontologique.

C'est pourquoi Socrate affirmed'emblée que sa fonction est “ bien supérieure ”.L'opposition est complétée un peu plus bas : le disciple accouche soit d'apparences vaines et mensongères, soitd'un fruit de vie et de vérité.

Une telle alternative ne prend son sens qu'en philosophie. Seconde différence majeure, l'art de Socrate délivre les hommes (entendons les “ mâles ”, pas “ les hommes ” ausens générique, le grec est clair) et non les femmes.Cette opposition a un sens primaire : à l'homme revient le travail philosophique, à la femme le travail génésique.

Il enrésulte que la vraie vie n'est pas de l'ordre des vivants charnels, mais de l'ordre de l'esprit (dans le Banquet, Platonexplique que les vivants qui se reproduisent miment à leur manière l'éternité qu'ils n'ont pas en ce bas monde).Faut-il en déduire que Socrate est un abominable misogyne ? La solution n'est pas si simpliste. Troisième différence, en effet : il s'agit de l'enfantement des âmes et non de celui des corps.

L'opposition de l'âmeet du corps complète et éclaire celle de l'homme et de la femme.

Socrate établit une connexion entre l'homme etl'âme, d'une part, la femme et le corps d'autre part.L'infériorité présumée des femmes découle donc, en réalité, de l'infériorité ontologique des corps.

Il en résulte queles notions d'homme et de femme ont ici une dimension symbolique : est “ homme ” l'être centré sur l'activité del'âme, “ femme ” l'être consacré aux activités corporelles (ceux qui auront la curiosité de lire tout le dialogue. »

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