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Peut-on reprocher à l'art d'être inutile ?

Publié le 20/07/2010

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Le point de vue du reproche est un point de vue paresseux si l'on veut : il veut l'achèvement sans en passer par le processus, pas le travail, la mise en œuvre (Wirklichkeit, energeïa), au risque de l'échec. Il est oubli du sens de « parfait « : il prend ce mot comme désignant un modèle absolu, alors qu'il signifie ce qui a été complètement fait, ce dont l'achèvement se présente à nous. Point de vue de l'artisan qui réfléchit son travail.  Si, comme on l'a vu, reprocher à l'art son inutilité, c'est considérer l'art comme un ensemble d'œuvres, et non comme activité faisant advenir une chose, on peut donc en déduire que ce reproche exprime un oubli du travail. Il s'agit donc d'un point de vue de consommateur qui attend de trouver sur le marché les produits conformes à son désir, sans effort. Point de vue qui voit l'usage, dans l'oubli de la chose, mais aussi point de vue de l'usure, c'est-à-dire de la destruction de la chose en quoi consiste toute consommation. La posture du reproche exprime donc une primauté de la mort sur la vie : elle est nihiliste. Sans doute est-elle privilégiée par une époque où la technique semble offrir des produits de consommation sans effort, escamotant le geste du travail. A l'opposé, l'art peut être dit « parti pris des choses « (F. Ponge).   

« sommes là en présence d'une antinomie.Thèse : les œuvres d'art, pour attirer et retenir le public doivent lui plaire immédiatement.

Or l'homme du communn'est pas un sage, mais un ignorant.

L'œuvre d'art tâche donc de capter son ignorance, c'est-à-dire de s'adresser àce qu'il croit être bon : elle ne peut solliciter ce qui est bon puisqu'il l'ignore.

Elle va donc flatter en lui les passionsles plus vulgaires.

En d'autres termes, une œuvre d'art, pour être efficace doit plaire au plus grand nombre, et ellene peut y parvenir qu'en étant spectaculaire.

Or la vertu n'offre que des spectacles ennuyeux.

Au lieu de montrerce qui est bon, l'art ne fait qu'exposer le mal et, par là même, l'érige en modèle.On lira Platon, République X, ou Rousseau, lettre à d'Alembert.Antithèse : l'art doit, comme tout bon pédagogue, aller chercher les hommes où ils sont ; seuls les sagescomprennent immédiatement le discours de la sagesse.

Il faut donc, par le plaisir pris à une belle œuvre, conduireles hommes à la conscience du caractère néfaste des passions.

L'art est donc transformation des passions par leurmise à distance sur la scène : il a pour fin la purification du spectateur, qui sort de la représentation transformé,ayant pris conscience de ce qui, dans la réalité est mauvais.

Loin d'être inutile, voire nuisible, l'art est bénéfique.On lira Molière, préface à Tartuffe, Racine, préfaces à Iphigénie et à Phèdre, B.

Brecht, L'achat du cuivre, in Ecritssur le théâtre, p.

613-621.On pourrait aboutir à un compromis : il y a des œuvres inutiles, d'autres utiles : « Quelle vanité que la peinture quiattire l'admiration par la ressemblance des choses, dont on n'admire point les originaux » (Pensées, fgt 40 L.).Mais il faut prendre le problème à la racine si on veut sortir d'un tel mouvement de balancier : s'interroger sur lanécessité de l'art, en considérant l'art comme une activité humaine, et non en partant des œuvres d'art considéréescomme des données dont on cherche quoi faire.

Au lieu de partir des choses pour en inférer la fin, cherchons àcomprendre comment ces choses-là, les œuvres d'art, sont venues à l'existence. Il faut revenir sur le sens de « art », en remarquant la parenté qui lie l'artistique avec l'artisanal.

Même racineétymologique.

Notre question : a-t-elle un sens réel ?Quel est le sens originel ? On l'a dit : l'art est une « disposition à produire », un savoir-faire.

Terme complexe :savoir et faire ; esprit et corps : la main, organe intelligent.

Il y a de la science dans l'art, mais il n'y a pas que de lascience.

Le concept, ici, n'est pas séparé de sa mise en œuvre, de sa réalisation, de son devenir chose.

Le savoirse montre dans le faire, parce qu'il ne suffit pas de savoir pour faire (Kant § 43 de la C.F.J.).

Tout ce qui peut êtrefait ainsi relève du mécanisme, non de l'art (Alain).

C'est ce que la production industrielle nous apprend, que lesAnciens ne pouvaient pas savoir, même s'ils le pressentaient.« Art » est donc le nom d'une espèce de causalité : conjonction de quatre causes : matérielle, formelle, mécanique,finale.

Il faut un sujet capable de les conjuguer correctement, ce qui ne se fait pas à l'aveuglette.

Telle est ladisposition : non pas une capacité innée, mais acquise par exercice.

Et l'exercice n'est pas un simple entraînementphysique : il est plutôt de l'ordre de la répétition à laquelle se livre le musicien ou le comédien, incorporation de l'idéequi passe par son intelligence.

Le travail mécanique, celui qui n'aboutit pas à une œuvre mais à un effet (ex.

letravail de l'ouvrier à la chaîne), est objet d'un simple entraînement.

Ensuite il n'y a plus qu'à répéter.On peut donc dire que lorsqu'il n'y a qu'à appliquer une recette, faire « entrer » la forme dans la matière, il n'y a pasart.

Celui-ci suppose une résistance de la matière, laquelle contraint l'intelligence.

Tel est l'origine commune à tousles arts, qu'ils aboutissent à un produit d'usage, ou à une « belle » chose. Comment se fait le partage entre les deux ? Tout art est d'abord artisanal : l'idéalisme qui méprise la technicité dufaire, qui ne veut pas entendre parler de la matière, méprise ce qu'il y a de plus humain en l'homme, la capacité detransformer le donné sensible.

« La loi suprême de l'invention humaine est que l'on n'invente qu'en travaillant.

Artisand'abord.

Dès que l'inflexible ordre matériel nous donne appui, alors la liberté se montre » (Alain Système des beaux-arts, I, 7).L'art commun de l'artisan et de l'artiste consiste en un faire : produire quelque chose de solide.

C'est en ce sensqu'ils sont l'un et l'autre une pensée : penser c'est penser quelque chose ; une idée est idée de quelque chose.

Il ya des degrés dans les idées, comme dans la réalité.

L'artisan ou l'artiste qui pense son ouvrage ne le pense vraimentqu'à proportion de ce qu'il est, et il ne sait ce qu'il est que s'il le fait exister.

« Penses ton œuvre, oui certes ; maison ne pense que ce qui est : fais ton œuvre » (id., I, 6).

L'idée ne provient donc pas de rien, ni de la fantaisie del'imagination, trop faible par elle-même pour créer.

C'est au travail que ce fait le départ entre l'artiste et l'artisan.« L'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pansédès qu'il essaye ; en cela il est artiste, mais par éclair » (I, 7).

L'artiste invente en faisant, provoqué par lesrésistances que la matière lui oppose.En conséquence « l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même plus rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite,comme au spectateur, et qu'il est spectateur de son œuvre en train de naître » (id.).

On trouverait de nombreuxtémoignages d'artistes allant dans ce sens : Léonard de Vinci pratiquant une sorte de dessin automatique jusqu'àtrouver la forme qui s'impose ; Michel-Ange méditant devant des blocs de marbres ; Aragon affirmant « je n'ai jamaisappris à écrire.

» etc..

Il y a une nécessité propre à l'œuvre qui s'impose dans la réalité matérielle, dont l'artiste sefait le récepteur, jusqu'à trouver le point où elle rencontre sa pensée.

Ainsi quand on sculpte une racine, invité parun nœud du bois, comme si on délivrait, selon le mot de Michel-Ange, le modèle qui y est enveloppé.

« Maiscomment ? C'est lui qui le dira, en se montrant mieux à mesure qu'on le dessine lui-même.

(…) Il s'agit de faire unestatue qui ressemble de mieux en mieux à elle-même » (Alain, Vingt leçons sur les beaux-arts, 15e leçon).L'art dépasse l'utile sans le nier, en ne soumettant pas la matière au désir de l'homme, mais en cherchant aucontraire une pensée immanente à la matière même.

Comment en rendre raison ?Tout le problème posé ici est métaphysique : articulation de la pensée et de la matière.

Une pensée qui ne sedonnerait pas l'objet de sa pensée, qui ne s'extérioriserait pas, ne penserait pas.

Nécessité inhérente à laconscience et à la conscience de soi.

En elle-même la pensée ne trouverait rien d'autre qu'elle même.

Si elle peutpenser toute chose, elle ne peut le faire qu'en posant hors de soi ce qu'elle pense.. »

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