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Peut-on ne pas savoir ce que l'on fait ?

Publié le 25/05/2009

Extrait du document

Lorsqu'au cours d'une manoeuvre périlleuse on nous demande parfois si nous savons ce que nous faisons, la réponse semble évidente : nous sommes les premiers concernés par l'action puisque nous avons décidé de la faire. Un minimum d'attention et de volonté paraît indispensable pour agir, à plus forte raison pour une action délicate. Pourtant, nos actions ne correspondent pas toujours à ce que nous pensions faire. L'accident survient alors que nous étions concentrés sur notre tâche. Il s'agit alors de se demander si la conscience possède une connaissance suffisante, voire complète, des actions que le sujet effectue. Cette question du pouvoir de la conscience par rapport à l'action pose le problème de savoir si la connaissance d'une action ne constitue pas pour elle-même sa principale limite. En d'autres termes, en se concentrant sur ce que l'on fait, on risquerait de négliger d'autres facteurs intervenant dans cette même action. Parce qu'on a pleinement conscience d'un aspect de l'action, on laisserait de côté les autres. Dès lors, prétendre savoir ce que l'on fait, n'est-ce pas tomber dans une illusion plus grave ? Nous verrons ainsi dans un premier temps en quoi on ne peut pas ne pas savoir ce que l'on a choisi de faire. Puis, dans un deuxième temps, nous étudierons en quel sens une partie de l'action peut la masquer aux yeux de la conscience, qui ne sait donc plus entièrement ce qu'elle fait. Enfin, nous nous demanderons si ce n'est pas paradoxalement quand on a conscience de ne pas savoir entièrement ce que l'on fait qu'on y serait le plus attentif. 1. On ne peut pas ne pas savoir ce que l'on choisit de faire. Être au fait de ses actes, c'est savoir ce que l'on fait. Non seulement on a conscience de ses actions — au sens où on y est attentif —, mais on en possède également une forme de connaissance. La connaissance de soi permet de savoir comment et pourquoi on décide d'agir ainsi. Le savoir s'accompagne d'une forme de maîtrise : savoir, c'est prévoir donc pouvoir se contrôler en anticipant. Il ne s'agit pourtant pas d'une omniscience : je ne sais pas absolument tout sur moi, car mon entendement est fini, donc imparfait. Savoir ce que l'on fait, ce n'est pas savoir tout ce qui se passe en soi, mais savoir ce que l'on décide de faire. Il existe une multitude d'actions physiologiques — comme par exemple la digestion — auxquelles on ne pense pas car on ne les choisit pas. Par contre, dès que l'on prend l'initiative de réaliser une action précise, on sait ce que l'on fait. En ce sens, il s'agit d'une puissance de concentration. Ainsi, pour Descartes, la conscience est maîtresse d'elle-même. Elle désigne la pensée présente en permanence. Parce qu'elle s'exerce sans cesse, Descartes la définit comme substance pensante, c'est-à-dire ce qui n'a besoin que de soi-même pour exister, donc pour penser. Il ne dit pas pour autant que la conscience peut maîtriser toutes ses pensées. Les désirs, par exemple, apparaissent indépendamment de la volonté. Mais la décision de les satisfaire ou non, c'est-à-dire d'agir, dépend entièrement de la conscience [voir le cours sur la maîtrise des désirs, qui repose sur la connaissance]. On peut donc savoir ce que l'on a décidé de le faire, même lorsqu'on répond à un désir involontaire. Chacune de nos actions dépend de notre conscience libre car rien ne nous oblige à les réaliser. Même si certains besoins doivent être nécessairement satisfaits, nous gardons la liberté d'y répondre comme nous le souhaitons. Manger, par exemple, est vital, mais je choisis ce que je vais manger. Chaque action se précède donc d'une délibération, car elle n'était pas fixée à l'avance. C'est pourquoi Sartre refuse l'idée d'une nature humaine qui nous pousserait à agir d'une façon prédéterminée. Si c'était le cas, nous pourrions ne pas savoir ce que nous faisons, car nous agirions par instinct, comme les animaux, c'est-à-dire sans réfléchir à ce que nous pouvons faire. L'homme a la liberté de faire ce qu'il veut de son existence. Pour chaque circonstance, une multitude d'actions sont possibles. Cela implique qu'il réfléchisse à la moindre action. Dès lors, non seulement nous savons ce que nous faisons car nous l'avons choisi librement, mais ce sont ces actions qui nous définissent en retour. Les hommes ne possèdent pas d'essence définie à l'avance, ils la construisent progressivement par leurs actions libres. Si quelqu'un déclare ne pas avoir su ce qu'il faisait et cherche une excuse, il tombe dans la mauvaise foi qui consiste à s'inventer une nature déterminée pour échapper à sa responsabilité. Or cette excuse de mauvaise foi résulte elle aussi d'une décision libre, donc la personne sait ce qu'elle fait en mentant ainsi. Par conséquent, nous ne pouvons pas ne pas savoir ce que nous faisons, car nous sommes ce que nous faisons de nous-mêmes.

« conséquences et ses motivations plus ou moins avouées.

La conscience peut-elle alors connaître l'ensemble de cesimplications ? 2.

Ne savoir pas ce qu'implique ce que l'on fait. Savoir ce que l'on fait implique de réfléchir non seulement à l'action elle-même, mais aussi à ses conséquences.L'inconscient est celui qui n'y prête jamais attention.

Mis devant le résultat condamnable de son actionirresponsable, il répondra simplement qu'il ne savait pas ce qu'il faisait.

Son attitude est immorale, car il ne s'est pasdonné la peine de réfléchir.

Mais on rencontre également ce problème, certes à un degré moindre, avec lespersonnes raisonnables.

La définition d'une action, morale ou non, soulève la question du critère efficace pour enjuger.

En effet, lorsqu'une personne agit, elle ne connaît pas toutes les conséquences de ses actes, même si ellefait l'effort de les envisager.

Le devenir de l'action échappe au contrôle de la volonté, car interviennent unemultitude de facteurs extérieurs.

Si, par malheur, alors que la personne croyait avoir agi dans un but précis, lerésultat de l'action est tout autre, on lui reprochera de ne pas avoir su ce qu'elle faisait.

Or, si son intention étaitjuste, doit-on la blâmer ?On pourrait alors ne juger une action que sur son intention, en laissant un droit à l'erreur quant au résultat.

Onsaurait ce que 'l'on fait, à partir du moment où l'on aurait conscience de l'intention dans laquelle on l'effectue.Pourtant, le sujet humain cherche parfois à ne voir que son intérêt dans ce qu'il fait, tout en prétendant agir pourune raison plus haute.

Il ne prête pas toujours attention à la sincérité de son intention.

Ainsi, pour Nietzsche, leshommes ne savent pas ce qu'ils font, car ils ne tiennent pas à le savoir.

L'exigence de vérité est souvent uneexcuse qui masque le fait de ne pas vouloir subir de dommage.

Je force autrui à me dire la vérité, non pas parce quej'aime la vérité en elle-même, mais parce que je ne veux qu'une vérité qui irait à rencontre de leurs désirs.

Nietzschepousse cette conception à l'extrême : la notion de vérité est le plus grand des mensonges que les hommes se soientfait à eux-mêmes [voir cours].

Finalement, la distinction entre la vérité et le mensonge n'a aucune valeur ; seulecompte la volonté de puissance qui vise à déployer ses propres forces.

La morale qui privilégie l'intérêt des autressur l'intérêt individuel n'est qu'un mensonge inventé par les faibles pour se protéger des plus forts.

Nous ne savonspas ce que nous faisons, car nous ne prenons pas conscience de la motivation essentielle qu'est cette volonté depuissance, qui dépasse considérablement le cadre de la volonté consciente.

Pire encore, en prétendant chercher àsavoir ce que nous faisons au nom de la vérité et de la responsabilité, nous engendrons la plus grande des illusions.On ne sait plus ce que l'on fait lorsqu'on s'imagine savoir ce que l'on fait. [Transition :] Toutefois, si la conscience a tort de prétendre à un savoir plus étendu que celui qu'elle possède, il n'en demeure pasmoins qu'elle conserve une part de connaissance sur les actes effectués.

Bien plus, ne peut-elle se servir de laconnaissance de son ignorance comme d'uneforce pour pallier cette faiblesse ? 2.

Savoir t|ue l'on ne sait pas entièrement ce que l'on fait. Il existe, en fait, différents niveaux de connaissance pour une même action.

En effet, quand j'ai l'habituded'effectuer une action, je fais quelque chose que je sais faire, mais auquel je ne prête pas attention.Paradoxalement, le savoir-faire consiste à ne plus savoir ce que l'on fait.

Il faut distinguer ici la connaissancetechnique, qui a été progressivement acquise, et la conscience attentive.

Bergson en explique le processus.

Pouracquérir une connaissance technique, la conscience attentive doit avoir décidé de se concentrer sur l'application et.la mémorisation de chaque geste.

Grâce à la répétition, c'est-à-dire à l'exercice, l'action devient progressivementhabituelle.

En ce sens, dire que l'on ne sait plus ce que l'on fait signifie qu'on n'y prête plus attention.

L'habitude sesubstitue à l'attention.

Le geste technique, en effet, reste le même ', c'est l'attention qui se porte ailleurs.

Oncomprend alors que, au-delà du paradoxe apparent, l'intégration totale de connaissances renvoie à la disparition dela conscience.

La conscience ne prête plus attention aux détails de ce savoir-faire, ce qui lui permet de se tournervers d'autres problèmes.

En d'autres termes, parce que l'on ne sait plus ce que l'on fait dans le geste habituel, onpeut mieux s'intéresser au but de ce geste.

C'est la condition fondamentale de l'apprentissage et du progrès.Apprendre signifie, en définitive, pouvoir ne plus être contraint de savoir ce que l'on fait sur un détail, afin de passerà l'étape supérieure.

Par exemple, je ne prête plus attention à la façon dont j'écris, pour mieux me concentrer sur ceque j'écris.

La concentration repose sur une inattention fondamentale.

Le distrait — qui n'est pas à ce qu'ilfait — n'est pas celui qui ne pense pas à une chose, mais celui n'en finit pas de penser à une multitude dechoses.

Savoir ce que l'on fait, c'est savoir oublier le reste pour se concentrer.Toutefois, les habitudes ne doivent pas servir d'excuses.

La conscience a la possibilité, i tout instant, de redevenirattentive à tel ou tel geste habituel.

Je peux par exemple, pour une occasion particulière, me concentrer denouveau sur le tracé des lettres.

L'habitude prend le relais de la conscience attentive, mais elle ne l'exclut pasdéfinitivement.

C'est d'ailleurs la conscience qui a choisi librement d'acquérir cet automatisme : elle doit pouvoir enrépondre ;n permanence.

On retrouve ainsi le principe d'Aristote selon lequel nous sommes responsable de noshabitudes.

Elles ne doivent pas devenir un piège, au sens où la conscience déserterait toutes responsabilité.

PourAristote, la conscience doit au contraire se servir de la force de l'habitude comme auxiliaire pour s'entraîner à lavertu.

L'habitude soulage la conscience, mais elle ne peut fa remplacer entièrement.

On reste responsable de sesactions inattentives, car on est censé pouvoir y prêter attention à tout instant.. »

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