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Peut-on dire qu'une guerre est un désordre politique ?

Publié le 13/10/2009

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Peut-on dire qu'une guerre est un désordre politique ?

La guerre, telle qu’elle nous apparaît le plus souvent, est une lutte qui prend la forme d’un conflit à la fois collectif et armé. Elle représente ainsi le plus haut degré de violence parmi tous les conflits possibles, et est synonyme de morts d’hommes. A l’inverse, la politique est une activité de gouvernement des êtres humains. Elle vise à assurer, par la loi notamment, un ordre qui est celui de la coexistence pacifique des individus et de leurs libertés respectives entre eux. La guerre semble donc contraire à cet ordre que vise à instaurer la politique : ce serait lorsque le pouvoir politique – c’est-à-dire chargé de faire respecter cet ordre – se désagrège que surgit un désordre politique qui amène à la guerre.

  Mais si l’on cherche à définir la guerre plus précisément, on s’aperçoit que c’est une forme bien précise de conflits collectif et armé qui met face à face deux (ou plus) armées munies de matériel. Or seuls des Etats sont capables de réunir des êtres humains sous un commandement et de mettre à leur disposition une certaine puissance industrielle leur permettant de tous s’armer. Il semble donc que la guerre, même si elle peut paraître contraire à l’ordre politique, suppose cet ordre afin de pouvoir constituer les forces qui s’affrontent lors de cette guerre.

  Il semblerait que l’on peut même faire l’hypothèse selon laquelle la guerre est condition de l’ordre politique. Le développement des Etats modernes en Europe s’est fait par exemple par regroupement des petites armées seigneuriales en une armée royale : le pouvoir politique du Roi regroupant l’ensemble des forces militaires ne trouva plus de résistances à l’intérieur de ses frontières et l’on passa de l’Etat féodal à l’Etat absolu. Puisque toute autorité politique doit être accompagnée de la menace d’une contrainte physique pour se faire respectée, il semble que la guerre, en tant qu’elle a requis la formation de groupement armés permanents, fut la condition de possibilité des Etats et donc des ordres politiques actuels.

  Il y a donc un paradoxe : la politique semble l’activité qui produit un ordre évitant la guerre, et en même temps elle apparaît comme sa condition de possibilité, voire même ce qui résulte de la menace de la guerre. Il nous faut donc résoudre ce problème : la guerre est-elle opposée à l’activité politique ou son horizon et sa condition de possibilité ?

« bien du mal, l'esthétique le beau du laid, l'économique le rentable du nuisible, etc.

Et qu'en est-il du domainepolitique ? L'activité politique se fonde sur une distinction et vise à distinguer entre l'ennemi et l'ami.

En effet, unepuissance comme celle de l'Etat ne se rassemble que lorsqu'il y a un ennemi désigné qui fédère contre lui unensemble d'individus se reconnaissant entre eux comme amis.

La politique ne repose donc pas sur une distinctionentre ce qui est bon ou mauvais pour la société, mais sur ce que Schmitt nomme le caractère existentiel du dangerde mort qui implique de tuer ou d'être tué, et donc de désigner un ennemi.

L'autorité politique est ainsi celle qui, demême que l'autorité esthétique désigne le laid et le beau, peut désigner l'ennemi et l'ami.C./ Cela permet à Schmitt de dire que même si un Etat n'entre pas actuellement en guerre, tout groupementproprement politique se fait dans l'horizon d'une guerre, même si elle n'a jamais lieu : « Le cas de guerre est resté,jusque dans le présent, l'épreuve décisive par excellence.

En cette occasion comme en beaucoup d'autres, on peutdire que c'est la situation d'exception qui revêt une signification révélatrice du fond des choses.

Car il faut qu'il y aitlutte réelle pour que se manifeste la logique ultime de la configuration politique qui oppose l'ami et l'ennemi.

C'estdans la perspective de cette éventualité extrême que la vie des hommes s'enrichit de sa polarité spécifiquementpolitique.

» Et plus les conflits qui opposent un groupement à un autre se font violents et armés, plus ils ontd'effets de cohésions sur les groupes qui s'affrontent, plus cette lutte et les communautés qui se font face sontpolitiques.

Lors des guerres de religions, ce n'étaient pas des groupes ecclésiastiques qui s'affrontaient sous laforme de l'Eglise catholique et l'Eglise protestante mais bien des groupes politiques.

Car à partir du moment où lesdirigeants de ces Eglises ont eu la possibilité de désigner à leurs ouailles un ennemi à tuer avant d'être tués et ainside mettre les communautés dont ils avaient la charge dans un état de guerre, leur autorité ne portaient plus sur ladistinction entre le bien et le mal, mais sur l'ennemi et l'ami.

Ainsi, bien loin d'être un désordre politique, la possibilitéd'une guerre semble être la condition de tout ordre politique : car c'est seulement lorsqu'une autorité aux pouvoirset les moyens pour déclarer et mener une guerre qu'elle est politique et qu'elle peut organiser un groupement humaincomme une communauté politique.

L'intérêt de cette thèse de Schmitt est qu'elle met en lumière le lien entre organisation politique et possibilité d'uneguerre extérieure.

En effet, les guerres réelles auxquelles on assiste actuellement sont toutes des guerres opposantdes Etats, et la constitution de ces Etats est bien souvent déterminée par des exigences militaires.

Mais ladistinction qu'il prend pour fondement de tout domaine politique, entre amis et ennemis, est bien trop abstraite etidéologique.

En effet, une communauté politique n'est jamais un bloc uniforme d'individus qui se reconnaissentcomme amis : elle est toujours parcourue de conflits et de désordres.

La politique impose moins un ordre à unecommunauté qu'elle ne résulte de ses désordres qu'elle cherche à canaliser.

Quelle est alors la place de la guerredans ces désordres politiques ? III./ Guerres et désordres politiques.

A./ S'il peut paraître que la guerre extérieure est un moment particulier pour la politique, c'est que c'est un desrares moments où celle-ci peut apparaître soudée.

La plupart du temps, la Cité est divisée en plusieurs factions etl'activité politique semble toujours accompagner des conflits intérieurs.

Or il est tout à fait probable que ces conflitsinternes, ces désordres politiques, soient le contraire de la politique, un échec de l'activité de gouvernement.Comme le remarque Machiavel dans le chapitre IV de son Discours sur la première décade de Tite-Live : « Dans toute république, il y a deux partis :celui des grands et celui du peuple ; et toutes les lois favorables à la liberté nenaissent que de leur opposition.

» Il y a au moins forcément deux groupes dans toute communauté politique : ceuxqui désirent accroître leur autorité sur les autres (les Grands) et ceux qui désirent ne pas être commandés (lePeuple).

De l'opposition de ces deux désirs (« humeurs ») naissent des « tumultes » qui empêchent l'Etat de tomberdans la tyrannie ou la parfaite licence.B./ La politique ne doit donc pas être pensée comme l'imposition d'un ordre à une communauté mais commel'activité qui naît du désordre intrinsèque à toute vie en commun des hommes.

En effet, ce sont eux qui produisentdes institutions qui permettent aux Etats de s'améliorer : « Si les troubles de Rome ont occasionné la création destribuns, on saurait trop les louer.

» Les tribuns, magistrats de la plèbe, ont en effet empêché que le Sénat, formépar les élus patriciens, ne s'accapare tout le pouvoir.

Seulement, la condition pour que ces conflits ne mènent pas àune guerre civile est qu'ils « n'aient été cause d'aucune violence qui ait tourné au préjudice du bien public.

» Or laguerre semble être une telle forme de violence qui menace le bien public.

Il ne semble donc pas que l'on puisse direque la guerre ne soit qu'un désordre parmi tous ceux qui forment la vie politique d'un Etat et contribuent à sonamélioration.C./ Or il faut bien distinguer, comme on l'a fait ci-dessus, entre guerre intérieure et guerre extérieure.

En cas deguerre civile, la communauté politique a déjà, selon Machiavel, disparut : les lois et les mœurs se sont corrompus eton ne peut plus que refonder un Etat par un pouvoir autoritaire comme le décrit le chapitre IX.

Il s'agit bien là d'uneforme extrême de désordre interne qui fait sortir du cadre légal conventionnel, et donc qui est à la limite de l'activitépolitique.

Par contre, la guerre extérieure, elle, peut être un facteur non de désordre mais d'ordre.

Le chapitre II dulivre II des Discours montre que face aux menaces envers leur indépendance, les Romains surent faire preuve d'unité, et que les deux grands partis habituellement opposés s'unirent exceptionnellement.

Dans ce cas uniquementla guerre extérieure, face à d'autres Etats, peut être considéré comme une condition de possibilité de l'existenced'une communauté politique.

Par contre les autres guerres, les guerres de conquête de l'Empire par exemple,n'étaient qu'un moyen d'intervenir dans la lutte interne, en apportant une grande renommée à un général parexemple.

On peut donc affirmer que si la guerre peut avoir pour un moment des effets d'unité, cela n'est dû qu'à soncaractère de défense d'un bien que les Grands comme le Peuple convoitent, la liberté.

On a donc vu que la politique visait avant tout à pacifier des rapports humains qui peuvent, sans un souverain etune volonté générale s'appliquant à tous, dégénérer en guerre civile.

Mais la guerre externe, elle, semble être. »

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