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Peut-on dépasser les évidences des sens ?

Publié le 01/03/2009

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Peut-on dépasser les évidences des sens ?

Du point de vue physiologique, les sens sont les organes de la perception. Ils constituent notre seul lien avec le monde extérieur qui nous entoure : ils ne peuvent être remplacés sous aucun prétexte, et dans le cas contraire, nous serions totalement inaptes à survivre. En effet, celui qui ne dispose ni de la vue, ni de l'odorat, ni du toucher, ni de l'ouïe, ni du goût, i.e. des cinq sens communément reconnus comme appartenant à l'homme, comment peut-il alors s'organiser dans la vie de tous les jours, pour manger par exemple ? D'ailleurs ces sens font que nous avons une certaine conscience de notre présence dans le monde extérieur à nous, d'autant plus qu'ils s'imposent à nous sans notre volonté, et nous ne pouvons donc qu'être contraints à nous y fier. En ce sens, ils nous apparaissent comme étant indispensables, voire vitaux.

      Cependant, doit-on pour autant totalement s'abandonner à nos perceptions ? Le fait qu'elles soient immédiates nous défendrait-il de prendre quelque peu de recul par rapport à elles ? Bien au contraire, les sens nous prouvent qu'ils sont parfois défaillants, et qu'ils ne permettent pas d'appréhender la réalité telle qu'elle est. Qui n'a jamais été berné par des illusions d'optique ? Qui n'a jamais eu l'impression d'avoir chaud, alors que quelqu'un d'autre a froid ? Non seulement les sens peuvent nous induire en erreur, mais ils montrent d'une certaine façon que le monde est perçu de manière différente par chacun d'entre nous, et nous pouvons donc en déduire que les sens sont d'un certain point de vue totalement subjectifs, et ne permettent en aucun cas d'établir des vérités.

      En quoi pouvons nous alors dire que nos sens sont trompeurs ? Pouvons nous ou non nous fier à eux ? Par ailleurs, le monde se réduit-il uniquement à ce que nous percevons ? Ne peut-on pas voir nos sens comme un point de départ dont il faudrait tout simplement tirer profit, par l'intermédiaire de notre jugement ? Ce dernier jouant un rôle majeur dans l'interprétation de nos perceptions, avec la raison, peut-on trouver des moyens pour perfectionner en quelque sorte nos sens ? Ne peuvent-ils pas être « améliorés « ? Ne faut-il pas finalement abandonner les critères de fausseté et de vérité pour juger nos sens, et ne faut-il pas voir en eux une utilité différente ?

« fournissent à notre esprit (i.e.

notre raison, notre entendement…) l'unique matière de réflexion, pense Locke.Selon lui, la connaissance nous provient certes des sens, mais cela signifie avant tout que notre connaissance nepeut s'étendre au-delà de l'expérience.

Ce sont avant tout les limites des sens qui sont implicitement étudiées : iln'y a pas de connaissance suprasensible ou métaphysique..

Ainsi il faudrait se contenter de mettre en relation nosperceptions, puisque la cohérence dans l'expérience apparaît comme le moyen le plus sûr d'établir une forme devérité.

D'ailleurs il semblerait primordial de rappeler que nos sensations ne sont pas établies de fait : elless'accompagnent peut-être d'une démarche réflexive qui elle-même est la source de nouvelles idées, de nouvellesassociations d'idées, alors complexes.

La perception sensible peut être aussi considérée comme une puissance innéede distinction : c'est elle qui permet de repérer les différentes sensations et de considérer leur persistance.Lorsqu'une sensation est perçue avec plus en plus de persistance, ceci donne la création d'une notion : lesperceptions sont à l'origine de nos souvenirs, qui eux-mêmes, s'accumulant, font place à l'expérience, dit Aristote.C'est de cette expérience sensible que viendrait la connaissance.

Bien que leur faillibilité soit discutable, les sens sont tout ce dont nous disposons.

Ainsi, ce ne sont pas les senseux-mêmes qui sont trompeurs, mais c'est bien la raison, qui porte un jugement, qui confère à telle perception telleadhésion ou telle croyance, qui nous induit en erreur, lorsqu'elle prétend que cette connaissance est infaillible,affirme Montaigne.

En effet, c'est lorsque la raison se rend compte d'une incohérence entre les différentesperceptions, d'une illusion perceptive corrigée par la suite par une autre perception qui vient démentir la premièreperception, qu'elle accuse nos sens d'être trompeurs.

C'est précisément parce qu'elle a attribué une certaine validitéà ces perceptions qu'elle s'en retrouve trompée.

La raison doit donc s'abstenir de ses divagations, établissant pourinfaillible la seule connaissance qui nous est accessible.

Cependant, du point de vue du critère de la fausseté ou de la vérité de nos perceptions sensibles, les sensprésentent parfois des incohérences.

En effet, les illusions d'optique sont nombreuses et qui n'a jamais cru voir cequi en réalité n'était pas ? Prenons par exemple l'illusion de Müller-Lyer : trois flèches sont disposées l'une endessous de l'autre.

Les extrémités de la première flèche sont repliées vers l'intérieur, celles de la deuxième sont dansle même sens, i.e.

une vers l'intérieur et une vers l'extérieur, et enfin celles de la dernière sont dépliées versl'extérieur.

Nous percevons la troisième flèche comme la plus longue, alors qu'en réalité les trois segments desflèches sont de taille égale.

D'autres illusions d'optique, telles que le triangle de Penrose ou l'échiquier d'Adelson nepeuvent que confirmer que nos sens se trompent parfois, et interprètent la réalité avec trop de liberté.

D'ailleurs, nos perceptions dépendent bien de chacun d'entre nous.

Il nous est déjà arrivé d'avoir froid alorsqu'un autre a chaud, de trouver quelque chose amer tandis qu'un autre le trouvera acide… Cette relativitédes perceptions est liée en quelque sorte à de nombreux facteurs.

En effet, nous percevons différemment parce qu'ilexiste des différences physiques et mentales entre les humains, parce que les sens sont parfois incohérents entreeux (certaines peintures présentent par exemple des creux et des reliefs à la vue alors que le toucher éprouveraune surface parfaitement lisse), parce que tout dépend des circonstances dans lesquelles la chose en question estperçue… Pyrrhon, par sa position catégorique, refuse ainsi de se prononcer sur la validité des sens : nesachant que dire ou que choisir, il vaut mieux préférer la suspension de l'assentiment.

Mais qu'est ce qui nous permet en fait de vérifier la vérité de nos perceptions ? Comment pouvons nous savoirsi ce que nous ressentons est bien révélateur de la nature même des choses ? Nous n'en savons en réalitéabsolument rien.

Pour pouvoir vérifier, il faudrait pouvoir comparer.

Puisque nous n'avons aucun élément decomparaison et puisque nous ne pouvons connaître la vraie nature des choses, nous sommes condamnés àconsidérer les sens comme insuffisants en regard de ce critère.

Pourquoi notre réel ne serait-il pas en réalité qu'uneapparence pure et simple ? Pourquoi d'ailleurs devrait-elle ressembler à la vérité ? Qu'est ce qui nous prouve en effetque nous ne sommes pas l'objet de la manipulation d'un esprit supérieur, qui nous dicterait nos perceptions ? Cettehypothèse du « malin génie » de Descartes nous conduit à suspendre tout assentiment envers nos perceptions, depeur que nous ne soyons induits en erreur.

Il faudrait ainsi s'employer à défier cet esprit supérieur dont l'entrepriseserait de nous tromper par un refus catégorique d'attribuer une quelconque valeur à la perception sensible.

Laconsidération que notre monde n'est qu'illusion et qu'il ne permet pas d'aborder la véritable nature des choses, nouspousse à admettre une sorte de vérité suprasensible et métaphysique, qui ne serait accessible que par la raison.L'idée que le monde sensible dans lequel nous vivons est totalement faillible en regard d'une vérité supérieure estaussi illustrée par Socrate dans La République.

En effet, selon lui, notre condition d'homme nous réduirait à être enquelque sorte enfermés dans une caverne, le dos tourné à la lumière, de telle sorte que nous ne voyions que lesombres des marionnettes agitées derrière nous, elles mêmes n'étant que des images de l'essence de l'objetreprésenté.

Ce que nous percevons est alors considéré comme une image déformée ou trompeuse du vrai.

Cependant, la thèse du jugement implicite dans le phénomène de perception nous conduit à une autre questionessentielle.

En effet, perception et exercice de la raison semblent intrinsèquement liés, puisque la sensation devientvéritablement perception lorsque notre jugement lui donne telle ou telle attribution.

Par ailleurs, quand nous pensonsà une chose, pensons nous à sa représentation imagée ou au mot lui-même (en tant que signe ou en tantqu'élément acoustique) ? Faisons-nous appel à l'imagination, i.e.

notre capacité à nous représenter des choses parimage, ou à la mémoire acoustique ou visuelle (en tant que représentation du signifiant, i.e.

l'image acoustique d'unmot, ou du signe lui-même) ? Si la perception repose sur le langage, comme le pense Hume notamment, ne devient-elle pas alors l'otage d'une langue, d'un contexte culturel, d'habitudes conditionnant les individus à percevoir le réeld'une certaine manière ? En effet, il semblerait qu'il soit nécessaire de lier langage et mémoire, liaison qui s'opère au moins à deuxniveaux.

D'abord, le mot est un des moyens de figer le temps, de l'arrêter, ou mieux, de le condenser ; ensuite, lelangage forme un système, les mots sont liés les uns aux autres grâce à quoi, en parlant, nous exerçons le pouvoirde représenter ce qui est absent.

Le mot, c'est le temps, ou plutôt la résistance au temps, à l'oubli.

Nommer telobjet, chaise ou stylo, c'est rassembler toute une expérience et c'est aussi se donner le moyen de reconnaître àl'avenir tout ce qui peut entrer dans la catégorie chaise ou stylo.

D'ailleurs les mots sont aussi liés aux concepts quinous permettent de raisonner, concepts venant peut-être de la faculté de perception sensible.

En effet, le concept. »

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