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Pascal: Amour et beauté

Publié le 18/04/2009

Extrait du document

pascal
« Celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps ni dans l'âme? Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu'on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime personne que pour des qualités empruntées. » Pascal, Pensées, B. 323

Dans un texte qui porte sur l'amour et ses objets, Pascal cherche à savoir ce que nous aimons au juste lorsque que nous disons aimer quelqu'un. De deux choses l'une en effet : ou bien les qualités qui nous plaisent chez la personne qu'on aime font qu'on l'aime elle en elle-même et rien d'autre ou bien ce n'est pas elle, en elle-même, qu'on aime, mais plutôt seulement les qualités qu'on trouve en elle, qu'on pourrait trouver chez d'autres et qui pourraient disparaître chez celle qu'on aime.    Sa thèse, contraire à tous les discours que l'amour d'ordinaire inspire, est qu'on n'aime jamais la personne qu'on dit aimer, mais les caractéristiques qu'elle possède et qu'elle peut perdre sans cesser d'être la même personne précisément parce qu'elle ne se réduit pas à ses caractéristiques.    Mais pourquoi aimons-nous ceux que nous aimons ? Est-ce bien eux, en eux-mêmes, que nous aimons ? Et, si ce n'est pas eux, qu'en est-il de ceux qui se font aimer pour ce qu'ils ne sont pas ?    Ce texte, fait de questions et des réponses que Pascal leur apporte, débute par une interrogation sur les rapports entre la beauté et l'amour : " Celui qui aime quelqu'un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? " Cette question est étrange parce qu'il semble que quelle que soient les raisons pour lesquelles on aime quelqu'un, c'est bien ce quelqu'un qu'on aime et pas quelqu'un d'autre. Par conséquent, si on aime une personne parce qu'elle est belle, c'est bien elle qu'on aime et qu'on aime vraiment.  

pascal

« Toutefois ce n'est peut-être pas seulement pour les qualités du corps qu'on aime quelqu'un, mais aussi pour sesqualités intellectuelles.

Seulement, la même question se repose alors : " Et si on m'aime pour mon jugement, pour mamémoire, m'aime-t-on, moi ? " On peut toujours se demander en effet si c'est bien soi-même qui est aimé à traversles qualités intellectuelles que sont le jugement, c'est-à-dire ici le bon sens, voire la sagesse, ou la mémoire,qualités qui peuvent comme la beauté du corps expliquer qu'on m'aime.

La réponse de Pascal est tout aussi claire : "Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi--même.

" Comme je peux cesser d'être beau et à cause decela d'être aimé, je peux perdre de mes facultés intellectuelles, du fait de la paresse ou de la vieillesse par exemple,et ainsi perdre l'amour qui avait ces facultés pour cause.

De sorte que ce n'était pas moi qui était aimé à traversmes facultés puisqu'on ne m'aime plus lorsqu'elles ont disparu alors que je suis toujours le même. La signification de ce passage est donc d'étendre à l'esprit ce qui avait été dit du corps : tout comme notre corps,notre esprit ne se réduit à l'ensemble de ses caractéristiques puisqu'elles peuvent durer moins longtemps que lui.C'est pour cela que ce n'est pas moi qu'on aime, si par "moi", on entend non pas la liste de mes caractéristiques oude mes qualités, mais cette "chose" qui possède ces caractéristiques sans s'y réduire et qui dure plus qu'elles.

Demême, lorsque j'aime quelqu'un, si ce que j'aime ce sont ces déterminations, ces caractéristiques, alors je n'aimepas l'autre en tant que tel, en tant qu'il est un (autre) "moi". Mais quelle est cette "chose" qu'on appelle "moi" justement ? Qu'est-ce que je crois aimer lorsque j'aime unepersonne et que je voudrais qu'on aime quand on m'aime ? Tout ce qui précède conduit finalement à cette questionayant valeur de conclusion : " Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps ni dans l'âme? " Le moi, c'est-à-dire ceque je suis en propre et tant que je suis, que j'existe, qu'est-ce qu'il est ? Pascal pose autant la question qu'il yrépond : puisque je ne suis ni mes caractéristiques physiques ni mes caractéristiques intellectuelles, maisprécisément l'être qui possède ces caractéristiques et qui peut les perdre sans se perdre, ce n'est pas en elles qu'onpourra me trouver moi.

Ces caractéristiques m'appartiennent mais je ne m'y réduis pas.

Je peux être beau (ou laid),je ne suis pas le beau (ou le laid).

Le moi est ce qui se tient sous mes caractéristiques comme le corps se tient sousle vêtement sans se confondre avec lui.

Dit dans le vocabulaire de la métaphysique, le moi est une substance. Soit, mais qu'à cela ne tienne pourrait-on dire : que le moi ne se confonde pas avec les qualités physiques ouintellectuelles qu'ils possèdent à un moment donné, c'est une chose, qu'on ne puisse pas en faire l'objet de l'amoursemble en être une autre.

Pourquoi le moi ainsi défini ne serait-il pas ce que j'aime lorsque j'aime quelqu'un ou cequ'on aime de moi lorsqu'on m'aime ? Oublions les qualités et ne retenons que ce qu'elles qualifient : un corps et uneâme.

Ne pourrions nous pas les aimer ? Il serait faux de le penser : " Et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce quifait le moi, puisqu'elles sont périssables ? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne abstraitement, etquelques qua-lités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste.

On n'aime donc jamais personne, maisseulement des qualités.

" Pascal par un raisonnement implacable établit que l'amour ne saurait avoir pour objet lemoi en tant que tel, c'est-à-dire distinct des qualités physiques et intellectuelles. On ne peut pas aimer un corps ou une âme indépendamment de leurs caractéristiques, de leurs déterminations.L'amour ne porte que sur des objets aimables en eux-mêmes et pour être aimable, un objet doit avoir certainescaractéristiques, répondre à certaines exigences, certaines attentes.

On n'aime pas n'importe quoi chez les autres.Mais, on le sait, toutes les qualités que nous aimons chez les autres ne se confondent pas avec ce qu'ils sont, avecleur moi. Quant à ce moi, peut-on l'aimer ? Cela reviendrait à dire qu'on pourrait aimer une âme (ou un corps) sans tenircompte de ses caractéristiques, sans y prêter attention, comme une âme indéterminée, anonyme, impersonnelle,abstraite, en un mot une simple substance, cette réalité qui se tient dessous les caractéristiques sans se confondreavec elles.

Qu'en dit Pascal ? Que c'est impossible et que ce serait injuste.

Pourquoi impossible ? Parce que celareviendrait à dire qu'on pourrait aimer une âme sans la connaître, indépendamment de ses caractéristiques, de cesdéfauts et de ses qualités.

(Ou à aimer un corps sans formes ni contours.) Or, nous venons de dire que l'amour n'estpas indifférent à ses objets, qu'il ne naît qu'en présence d'objets ayant des caractéristiques précises.

Et pourquoiinjuste alors ? Parce que même si on supposait qu'on puisse malgré tout aimer une pure âme indépendamment desses caractéristiques (son prochain par exemple, sans rien savoir de lui ou malgré ce qu'on sait de lui), celareviendrait à prendre le risque d'aimer un être qui n'a rien d'aimable, de priser un être qu'on devrait mépriser. " On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.

" le moi de celui ou de celle qu'on aime resteétranger à l'amour qu'on croit lui porter.

Ce qu'on aime, c'est par exemple le courage, la beauté ou l'intelligence,mais pas le moi de la personne qui possède ces qualités au moment où on la rencontre.

L'autre n'est que le point derencontre de ce que j'aime, mais en lui-même, comme substance, il n'a rien d'aimable.

Tant qu'il possède lescaractéristiques qui nous plaisent, on pensera l'aimer, mais sitôt qu'il les perdra, l'amour disparaîtra.

Le moi n'est pasl'objet de l'amour, il est ignoré de l'amour.

Son objet, c'est ce qui se trouve à l'extérieur du moi, ce quiprovisoirement gravite autour de lui sans jamais se confondre avec lui.

Telle est la thèse de ce texte. Pascal détruit ainsi l'illusion qui consiste à croire que par-delà les qualités qu'on aime, c'est celui qui les possèdequ'on aime, et, parallèlement, il révèle comme vain le désir que nous avons d'être aimés en nous-mêmes et non pournos qualités périssables, fugaces. Mais, ce n'est pas tout : de cette manière Pascal établit aussi qu'une moquerie courante est sans fondement : ". »

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