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On a dit que la véritable originalité des grands romanciers réalistes était « d'avoir transformé la réalité vulgaire en oeuvre d'art ». En vous appuyant sur l'étude précise d'un roman réaliste, vous justifierez ce jugement. ?

Publié le 18/08/2009

Extrait du document

Le réalisme classique faisait du beau et du laid la matière de son art. Mais il en proscrivait le médiocre et comme le disait La Bruyère, on ne saurait représenter « un laquais qui siffle « ou « un homme dans sa garde-robe «. La grande originalité des écrivains réalistes fut d'admettre que tout ce qui se trouvait dans la nature et même le médiocre, pouvait et devait entrer dans le cadre de leurs oeuvres. Et à vrai dire, ils ont même manifesté une prédilection à s'inspirer de sujets, à dépeindre des personnages et des cadres empruntés à la réalité vulgaire. Flaubert, dans Madame Bovary, a délibérément orienté lui-même son choix dans ce sens. Mais par le talent de la composition, par le pittoresque de la peinture, par la qualité de l'expression, il a transformé « cette réalité vulgaire en oeuvre d'art «.

« Nous voyons l'abbé Bournisien avec l'oeil critique d'Emma.

Nous remarquons avec elle sa tenue négligée, les tachesde tabac qui parsèment sa soutane, sa respiration pénible, son air appesanti.

Bien plus, le sens de la caricaturechez Flaubert l'amène aussi à observer une disposition très subtile : pendant le comice agricole, les propossentimentaux échangés par Madame Bovary et Rodolphe alternent avec la proclamation des récompenses accordéesaux animaux primés dans le concours.

Il en résulte une dissonance constante qui souligne le prosaïsme de cesdéclarations d'amour. Le sens du pittoresque contribue plus nettement encore à transformer cette réalité vulgaire en oeuvre d'art.Souvent d'ailleurs ce pittoresque est lui aussi orienté vers la caricature.

L'auditoire qui écoute religieusement lediscours du conseiller de préfecture venu présider les comices manifeste de diverses manières également comiquesson attention, mais chacun est saisi dans son attitude originale.

L'un écarquille les yeux, un autre ferme de tempsen temps les paupières, un troisième bombe sa main contre son oreille.

Quand il dépeint l'animation fébrile qui règneà l'auberge du Lion d'Or la veille du marché, c'est merveille comme Flaubert sait en une phrase évoquer le détail desmets que l'on apprête, les notations visuelles, les bruits divers qui s'entremêlent chacun avec son intensité et sanote particulière : « Le billard retentissait d'éclats de rire, trois meuniers dans la petite salle appelaient pour qu'onleur apportât de l'eau-de-vie ; le bois flambait, la braise craquait et sur la longue table de la cuisine, parmi lesquartiers de mouton cru, s'élevaient des piles d'assiettes qui tremblaient aux secousses du billot où l'on hachait desépinards ».

En soi le spectacle serait peut-être banal mais le don d'observation aigu du romancier lui donne unmouvement et un relief extraordinaires. En outre les détails observés sont mis en valeur par les qualités du style.

Le sens du mot juste prend chez Flaubertune valeur évocatrice.

Dans le portrait si réussi de la jeune cousine qui se tient peureusement à sa place dansl'alignement des enfants invités à la noce, le mot le plus simple est sans doute le plus pittoresque.

Elle nous estprésentée comme une « grande fillette » et ces deux termes suffisent à évoquer une longue silhouette dégingandée,celle d'une enfant qui a grandi trop vite et qui dans l'absence d'harmonie de ses lignes est en plein « âge ingrat ».L'écrivain sait aussi utiliser toutes les ressources de la phrase, soit qu'il la développe, soit qu'il la resserre.

Ici, enune ample période, il fait tenir tous les éléments qui conspirent à épanouir le coeur de Charles : l'amour qu'il porte àsa femme, le bien-être physique ressenti au sein de la nature en fête qui flatte tous ses sens à la fois par lessenteurs qu'il respire, la douce chaleur dont elle l'imprègne, le spectacle qu'il contemple.

Et la phrase retombe ets'achève sur une image volontairement vulgaire pour traduire tout ce qui dans ce bonheur entre de bassementmatériel...

« dans les sentiers dont les blés lui montaient jusqu'aux genoux, avec le soleil sur ses épaules et l'air dumatin à ses narines, le coeur plein des félicités de la nuit, l'esprit tranquille, la chair contente, il s'en allait ruminantson bonheur comme ceux qui mâchent encore, après dîner, le goût des truffes qu'ils digèrent ».

Là, il sait trouver lesformules rapides qui peignent avec un relief saisissant ; il nous montre ces paysans qui se sont tous fait couper lescheveux pour la noce : « Tout le monde était tondu à neuf, les oreilles s'écartaient des têtes ».

Dans le raccourcide l'expression il évoque l'aspect cocassement uniforme de ces crânes que l'on sent tout frais sortis des mains ducoiffeur et le spectacle disgracieux de toutes ces oreilles qui prennent du relief quand l'épaisseur de la chevelure surles tempes a disparu.

Le don de l'observation est mis en valeur par la puissance suggestive de l'expression. CONCLUSION A force de talent lucide et de travail Flaubert a donc su transformer la réalité vulgaire en oeuvre d'art.

Ce faisant ila justifié un principe essentiel du réalisme et du naturalisme.

Pour ces deux écoles littéraires, il n'y a pas en effet despectacle insignifiant dans la banalité quotidienne.

Il suffit de regarder tout ce qu'on veut exprimer assez longtempset avec assez d'attention pour en découvrir un aspect qui n'a été vu et dit par personne.

Il faut ensuite avechonnêteté et simplicité utiliser, pour mettre cet aspect en valeur, toutes les ressources qu'offre à un écrivain laparfaite maîtrise de l'expression.

Par ce souci de subordonner étroitement la forme au fond, l'art de Flauberts'apparente à l'esthétique classique.. »

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