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Nietzsche: La création est-elle le propre de l'art ?

Publié le 13/03/2006

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nietzsche
C'est ainsi notre vanité, notre amour-propre qui nous poussent au culte du génie : car il nous faut l'imaginer très loin de nous, en vrai miraculum, pour qu'il ne nous blesse pas 1.. .1. Mais, compte non tenu de ces insinuations de notre vanité, l'activité du génie ne paraît pas le moins du monde quelque chose de foncièrement différent de l'activité de l'inventeur en mécanique, du savant astronome ou historien, du maître en tactique. Toutes ces activités s'expliquent si l'on se représente des hommes dont la pensée est active dans une direction unique, qui utilisent tout comme matière première, qui ne cessent d'observer diligemment leur vie intérieure et celle d'autrui, qui ne se lassent pas de combiner leurs moyens. Le génie ne fait rien que d'apprendre d'abord à poser des pierres, ensuite à bâtir, que de chercher toujours des matériaux et de travailler toujours à y mettre la forme. Toute activité de l'homme est compliquée à miracle, non pas seulement celle du génie : mais aucune n'est un miracle ». - D'où vient donc cette croyance qu'il n'y a de génie que chez l'artiste, l'orateur et le philosophe ? qu'eux seuls ont une intuition " ? (mot par lequel on leur attribue une sorte de lorgnette merveilleuse avec laquelle ils voient directement dans l'« être !). Les hommes ne parlent intentionnellement de génie que là où les effets de la grande intelligence leur sont le plus agréables et où ils ne veulent pas d'autre part éprouver d'envie. Nommer quelqu'un « divin c'est dire : Ici nous n'avons pas à rivaliser ». En outre : tout ce qui est fini, parfait, excite l'étonnement, tout ce qui est en train de se faire est déprécié. Or personne ne peut voir dans l'ouvre de l'artiste comment elle s'est faite ; c'est son avantage, car partout où l'on peut assister à la formation, on est un peu refroidi. L'art achevé de l'expression écarte toute idée de devenir ; il s'impose tyranniquement comme une perfection actuelle. Voilà pourquoi ce sont surtout les artistes de l'expression qui passent pour géniaux, et non les hommes de science. En réalité cette appréciation et cette dépréciation ne sont qu'un enfantillage de la raison.

La figure du génie a toujours interrogé la philosophie. Elle est en effet mystérieuse et remet en question le travail même de la raison et l’activité philosophique. Comment expliquer l’existence d’un individu comme Mozart qui composait déjà à huit ans ? Cela remet en cause le travail d’une autre personne qui travaille pendant des années sans réussir aucune œuvre d’envergure. Qu’est ce qui fait le talent ? Le génie intervient alors surtout pour rendre compte de la création artistique qui semble n’obéir à aucune règle précise. Le génie désigne donc généralement un don fait par la divinité. Platon, dans Ion, évoque l’inspiration du poète comme un souffle venant de Dieu. De même, Kant explique le génie comme un don naturel, un talent par lequel la nature donne ses règles à l’art. A partir du XVIIIème siècle, le génie caractérise l’individu lui-même, alors qu’avant cela n’était qu’une disposition, un attribut. C’est d’ailleurs dans le premier sens que Nietzsche emploie ce terme. On voit donc traditionnellement comment le génie est lié à un don inné et à l’art. Pourtant, parler du génie n’est-ce pas donner une réponse toute faite à la création, une réponse qui n’explique rien. De plus, cela n’enlève-t-il pas au génie le mérite son travail ? Si son talent lui vient d’une inspiration divine, que fait-il réellement ? Pour Nietzsche, la figure du génie est encore un concept créé par les hommes, un concept illusoire. C’est pour cela que le terme est peu présent dans son œuvre. Il préfère parler de « grands hommes «. Comme à son habitude, le philosophe allemand essaie de philosopher à coups de marteau et de renverser la tradition. Il s’attache donc dans ce texte à démontrer les défaillances de la figure traditionnelle du génie. Il s’attaque d’ailleurs ici directement à Schopenhauer qu’il nomme son « éducateur «, son initiateur en philosophie. En effet, la figure du génie a une place primordiale dans le système théorique de Schopenhauer. C’est le seul individu qui peut accéder à la véritable connaissance et son talent n’est dû qu’à la grosseur considérable de son cerveau. Pourquoi Nietzsche refuse la notion de « don « inné ? Comment mettre au jour les significations du « génie « pour les hommes ? Qu’est-ce qui se cache derrière ce mot ?

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« activité permanente.

Nous savons bien qu'il est impossible de nous comparer aux « génies » parce que cela nousblesserait, mettrait en lumière notre petitesse.

Pour que justement, il ne soit plus question de prendre le géniecomme comparant, il est préférable de faire comme s'il n'était pas le même que le reste des hommes.

C'est pour celaque nous préférons lui vouer un « culte ».

Nous lui attribuons une origine divine, telle que Platon, pour qu'il ne fasseplus partie du même monde que nous, qu'il ne soit plus un simple mortel.

Nous faisons du talent du génie un miracle(« miraculum), qui ne peut s'expliquer.

Nous refusons même l'explication.

D'ailleurs, Nietzsche précise bien que nousparlons de « génie » quand cela est agréable, c'est-à-dire quand cela protège l'amour-propre et que cela ne blessepas.- Il reprend sa réponse dans la dernière partie du texte.

On parle de « génie » pour ne pas éprouver de jalousieenvers lui.

En le situant loin de nous, dans une autre sphère, nous l'excluons du monde normal et nous nous couponstoute possibilité de le rejoindre.

Dès lors, cela signifie « ici, nous n'avons pas à rivaliser ».

Et cela console notrevanité d'attribuer une origine divine, qui ne tient pas au mérite de l'individu.

Puisque cela vient de Dieu, cela ne tientpas à notre valeur à nous, à nos mérites.

C'est cela qui se passe dans la théorie même de Schopenhauer.

Le génieest génie de naissance, puisqu'il est lié à l'ampleur des forces intellectuelles et donc des proportions du cerveau.Pour le reste des hommes, le génie est incompréhensible et aucune véritable compréhension n'est possible entre lesdeux groupes d'hommes totalement dissemblables.En donnant une explication du génie, cela voudrait aussi dire que nous traçons un chemin pour le rejoindre.

Or, enfait, les hommes ne veulent pas suivre ce chemin.

Mais pourquoi ? Le génie est le fruit du travail et de l'énergie- En effet, si le génie n'est pas un don divin ou de la nature, pourquoi ne voudrions-nous pas arriver à leur niveau ?Pour répondre à ce paradoxe, Nietzsche cherche maintenant à comprendre et à analyser les qualités de ceux qu'onnomme « génies ».

Le génie ne diffère pas des autres savants ou inventeurs.

Mais qu'est-ce qui fait leur talent ?Nietzsche ne prend pas en compte ce qu'on appelle les intuitions sans effort.

Ici, Nietzsche attaque directement legénie de Schopenhauer qui accédait sans que rien ne soit volontaire ou intentionnel à une vision vraie du monde.C'est la référence à la « lorgnette » qui voit dans les profondeurs de la réalité, de l' « être ».

Pour lui, les géniess'expliquent pas deux choses :- D'une part, l'incroyable énergie qu'ils déploient.

Dans un autre paragraphe, Nietzsche explique en effet que l'onpeut expliquer ce qu'on appelle l'intuition soudaine par une libération de forces pendant un temps retenues dansl'individu.

Il affirme ainsi : « Quand la force de production a été quelque temps retenue et a été arrêtée dans soncours par un obstacle, elle fournit à la fin un flot aussi subit que si une inspiration immédiate, sans travail intérieurpréalable, autrement dit que si un miracle s'accomplit.

» Ici, il reprend d'une certaine façon une idée développée parHegel, même s'il dénigre ce philosophe, ennemi de Schopenhauer.

Les hommes de talent consacre toutes leursénergies à une seule chose.

Dans la vie de tous les jours, nous éparpillons nos énergies, nous accomplissons deschoses différentes.

Les grands hommes, eux, ne se consacrent qu'à un seul domaine.

Hegel disait aussi que lesgrands hommes étaient des passionnés, qui avait une seule passion à laquelle il consacrait tout.

Il écrit dans La raison dans l'histoire « Cet intérêt, nous l'appelons passion lorsque, refoulant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et seconcentre dans ce but ses forces et tous ses besoins.

En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'estaccompli dans le monde sans passion.

» Nietzsche reprend à peu près cette idée quand il écrit que leur « pensée estactive dans une direction unique ».

Les grands hommes concentrent leurs forces.- d'autre part, il faut reconnaître aux grands hommes un énorme travail.

Les autres voient une inspiration divine, làoù il y a patience, efforts et réflexion.

C'est justement pour ne pas voir qu'eux aussi, en travaillant aussi durement,pourrait avoir de grands talents.

C'est à travers la patience, le développement de l'habitude qui apprend à aimer età arranger perpétuellement de manière différente que se développe le talent des grands hommes.

L'activité dugénie est permanente, il est toujours en éveil.

Il faut voir ici que les « génies » pour Nietzsche, ne sont pas despersonnes qui s'excluent du monde pour réfléchir.

Ils sont entièrement engagés dans l'existence.

Ils essaientd'observer le monde, les autres.De plus, il ne faut pas croire que dans le domaine artistique, l'œuvre est obtenue tout d'un coup.

Il n'est plusquestion que d'entraînements et de répétitions qui permettent d'introduire des différences et de choisir le meilleurtrait ou mot.

Les grands hommes doivent apprendre d'abord les bases puis peu à peu à combiner les différenteschoses acquises pour faire une œuvre plus grande.

Mais ce processus est progressif et demande du temps.

D'ailleurspour Nietzsche, les jeunes hommes ne peuvent être productifs parce qu'ils n'ont pas encore assez appris et observéle monde.

Cela semble en contradiction avec l'existence de Mozart, par exemple.

Mais en réalité, Nietzsche affirmeque le sommet de l'art d'un individu n'intervient qu'après de longs efforts.

Il s'agit de chercher toujours la meilleureforme.

Il écrit dans Humain, Trop Humain que la recette pour devenir un bon romancier n'est pas compliqué et il affirme qu'il faut « Qu'on mette chaque jour par écrit des anecdotes, jusqu'à ce qu'on apprenne à en trouver laforme la plus pleine, la plus efficace » Les hommes préfèrent donc donner une origine divine au génie par fainéantise, parce qu'ils ne veulent pas se mettre à travailler dur chaque jour, à répéter des actes jusqu'à pouvoirles maîtriser à perfection et à inventer.

L'art comme domaine privilégié du génie- Nous l'avons dit traditionnellement, on associe le génie au domaine artistique.

Cela s'explique.

En effet, dans lascience ou dans les inventions techniques, nous avons un objectif et des moyens à disposition limités.

Ainsi, pourBergson, l'art est un domaine particulier.

Pour lui, le travail productif implique toujours l'application d'une règlepréexistante.

La production d'un objet répond toujours d'un impératif économique et les choix sont donc limités.

Orpour l'art, il en va autrement.

Avant de commencer l'œuvre, rien ne fixe d'alternatives à l'artiste.

Il est livré à lui-même.

On peut dire qu'il a un choix à options, mais avec une infinité d'options et chaque décision détermine une. »

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