Devoir de Philosophie

Martin Heidegger: les relations de l'homme à l'être

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

heidegger
Il y a, dirait-on, une antinomie sans cesse croissante entre le sens que l'oeuvre de Martin Heidegger prend au regard de son propre développement et celui qui se manifeste dans l'influence considérable exercée par Sein und Zeit (l'Être et le Temps, 1927), son livre principal, à l'époque de sa parution et lorsqu'il semblait fournir l'expression presque définitive (quoique incomplète, puisque le livre est inachevé) d'une philosophie, dont les traits majeurs et les prises de position essentielles apparaissaient, de l'avis général, fixés. Sous cette dernière forme, la doctrine heideggerienne a été une des sources ­ et peut-être la principale ­ de ce qu'on a nommé l'existentialisme, c'est-à-dire d'une philosophie soucieuse avant tout d'expliciter l'expérience concrète de l'homme et de son comportement, et appuyée tout entière sur des " descriptions " de " situations ", d'attitudes et " d'institutions " (au sens que Husserl donne à Einstellung), portées au niveau de l'universel sous la caution des consignes méthodologiques prescrites par la phénoménologie. Au lieu que si l'on considère aujourd'hui l'ensemble de la pensée heideggerienne, on la voit consciemment décidée à n'être qu'une remise en mouvement du problème " présentement oublié ", qui tisse la trame de toute la pensée occidentale (ce qui signifie pour Heidegger toute la philosophie, qui est aussi la seule philosophie, issue de la Grèce) : le problème de l'être.  Quoi qu'il en soit de malentendus plus ou moins importants, la thèse ne semble pas folle qui voudrait concilier les deux points de vue et montrer que, pour Heidegger, le problème de l'être est le problème de la relation de l'homme à l'être (ou, plus récemment, de l'être à l'homme). Si, d'autre part, on rend manifeste que cette relation à l'être est ce qui distingue l'homme de tout autre " étant ", que la compréhension de l'être le définit et qu'ainsi elle fournit le fondement et l'origine de toute explication touchant sa " nature " ­ plus exactement son propre " être " ­ alors, on sera autorisé à prétendre que c'est une seule et même chose que de traiter du problème de l'être et que d'expliciter " l'essence " de la condition humaine.  

heidegger

« On sera sans doute tenté de croire que ce programme reprend des considérations qui sont à la base des doctrinesclassiques de la connaissance et qu'ainsi il entreprend fort tôt de composer avec les exigences révolutionnaires qu'ilénonce d'autre part.

Ces reproches ou ces objections seraient injustes.

Car la différence de point de vue entre une" théorie de la connaissance " entendue comme fondement de toute philosophie et l'idée d'une analytiqueexistentiale comme porte d'entrée de l'ontologie générale, cette différence est exactement celle qui séparel'ontologie heideggerienne de la " métaphysique ", selon l'acception que Heidegger donne à ce mot.

Car si le rapportà l'être est constitutif de l'être de l'étant humain, tout en l'homme, et non seulement sa connaissance, relève à quelque titre de ce rapport.

Tel est même le sens heideggerien du mot existence, qui ne s'applique qu'à l'homme : existe seul l'étant qui est mise en question de son être.

De ce point de vue, le problème de la connaissance prend une importance très subordonnée ; même qu'en tant que " problème ", il est surtout le signe d'un rapport à l'être quicherche à se masquer et qu'il doit être impliqué au premier chef dans la " destruction " de l'ontologie classique.

Heidegger tient la phénoménologie KW148 pour la méthode appropriée de son entreprise.

Celle-ci sera donc utilisée en vue d'expliciter, de mettre au jour, l'être de l'étant humain et, plus tard, tout être.

Elle reçoit ainsi une apparente limitation de son objet, d'autant que l'être, nous annonce-t-ondans les premières pages de Sein und Zeit, est ce qui généralement se cache et nous échappe, bien qu'il soit le fondement de tout ce qui nous apparaît immédiatement.

Dès lors, la phénoménologie KW148 , selon l'acception heideggerienne, s'occupe-t-elle de l'être, du fondement et de ce qui, sans s'avérer inaccessible (car Heidegger rejette absolument le sens kantien du phénomène), n'apparaît point spontanément mais doit être dégagé. Avant d'aller plus loin, il nous faut jeter un coup d'oeil en arrière vers la phénoménologie KW148 husserlienne, à laquelle Heidegger, en dépit de réserves qui iront croissant, s'est tout de même souvent et explicitement référé.

On comprend peut-être l'essentiel du passage qui conduit dupremier au second de ces auteurs, lorsqu'on compare l'énoncé husserlien : " la conscience est intentionnalité " à la thèse heideggerienne, qui en est à la fois la transformation, l'élargissement et la réalisation : l'être de l'homme est souci ou compréhension de l'être.

La problématique husserlienne, bien qu'elle soit déjà tout entière tendue vers le dépassement du problème de la connaissance, demeure une problématique de la" conscience ".

Mais celle-ci n'est plus " représentative ", transparence à soi-même dans la possession de ses " contenus ".

Elle est devenir de soidans la visée, dans l'intentionnalité, dans le " souci " (le mot ne figure jamais chez Husserl H025 ) de l'autre.

Référence au non-soi (et devenir de soi dans cette référence), elle est toute transie déjà de négativité, bien que Husserl H025 n'ait point insisté sur cette dimension de sa " réalité ".

Le problème heideggerien de l'analytique existentiale renvoie, sous un langage entièrement nouveau ou dont les résonances font écho à une toutautre tradition, à des origines husserliennes qui, perçues, deviennent évidentes.

Il cherche à comprendre le sens de cette ouverturetranscendantale et à la penser au plan de l'ontologie.

Il n'est pas facile de résumer en quelques pages l'essentiel de l'analytique existentiale.

Celle-ci aboutit à nous présenter l'être de l'étant humain (quiest, nous le savons déjà, compréhension de l'être) sous la formalité d'une structure unitaire que Sein und Zeit nomme le souci (Sorge).

Le souci est donc la manière dont la compréhension de l'être s'articule en l'homme, dans le Dasein.

Heidegger y distingue essentiellement trois composantes ou dimensions qui sont la déréliction ou facticité (Geworfenheit), l'existence (Existenz), à laquelle se rattachent l'interprétation (Verstehen) et le projet (Entwurf), l'être-auprès-de (Sein-bei), auquel se lie la discursivité (Rede).

L'homme, le Dasein, d'abord, est, dans son être, déréliction et facticité (Geworfenheit).

Cela signifie, en premier lieu, que l'homme est l'étant à qui l'expérience de son propre surgissement est absolument et par principe interdite.Toujours je suis déjà-là non point seulement parce que c'est ainsi en fait, mais parce que l'idée d'un homme assistant à sa propre naissance est inconcevable.

Cela veut dire que nous sommes, toujours, déjà lourds d'une certaine histoire, d'un certain passé.

Non que ceux-ci soient immuables et s'imposent à nous comme un destin.

Aucontraire, il est de notre être de rejeter tout acquis et de refaire à tout instant ce que nous sommes : mais nous nele pouvons en partant sans cesse ou jamais de zéro ; être réel pour l'homme, c'est n'être ni une chose ni un dieu.La création de soi par le dialogue avec autrui, avec les choses, avec le monde est une prise de position avec ce que nous avons déjà fait, avec ce que nous avons déjà été.

Une dimension de rétrospectivité radicale est constitutive de l'être de l'homme.

Elle confère à nos puissances une couleur d'impuissance et d'abandon ; elle empêche quejamais l'homme puisse se définir comme possession pure et simple de lui-même.

Si l'homme est dans son être reprise du passé, il s'en faut que cette remise en question de ce qui a été porteordinairement sur la rétrospectivité comme telle, c'est-à-dire sur cet être-toujours-déjà-là qui est le fondement de tous les passés particuliers.

Au contraire, ceux-ci tendent le plus souvent à masquer celle-là, qui est laGeworfenheit, la déréliction même.

Heidegger a fortement mis en lumière le lien essentiel de la déréliction et des expériences qui en dérivent, avec cequ'on nomme, dans le langage classique, les sentiments ou les états affectifs.

Mais cette alliance transforme aussi absolument l'être qu'on attribue d'ordinaire à ces " états ".

Ils ne sont point uncommentaire intérieur sur les événements de notre vie.

Au contraire, la Stimmung, c'est-à-dire le pouvoir de répondre effectivement et avec autonomie à notre investissement réel par les choses, est une manière de prendreposition, de nous " comporter " à l'égard de la réalité dans son ensemble.

Être triste, par exemple, c'est se placerhors du concert des choses, constater et faire en sorte que l'élan de ma vie se sépare de celui qui travaille leschoses ou se découvre contrecarré par ce dernier.

Éprouver un sentiment est une manière de se situer par rapport au tout.

Le sentiment ou les " états affectifs " battent en brèche la tendance à la fragmentation et à l'éparpillementque d'autres dimensions de l'expérience favorisent.

Par ce rétablissement d'une relation " totalitaire ", ils me révèlent" où j'en suis ", ce qu'il en est de moi-même, comment je me situe à l'égard de la réalité tout entière.

On comprend à présent le lien dont nous parlions : la déréliction est notre première et originelle situation dans l'étant en totalité ;celle qui est sans au-delà, à laquelle il faut toujours retourner si recouverte soit-elle pour la reprendre et l'assumer. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles