Devoir de Philosophie

Malebranche : Une raison universelle.

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

malebranche
Tout le monde se pique de raison, et tout le monde y renonce : cela parait se contredire, mais rien n'est plus vrai. Tout le monde se pique de raison, parce que tout homme porte écrit dans le fond de son être que d'avoir part a la raison, c'est un droit essentiel a notre nature. Mais tout le monde y renonce parce qu'on ne peut s'unir a la raison, et recevoir d'elle la lumière et l'intelligence, sans une espèce de travail fort désolant, a cause qu'il n'y a rien qui flatte les sens. Ainsi les hommes voulant invinciblement être heureux, ils laissent la le travail de l'attention, qui les rend actuellement malheureux. Mais s'ils le laissent, ils prétendent ordinairement que c'est par raison. Le voluptueux croit devoir préférer les plaisirs actuels a une vue sèche et abstraite de la vérité qui coûte néanmoins beaucoup de peine. L'ambitieux prétend que l'objet de la passion est quelque chose de réel, et que les biens intelligibles ne sont qu'illusions et que fantômes ; car d'ordinaire, on juge de la solidité des biens par l'impression qu'ils font sur l'imagination et sur les sens. Il y a même des personnes de pitié, qui prouvent par raison qu'il faut renoncer a la raison, que ce n'est point la lumière mais la foi seule qui doit nous conduire et que L'obéissance aveugle est la principale vertu des chrétiens. Malebranche (Nicolas)

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée «. Philosophe post-cartésien, Malebranche fait sienne la remarque de l’auteur du Discours de la Méthode en la problématisant à sa façon. En effet, comme Descartes, Malebranche est assuré que la raison est un bien universellement partagé entre les hommes, et jamais nous ne le voyons déclarer dans ce texte que certains en sont plus, ou moins, pourvus que tous les autres. Cependant, l’universelle possession de la raison ne fait pas de l’ensemble des humains autant de philosophes. Malebranche montre bien, et c’est tout le propos de son texte, que la raison est à la fois considérée par tous, et délaissé par chacun, car elle coute de la peine et se fait préférer aux plaisirs actuels que les sens peuvent éprouver à moindre frais.  Nous nous demanderons donc avec Malebranche par quel mécanisme les hommes délaissent la raison, qui leur procurerait un bonheur durable, pour les joies actuelles mais éphémères des sens.  Nous suivrons l’argumentation de Malebranche qui s’articule en deux parties : premièrement, nous expliciterons le problème de la dualité de la raison et des sens, en montrant comment les plaisirs de ces derniers se font préférer aux travaux austères de l’intelligence.  Puis nous démonterons le mécanisme exposé par le philosophe, mécanisme sophistique d’une pensée paradoxale, par laquelle les hommes délaissent la raison au nom de la raison même.  

malebranche

« être heureux, ils laissent la le travail de l'attention, qui les rend actuellement malheureux ».

Le travail de l'attention(prenons le mot de travail dans le sens fort qu'il a aujourd'hui perdu : celui de souffrance, de pénibilité) est en effetincompatible avec la satisfaction immédiate des sens.

Mais en croyant faire leur bonheur, en refusant ce quiactuellement est une cause de souffrance, les hommes manquent la seule activité qui, pour Malebranche, estcapable de faire réellement et durablement le bonheur.

C'est donc un mécanisme psychologique que Malebrancheexplicite dans ce texte : le manque de longanimité des hommes explique la vacuité de leurs plaisirs immédiats, etl'échec de leur jouissance du bonheur à long terme.Avec la phrase « Mais s'ils le laissent, ils prétendent ordinairement que c'est par raison » nous passons au secondmouvement argumentatif du texte, que nous analyserons immédiatement. II.

La mauvaise foi des hommes : refuser la raison au nom de la raison Avec une série de trois exemples, Malebranche démonte le mécanisme de pure mauvaise foi par lequel les hommesrefusent la raison au nom de la raison même.

En effet, loin de proclamer leur refus de la raison pour ses véritablesmotifs (paresse devant l'effort, préférence des biens immédiats et sensibles aux efforts de l'intelligence) les hommesusent de la raison pour rendre raison du fait qu'ils renoncent à s'en servir.

Paradoxalement, il s'agit sans doute de lameilleure preuve du fait que la raison est inscrite dans la nature des hommes, puisqu'ils usent de celle-ci pour lanier.

Malebranche procède en faisant appel à trois exemples successifs, qui sont ordonnés en fonction du degréd'usage de raison qu'ils requièrent.Le premier est celui du voluptueux : « Le voluptueux croit devoir préférer les plaisirs actuels a une vue sèche etabstraite de la vérité qui coûte néanmoins beaucoup de peine ».

Dans ce premier exemple, l'homme qui fait preuvede mauvaise foi n'use que très médiocrement de la raison : il « croit devoir préférer les plaisirs ».

Sa croyance estdonc l'effet d'une doxa imprécise plutôt que d'une réflexion propre.

Par conséquent, avec cet exemple duvoluptueux, Malebranche désigne un premier obstacle à l'usage de la raison : la pensée molle, dogmatique,impersonnelle, qui porte tout un chacun à des actes qui n'ont pas de véritable justification.Avec l'exemple de l'ambitieux, il faut voir que Malebranche montre un cas où l'usage mal entendu de la raison, où lamauvaise foi est plus affirmée que dans le précédent : « L'ambitieux prétend que l'objet de la passion est quelquechose de réel, et que les biens intelligibles ne sont qu'illusions et que fantômes ; car d'ordinaire, on juge de lasolidité des biens par l'impression qu'ils font sur l'imagination et sur les sens ».

En effet, avec cet exemple,Malebranche expose une argumentation fictive, par laquelle l'ambitieux rabaisse l'intelligence et considère sapassion.

Ce raisonnement pourrait se reformuler en syllogisme : « on juge de la solidité des biens par l'impressionqu'ils font sur l'imagination et les sens.

Or la passion fait plus d'effets sur mes sens que la raison.

Donc elle a plus deréalité qu'elle ».

Mais avec cet exemple, Malebranche montre encore le procédé vicieux de la doxa : c'est l'axiomequi est faux, le « on juge » qui abuse ; par conséquent, tout le reste du raisonnement est également faux.

La doxaplus subtile et sophistique de l'ambitieux n'en est pas moins trompeuse : la réalité d'une chose ne dépend pas de soneffet sur les sens, puisque la passion de l'ambitieux est bien plus un fantôme que ne l'est la raison.Enfin, Malebranche, philosophe chrétien, s'attaque à l'adversaire le plus sérieux, qui est un philosophe chrétiencomme lui-même : « Il y a même des personnes de pitié, qui prouvent par raison qu'il faut renoncer a la raison, quece n'est point la lumière mais la foi seule qui doit nous conduire et que L'obéissance aveugle est la principale vertudes chrétiens ».

Cette position philosophique est contredite par Malebranche, car elle va à l'encontre de toute sapropre démarche.

Pour lui, le chrétien ne doit pas renoncer à sa raison et adorer Dieu sans chercher à lecomprendre, ne doit pas renoncer à voir et tout sacrifier à une foi « aveugle », mais au contraire s'efforcer decomprendre les mystères de la création divine et Dieu lui-même.

La pensée du dernier exemple de Malebranche n'estpas, comme celle des deux autres, une pensée dogmatique à réfuter par ses contradictions internes.

Ce sont plutôtses présupposés que Malebranche refuse : l'intelligence est à préférer à l'obéissance, et la « recherche de la vérité» (titre de sa grande entreprise philosophique) à l'adoration mécanique du divin. Conclusion : Dans ce texte, Malebranche montre pourquoi tous les hommes ne sont pas philosophes : parce qu'ils rechignentdevant la pénibilité de l'effort intellectuel, et préfèrent les plaisirs immédiats aux profits durables de l'intelligence.Son argumentation, pour le moins classique, est néanmoins originale en un point, quand il montre le processus demauvaise foi qui permet aux hommes de s'abuser, de refuser la raison au nom de la raison.

Contrairement à cesderniers, c'est la raison que Malebranche veut employer, parce qu'elle seule procure en définitive le bonheur àl'homme, et parce qu'elle seule permet de comprendre et adorer Dieu.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles