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MALEBRANCHE: Un vrai ami ne doit jamais approuver les erreurs de son ami

Publié le 31/03/2005

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malebranche
Un vrai ami ne doit jamais approuver les erreurs de son ami. Car enfin nous devrions considérer que nous leur faisons plus de tort que nous ne pensons, lorsque nous défendons leurs opinions sans discernement. Nos applaudissements ne font que leur enfler le coeur et les confirmer dans leurs erreurs ; ils deviennent incorrigibles ; ils agissent et ils décident enfin comme s'ils étaient devenus infaillibles. D'où vient que les plus riches, les plus puissants, les plus nobles, et généralement tout ceux qui sont élevés au-dessus des autres, se croient fort souvent infaillibles, et qu'ils se comportent comme s'ils avaient beaucoup plus de raison que ceux qui sont d'une condition vile ou médiocre, si ce n'est parce qu'on approuve indifféremment et lâchement toutes leurs pensées ? Ainsi l'approbation que nous donnons à nos amis, leur fait croire peu à peu qu'ils ont plus d'esprit que les autres : ce qui les rend fiers, hardis, imprudents et capables de tomber dans les erreurs les plus grossières sans s'en apercevoir. C'est pour cela que nos ennemis nous rendent souvent un meilleur service, et nous éclairent beaucoup plus l'esprit par leurs oppositions, que ne font nos amis, par leurs approbations. MALEBRANCHE
malebranche

« les « incorrigibles » que Socrate fut condamné, après avoir tenté de se montrer vraiment leur ami en leur révélantleurs erreurs et en les incitant à se remettre à la recherche de la vérité.

Socrate affirme pour sa part qu'il aime par-dessus tout être réfuté, mais se heurte à la vanité de ceux qui demandent seulement qu'on les flatte.Déjà Socrate était allé voir les personnages les plus en vue dans la cité, les détenteurs de l'autorité, pour lesinterroger sur la vérité ; et il avait fait la douloureuse expérience d'une vanité proportionnelle au rang social.Malebranche nous propose ici une interprétation de ce phénomène d'infatuation croissante : il en attribue largementla responsabilité à l'entourage des hauts personnages, à la cour.Qu'est-ce qu'un courtisan ? Un homme qui se prétend l'ami d'un Grand et entend essentiellement bénéficier de saprotection et de ses bienfaits.

Il se procure ces avantages en flattant le désir d'approbation de son protecteur, ens'interposant entre la réalité et lui, en lui offrant un simulacre de réalité conforme à ses désirs.

Freud dira que lapersonnalité adulte se construit par l'apprentissage de la confrontation entre le principe de plaisir et le principe deréalité, qui m'apprend que le monde ne se plie pas spontanément à mes désirs et mes caprices.

Le flatteur prive lehaut personnage de cette confrontation salutaire en lui donnant le confort trompeur d'une réalité entièrementconforme à ce qu'il souhaite.

Le riche sait en son for intérieur qu'il se berce d'illusions, mais redoute la confrontationcruciale d'autant plus que sont abondantes et serviles les flatteries. Malebranche déplace ainsi la différence entre les puissants et les hommes « qui sont d'une condition vile oumédiocre », en montrant que les premiers ne sont pas vraiment plus intelligents que les seconds, et ne les méprisentd'ailleurs pas directement.

Ils se comportent comme s'ils avaient pour eux le plus grand mépris, non pas parce qu'ilscomparent directement leur esprit à celui des classes inférieures, mais parce qu'ils comparent leurs flatteurs auxvrais amis dont peuvent s'entourer les hommes ordinaires.Cette évocation, en renforçant l'idée du caractère collégial de la vérité et de la nécessité de la partager avecautrui, rappelle également que la communication avec autrui requiert souvent du courage.

Celui qui corrige son amise comporte comme un médecin de l'âme : il travaille dans son intérêt, pour son bien, parfois contre son désir, demême que le patient est tenté de renoncer à retrouver la santé pour éviter la douleur de l'opération.

À nouveauc'est l'exemple de Socrate qui s'impose : dans la plupart des dialogues de Platon, Socrate demande pardon à sesinterlocuteurs de les contredire, et tente de les convaincre qu'ils ont tout à gagner à être réfutés ; son « génie»intime lui interdit rigoureusement de garder pour lui une idée vraie, de renoncer à déceler et corriger les erreurs.Revenant à la relation amicale après avoir évoqué les puissants de ce monde, Malebranche souligne le caractèreinsidieux de la flatterie : c'est «peu à peu » que l'on devient imprudent et fier.

Une erreur est vite rectifiée, maisl'illusion s'installe de façon durable parce qu'elle est le fruit de l'habitude.

On retrouve ici Malebranche le cartésien :si le bon sens est la chose au monde la mieux partagée, disait Descartes au début du Discours de la méthode,l'important est de savoir l'utiliser bien.

Nul n'est infaillible, mais plus d'un se croit tel, et le premier mérite de laméthode cartésienne est d'apprendre à remarquer les erreurs.

Se tromper n'est rien si l'on dispose d'un instrumentfiable permettant de détecter et de rectifier les erreurs.

On pourrait opposer ici la «fierté» et la « hardiesse» dontparle Malebranche à propos des puissants vaniteux, à la «résolution» que prône Descartes comme vertu essentielleà l'application de la méthode, laquelle procure un « contentement » modeste à celui qui ne prétend pas être meilleurque les autres mais est en droit de penser qu'il exploite au mieux les facultés dont il dispose.La dernière phrase du texte se présente un peu comme la morale d'une fable : nos ennemis ne sont pas toujoursceux que l'on croit, ceux qui nous font le plus de bien ne sont pas toujours ceux qui nous en souhaitent le plus.

Ceque suggère Malebranche, c'est que la découverte de la vérité passe par un effort de lucidité qui n'est pas toujoursfacile et que bien peu sont capables d'effectuer s'ils ne sont aiguillonnés par autrui.

Malebranche reprend ici à soncompte une des idées qui traversent toute la tradition philosophique depuis Socrate jusqu'à Bachelard ou KarlPopper : le progrès de la connaissance passe souvent par un apport extérieur, celui d'autrui, venant remettre enquestion mes certitudes, et stimulant ma pensée en m'opposant des objections ou des réfutations. Conclusion Au terme de cette étude, nous remarquons que l'aspect essentiel du texte n'est sans doute pas celui qui frappe à lapremière lecture, à savoir un conseil moral pour cultiver l'amitié sur des bases saines.

La pointe réelle du texte portesur la communication dans la recherche de la vérité, sur le caractère indispensable de l'intervention d'autrui d'unpoint de vue critique.

La vérité est commune à tous puisque c'est, selon Malebranche, en Dieu qu'elle réside; maissa recherche également doit être pratiquée de façon collégiale.

En bon cartésien, Malebranche préfigure lacompréhension contemporaine de communauté scientifique fondée sur la communication et la critique mutuelle.. »

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