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Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie

Publié le 06/01/2010

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Nous trouvons bien aussi profondément empreinte en nous la notion de cause ou de force ; mais avant la notion est le sentiment immédiat de la force, et ce sentiment n'est autre que celui de notre existence même dont celui de l'activité est inséparable. Car nous ne pouvons nous connaître comme personnes individuelles, sans nous sentir causes relatives à certains effets ou mouvements produits dans le corps organique. La cause ou force actuellement appliquée à mouvoir les corps est une force agissante que nous appelons volonté : le moi s'identifie complètement avec cette forcé agissante. Mais l'existence de la force n'est un fait pour le moi qu'autant qu'elle s'exerce, et elle ne s'exerce qu'autant qu'elle peut s'appliquer à un terme résistant ou inerte. La force n'est donc déterminée ou actualisée que dans le rapport à son terme d'application, de même que celui-ci n'est déterminé comme résistant ou inerte que dans le rapport à la force actuelle qui le meut, ou tend à lui imprimer le mouvement. Le fait de cette tendance est ce que nous appelons effort ou action voulue ou volition, et je dis que cet effort est le véritable fait primitif du sens intime. Seul, il réunit tous les caractères et remplit toutes les conditions analysées précédemment. Il a le caractère d'un fait, puisque la puissance ou la force qui effectue ou tend à effectuer les mouvements du corps se distingue nécessairement du terme inerte, qui résiste, même en obéissant, et ne peut pas plus se confondre avec lui, en tant qu'elle agit, que s'en séparer absolument pour se concevoir ou se saisir elle-même, hors de tout exercice. Le fait est bien primitif, puisque nous ne pouvons en admettre aucun autre avant lui dans l'ordre de la connaissance, et que nos sens externes eux-mêmes, pour devenir les instruments de nos premières connaissances, des premières idées de sensation, doivent être mis en jeu par la même force individuelle qui crée l'effort. Cet effort primitif est de plus un fait de sens intime ; car il se constate lui-même intérieurement, sans sortir du terme de son application immédiate et sans admettre aucun élément étranger à l'inertie même de nos organes. Il est le plus simple de tous les rapports, puisque toutes nos perceptions ou représentations extérieures s'y réfèrent comme à leur condition primitive essentielle, pendant qu'il n'en suppose aucune autre avant lui et qu'il entre dans toutes comme élément formel ; puisque enfin, le jugement d'extériorité, que plusieurs philosophes ont considéré comme le véritable rapport simple et fondamental, repose sur lui comme sur sa base propre et n'en est lui-même qu'une extension. Enfin il est le seul rapport fixe, invariable, toujours identique à lui-même, puisque n'admettant aucun élément variable, étranger ; il est le résultat constant de l'action d'une seule et même force déployée sur un seul et même terme. (Maine de Biran, Essai sur les fondements de la psychologie.)

MAINE DE BIRAN (Marie François Pierre Gontier de Biran, dit). Philosophe français (1766-1824), qui a exercé des responsabilités politiques. Il a étudié avec soin, par l'introspection, des réalités psychologiques comme l'habitude et surtout l'effort musculaire volontaire, dans lequel il pense percevoir la réalité du moi, s'opposant à la métaphysique de Descartes. Il parvint à une philosophie spiritualiste et finit même par donner à l'Esprit un rôle fondamental.

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« Quoi qu'il en soit, il faut noter que dans notre texte le sentiment d'exister s'identifie au sentiment d'exercer savolonté sur son corps.

La conscience d'être un moi, une « personne », et la conscience d'être une cause libres'identifient dans le « sentiment d'existence ».

Biran écrit : « Mettre la liberté en problème c'est y mettre lesentiment de l'existence ou du moi qui n'en diffère pas, et toute question sur ce point devient frivole par cela mêmequ'on en fait une question.

La liberté, prise dans sa source réelle n'est autre chose que le sentiment de notreactivité ou de ce pouvoir d'agir, de créer l'effort constitutif du moi.

» Tout en reconnaissant que la philosophie deDescartes est la « véritable doctrine mère » parce que le sujet pensant y apprend à se replier sur lui-même, Biransubstitue en quelque sorte au « je pense donc je suis » un « je veux donc je suis ».

Le moi se découvre non commesubstance pensante, mais comme cause agissante.

« Mais l'existence de la force n'est un fait pour le moi qu'autantqu'elle s'exerce et elle ne s'exerce qu'autant qu'elle peut s'appliquer à un terme résistant.

» Il faut analyser ici detrès près la notion de fait psychique selon Maine de Biran.

Un fait n'est rien s'il n'est pas connu.

Un fait supposedonc nécessairement une relation entre le sujet connaissant et un objet distinct de lui.

Condillac avait cru trouver lefait primitif dans la sensation élémentaire ; à partir de la sensation élémentaire il prétendait pouvoir reconstruiretoute la complexité du psychisme.

Supposez, disait-il une statue, vide de tout psychisme, passive, et seulementréceptrice de sensations externes.

Faites-lui respirer le parfum d'une rose.

Si cette sensation est la seule vous avezdéjà l'attention.

Si vous retirez la rose, vous obtenez le souvenir.

Les plus hautes fonctions de la vie mentale nesont que des « sensations transformées ».

A partir des données des cinq sens et par un système de transformationsanalogue à celles de l'algèbre vous obtenez finalement un total qui est l'esprit humain lui-même.

C'est là, réduire lagenèse du psychisme à un système logique.

Mais voici l'objection de Biran au système de Condillac : S'il n'y a quedes sensations, composées, transformées, complexifiées, comment expliquer la conscience que nous prenons denous-mêmes ? Comment rendre compte de ce « retour qui constitue dans nos modifications une personne individuelle un sujetidentique capable de les apercevoir sans les devenir »? Comment puis-je distinguer en moi ce qui a conscience et cedont il y a conscience? Par quel processus le moi se distingue-t-il de ses états, de telle sorte qu'il « sent qu'il sent», et que par là les faits psychiques sont des faits conscients ? Des sensations transformées et combinées ne fontpas un moi.

Le moi n'émerge de l'inconscience affective que parce que le sujet s'oppose à l'objet.

Nous ne pouvonsdire « moi »que parce que le moi s'oppose à une résistance et se réfléchit grâce à cette opposition.

Le moi se saisitdans l'expérience intime d'une relation, d'une dualité : une relation entre la force de ma volonté et la résistancequ'elle rencontre.

Le fait primitif c'est une relation : La force qui définit ma liberté ne se connaît comme telle qu'ens'appliquant à une résistance. «...

Je dis que l'effort est le véritable fait primitif du sens intime.

» La dualité originaire par laquelle le moi s'affirmeen s'opposant à un terme résistant se révèle dans l'effort musculaire.

Par exemple je soulève cette chaise à brastendu.

Bien vite j'ai mal au bras.

Et pourtant je peux, si je veux, continuer mon effort ; je ne suis pas seulement cecorps crispé et douloureux, je suis aussi cette volonté supérieure au corps, « hyperorganique », qui poursuit soneffort malgré la douleur.

Bien entendu le sentiment du moi n'exige pas pour apparaître que j'accomplisse à toutmoment ces efforts particuliers qui font naître des contractions musculaires au sein de mes divers organes.

Maconscience d'exister — qui est conscience de vouloir — n'a besoin que de cet « effort général » qui constitue «l'état de veille » et qui met en « tension » l'ensemble de mon organisme.« ...

Cet effort primitif se constate lui-même intérieurement sans sortir du terme de son application immédiate etsans admettre aucun élément étranger à l'inertie même de nos organes...

» Nous avons vu que le moi de Birans'aperçoit dans un effort contre une résistance et — un peu comme chez Fichte — se pose en s'opposant.

Maisprenons bien garde que la résistance dont il s'agit n'est pas celle du monde extérieur.

Ce n'est pas l'intérieur quis'oppose à l'extérieur.

C'est plutôt l'actif qui s'oppose à l'inerte.

Et les deux termes de la relation restent intérieurs.Dans l'expérience de l'effort musculaire le moi ne s'oppose à rien d'autre qu'à son « corps propre ».

Le termerésistant n'est pas tel ou tel corps extérieur, mais toujours mon corps propre qui m'est immédiatement donné dans lesentiment confus de mon « étendue intérieure ».

Même si je ne parviens pas à soulever les haltères du sol, jecontracte mes muscles, je triomphe de mon inertie.

En ce sens tout effort, quel qu'il soit, est une victoire sur moncorps propre.«...

Cet effort primitif...

est le plus simple de tous les rapports.

» Toute recherche philosophique remonte deconditionné en conditionné à un principe originaire qui est la condition de tout le reste et qui n'est lui-mêmesubordonné à aucune condition.

Toute recherche philosophique veut découvrir ce que Platon appelait le principe «anhypothétique », ce que les Allemands dénomment « grund », c'est-à-dire un fondement premier.

Chez Maine deBiran ce fondement premier est donné non comme un principe abstrait posé par raisonnement mais comme un faitd'expérience intérieure ; c'est le moi, la personne elle-même, visible avec ses caractères propres de causalitévolontaire, dans l'expérience de l'effort musculaire.

C'est un fait primitif puisque les sensations externes (danslesquelles, bien à tort Condillac voyait la source du psychisme) « doivent être mises en jeu par la même forceindividuelle qui crée l'effort ».

Toutes les spéculations sur la causalité dans la nature supposent d'autre part, pourêtre comprises, cette expérience première de la causalité qui est en nous.

Telle est l'expérience intérieureirrécusable, de portée authentiquement « nouménale » qui est le fondement premier si- souvent vainementrecherché par la spéculation philosophique. c) Conclusion Le sentiment douloureux de l'effort où Malebranche et Hume avaient cru lire la preuve de notre faiblesse et de notrefinitude est donc pour Maine de Biran le signe irrécusable de notre liberté, de la présence en nous d'un pouvoir «hyperorganique » qui nous constitue comme personne.

Certes, il y a dans l'effort' une douleur qui, si nous laconsidérons à part n'est pas différente de toute autre sensation purement subie, provoquée en moi par un objet. »

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