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MACHIAVEL: Le Prince face à la Fortune et la Vertu

Publié le 31/03/2005

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machiavel
Je n'ignore pas cette croyance fort répandue : les affaires de ce monde sont gouvernées par la fortune et par Dieu ; les hommes ne peuvent rien y changer si grande soit leur sagesse ; il n'existe même aucune sorte de remède ; par conséquent il est tout à fait inutile de suer sang et eau à vouloir les corriger, et il vaut mieux s'abandonner au sort. Opinion qui a gagné du poids en notre temps, à cause des grands bouleversements auxquels on assiste chaque jour, et que nul n'aurait jamais pu prévoir. Si bien qu'en y réfléchissant moi-même, il m'arrive parfois de l'accepter. Cependant, comme notre libre arbitre ne peut disparaître, j'en viens à croire que la fortune est maîtresse de la moitié de nos actions, mais qu'elle nous abandonne à peu près l'autre moitié. Je la vois pareille à une rivière torrentueuse qui dans sa fureur inonde les plaines, emporte les arbres et les maisons, arrache la terre d'un côté, la dépose de l'autre ; chacun fuit devant elle, chacun cède à son assaut, sans pouvoir dresser aucun obstacle. Et bien que sa nature soit telle, il n'empêche que les hommes, le calme revenu, peuvent prendre certaines dispositions, construire des digues et des remparts, en sorte que la nouvelle crue s'évacuera par un canal ou causera des ravages moindres. Il en est de même de la fortune : elle fait la démonstration de sa puissance là où aucune vertu ne s'est préparée à lui résister ; elle tourne ses assauts où elle sait que nul obstacle n'a été construit, pour lui tenir tête. MACHIAVEL

Cet extrait du Prince (début du chapitre XXV), ouvrage publié à Florence en 1513, expose une idée centrale de Machiavel, idée qui éclaire l'ensemble de sa pensée. Deux concepts essentiels doivent d'abord être compris : — La fortune, comme le contexte suffit à le montrer, c'est le hasard, heureux ou malheureux, les circonstances imprévisibles, aveugles. Considérée comme une force inflexible devant laquelle l'opinion s'incline, la fortune est identifiée au Fatum, au destin. Mais la vertu de l'homme parvient à en limiter les effets ; elle n'est donc pas la fatalité qu'on croyait. — La vertu, dont il est question à la fin du texte, traduit l'italien virtu. Ce mot n'a pas du tout le sens moral de la vertu vertueuse ; il contient l'idée d'une force, d'une énergie, d'une résolution, d'un talent qui permettent d'acquérir une relative autonomie (cf. « libre arbitre «) face aux événements. Machiavel cherche à dégager les lois qui ont permis à certains hommes, animés d'une certaine « vertu «, de conquérir et de conserver le pouvoir dans des circonstances (une « fortune «) particulières. Le « machiavélisme «, cette politique qui privilégie exclusivement l'efficacité et ne considère pas la valeur morale des moyens, n'est donc qu'un aspect limité de la pensée de Machiavel ; il n'a de sens que pour expliquer l'étonnante réussite de certains hommes politiques, qui sont parvenus à fonder une principauté dans des circonstances difficiles. Machiavel pense d'abord à l'Italie déchirée de son siècle; il espère qu'un « rédempteur «, un grand homme, à la vertu adaptée aux caractères de la fortune de l'époque, délivrera son pays des « barbares «, c'est-à-dire instaurera un État stable, où les questions morales pourront enfin être abordées.

 

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« éléments d'explication Cet extrait du Prince (début du chapitre XXV), ouvrage publié à Florence en 1513, expose une idée centrale deMachiavel, idée qui éclaire l'ensemble de sa pensée.Deux concepts essentiels doivent d'abord être compris : — La fortune, comme le contexte suffit à le montrer, c'estle hasard, heureux ou malheureux, les circonstances imprévisibles, aveugles.

Considérée comme une force inflexibledevant laquelle l'opinion s'incline, la fortune est identifiée au Fatum, au destin.

Mais la vertu de l'homme parvient àen limiter les effets ; elle n'est donc pas la fatalité qu'on croyait.— La vertu, dont il est question à la fin du texte, traduit l'italien virtu.

Ce mot n'a pas du tout le sens moral de lavertu vertueuse ; il contient l'idée d'une force, d'une énergie, d'une résolution, d'un talent qui permettent d'acquérirune relative autonomie (cf.

« libre arbitre ») face aux événements.

Machiavel cherche à dégager les lois qui ontpermis à certains hommes, animés d'une certaine « vertu », de conquérir et de conserver le pouvoir dans descirconstances (une « fortune ») particulières.

Le « machiavélisme », cette politique qui privilégie exclusivementl'efficacité et ne considère pas la valeur morale des moyens, n'est donc qu'un aspect limité de la pensée deMachiavel ; il n'a de sens que pour expliquer l'étonnante réussite de certains hommes politiques, qui sont parvenus àfonder une principauté dans des circonstances difficiles.

Machiavel pense d'abord à l'Italie déchirée de son siècle; ilespère qu'un « rédempteur », un grand homme, à la vertu adaptée aux caractères de la fortune de l'époque,délivrera son pays des « barbares », c'est-à-dire instaurera un État stable, où les questions morales pourront enfinêtre abordées. C'est au chapitre 25 du « Prince » : « Ce que la fortune peut dans les choses humaines et comment on peut lui résister », que l'on retrouve la formule : « il est meilleur d'être impétueux que circonspect, car la fortune est femme, et il est nécessaire à qui veut la soumettre de la battre et la rudoyer ». Machiavel utilise le terme fortune dans son sens traditionnel de puissance aveugle, régie par le hasard, qui dispose du cours du monde et de la vie des hommes.

Il s'agit donc de s'interroger sur ce que peut l'homme et plusprécisément l'homme politique confronté à la prétendue fortune. Le chapitre 25 débute de la sorte : « Je n'ignore pas que beaucoup ont été et sont dans l'opinion que les choses du monde soient de telle sorte gouvernées par la fortune et par les dieux, que les hommes avec leur sagessene puissent les corriger (…) Cette opinion a été plus en crédit de notre temps à cause des grands changementsqu'on a vus et voit chaque jour dans les choses, en dehors de toute conjecture humaine. » Cette opinion commune, alimentée par les malheurs du temps, l'instabilité politique propre à l'Italie de laRenaissance, amène à une sorte de désespoir.

L'action humaine serait vaine et réduite à l'impuissance face à laProvidence et à ses desseins impénétrables (la Providence répond à cette idée que le cours de l'histoire est régi parla volonté divine) ou encore face à la puissance aveugle et hasardeuse de la fortune.

Or cette conception ruineraittoute tentative machiavélienne et plus radicalement tout essai de penser l'action politique et ses conditions. Ce chapitre s'inscrit donc au cœur de deux préoccupations propres à Machiavel .

D'une part il s'agit comme dans tout le « Prince » de proposer les conditions d'une action politique efficace, et d'une stabilité politique qui faitcruellement défaut à l'Italie.

D'autre part, Machiavel balaye toute différence entre histoire sacrée et histoire profane : ainsi comme il avait précédemment éliminé toute différence essentielle entre un législateur sacré commeMoise et un législateur profane, comme Thèsée ou Lycurgue , Machiavel place-t-il ici la Providence et la Fortune sur le même plan. La formule ici éclaire le double projet de Machiavel dans notre passage. Il s'agit tout d'abord de récuser la notion de hasard pour restaurer les droits de l'action politique efficace.

Ainsi lit-onque l'on peut soumettre la fortune, qui n'est donc qu'une puissance imaginaire.

Elle n'est pas une puissanceimpossible à maîtriser qui s'imposerait à nous malgré nos actes et nos volontés, un destin, mais quelque chose quenous pouvons diriger. Mais d'autre part, l'idée de l'audace nécessaire à l'action politique, les notions de lutte et de violence tendent àmontrer qu'il n'y a pas de modèle précis de l'action politique, que celle-ci contient toujours une part irréductibled'aventure, de risque. Aussi Machiavel se bat-il sur deux fronts ; : contre l'idée irrationnelle de fortune ou de destin qui pousse au désespoir et contre l'illusion inverse d'une possibilité de totale maîtrise de l'action. Pour remplir son premier objectif, Machiavel compare la fortune aux fleuves en crue « qui, lorsqu'ils se courroucent, inondent les plaines, renversent les arbres et les édifices […] chacun fuit devant eux, tout le monde cède à leurfureur ».

La métaphore rend bien compte de l'idée d'une force naturelle déchaînée et irrésistible, devant laquelle il est vain de lutter.

Mais : « il n'en reste pas moins que les hommes, quand les temps sont calmes, y peuvent pourvoir par digues et par levées. » Autrement dit l'idée de fortune n'est qu'une illusion résultant de l'imprévoyance des hommes.

De même qu'on ne peutprévoir le moment et la force de la crue, mais qu'on sait qu'elle peut avoir lieu et donc prévoir et aménager l'avenirpour rendre cette crue inoffensive, de même les risques politiques sont prévisibles et aménageables.. »

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