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L'Orient et la philosophie

Publié le 22/02/2012

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Cette immense littérature pensante, qui exigerait à elle seule un volume, fait-elle vraiment partie de la " philosophie " ? Est-il possible de la confronter avec ce que l'Occident a appelé de ce nom ? La vérité n'y est pas comprise comme l'horizon d'une série indéfinie de recherches, ni comme conquête et possession intellectuelle de l'être. C'est plutôt un trésor épars dans la vie humaine avant toute philosophie, et indivis entre les doctrines. La pensée ne se sent pas chargée de pousser plus loin les tentatives anciennes, ni même d'opter entre elles, et encore moins de les dépasser vraiment en formant une nouvelle idée de l'ensemble. Elle se donne comme commentaire et syncrétisme, écho et conciliation. L'ancien et le nouveau, les doctrines opposées font bloc, et le lecteur profane ne voit pas qu'il y ait là de l'acquis ni du révolu ; il se sent dans un monde magique où rien n'est jamais fini, où les pensées mortes persistent, et où celles qu'on croyait incompatibles se mélangent.
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« qui a inventé de " dépasser " l'Orient en le " comprenant " ; c'est lui qui a opposé à l'Orient l'idée occidentale de lavérité, celle du concept comme reprise totale du monde dans sa variété, et a défini l'Orient comme un échec dans lamême entreprise.

Il vaut la peine de rappeler les termes de la condamnation avant de décider si nous pouvons laprendre à notre compte. La pensée de l'Orient est bien, pour Hegel, philosophie, en ce sens que l'esprit y apprend à se dégager del'apparence et de la vanité.

Mais, comme beaucoup d'autres bizarreries du monde humain, comme les Pyramides, ellen'est que philosophie en soi, c'est-à-dire que le philosophe y lit l'annonce de l'esprit, qui n'y est pas dans son étatde conscience ou de pureté.

Car l'esprit n'est pas encore esprit tant qu'il est séparé, posé au-dessus desapparences : cette pensée abstraite a pour contrepartie le foisonnement des apparences non dominées.

D'un côtédonc, on a une intuition " qui ne voit rien ", une pensée " qui ne pense rien ", l'un incorporel, la substance éternelle,calme, immense, un recueillement incomparable, le nom mystique de Dieu, la syllabe om, indéfiniment murmuré c'est-à-dire l'inconscience et le vide.

Et, d'autre part, une masse de détails absurdes, des cérémonies saugrenues, desinventaires infinis, des énumérations démesurées, une technique rusée du corps, de la respiration et des sens, donton attend n'importe quoi, la divination des pensées d'autrui, la force de l'éléphant, le courage du lion et la vitesse duvent.

Chez les fakirs comme chez les cyniques de la Grèce et chez les moines mendiants du christianisme on trouveune " profonde abstraction des rapports extérieurs ", mais elle-même provocante, voyante, pittoresque.

Nulle part iln'y a médiation, ou passage du dedans vers le dehors et retour en soi du dehors.

L'Inde ignore " le rayonnement dela notion dans le fini " et c'est pourquoi ce pressentiment de l'esprit se termine en " puérilité " (Hegel, Histoire de laPhilosophie). La Chine, elle, a une histoire ; elle distingue la barbarie de la culture et progresse délibérément de l'une à l'autre,mais c'est " une culture qui se stabilise à l'intérieur de son principe " et qui ne se développe pas au-delà.

A un autreniveau que l'Inde, elle maintient le tête-à-tête immédiat et paralysant de l'intérieur et de l'extérieur, de l'universel etd'une sagesse prosaïque, et on la voit chercher le secret du monde dans une écaille de tortue, pratiquer un droitformaliste et sans critique morale.

" Il ne viendra jamais à l'esprit d'un Européen de placer si près de l'abstraction leschoses sensibles " (Hegel, Histoire de la Philosophie).

La pensée glisse sans profit de l'abstraction au sensible, etpendant ce temps ne devient pas, ne mûrit pas. Ne disons pas même, ajoute Hegel, que la pensée orientale est religion : elle est aussi étrangère à la religion dansnotre sens qu'à la philosophie, et pour les mêmes raisons.

La religion de l'Occident suppose " le principe de la libertéet de l'individualité " ; elle a passé par l'expérience de la " subjectivité réfléchissante ", de l'esprit au travail sur lemonde.

L'Occident a appris que c'est la même chose pour l'esprit de se saisir et de sortir de soi, de se faire et de senier.

La pensée orientale ne soupçonne pas même cette négation qui réalise ; elle est hors des prises de noscatégories, ni théisme, ni athéisme, ni religion, ni philosophie.

Brahma, Vichnou, Çiva ne sont pas des individus, ni lechiffre et l'emblème de situations humaines fondamentales, et ce que l'Inde raconte d'eux n'a pas la puissance designification inépuisable des mythes grecs ou des paraboles chrétiennes.

Ce sont presque des entités ou desphilosophèmes, et les Chinois se flattent d'avoir la civilisation la moins religieuse et la plus philosophique qui soit.

Enfait, elle n'est pas plus philosophique que religieuse, faute de connaître le travail de l'esprit au contact du mondeimmédiat.

La pensée de l'Orient est donc originale : elle ne se livre à nous que si nous oublions les formes terminalesde notre culture.

Mais nous avons de quoi la comprendre dans notre passé individuel ou collectif ; elle réside dans larégion indécise où il n'y a pas encore religion et pas encore philosophie ; elle est l'impasse de l'esprit immédiat quenous avons su éviter.

C'est ainsi que Hegel la dépasse en l'incorporant, comme pensée aberrante ou atypique, auvrai devenir de l'esprit. Ces vues de Hegel sont partout : quand on définit l'Occident par l'invention de la science ou par celle ducapitalisme, c'est toujours de lui qu'on s'inspire : car le capitalisme et la science ne peuvent définir une civilisationque quand on les comprend comme " ascèse dans le monde " ou " travail du négatif ", et le reproche qu'on fait àl'Orient est toujours de les avoir ignorés. Le problème est donc en pleine clarté : Hegel et ceux qui le suivent ne reconnaissent à la pensée orientale dedignité philosophique qu'en la traitant comme une lointaine approximation du concept.

Notre idée du savoir est siexigeante qu'elle met tout autre type de pensée dans l'alternative de se soumettre comme première esquisse duconcept, ou de se disqualifier comme irrationnelle.

Or ce savoir absolu, cet universel concret dont l'Orient s'estfermé le chemin, la question est de savoir si nous pouvons, comme Hegel, y prétendre.

Si nous ne l'avons paseffectivement, c'est toute notre évaluation des autres cultures qu'il faut revoir. Même à la fin de sa carrière, quand justement il expose la crise du savoir occidental, Husserl écrit que " la Chine...l'Inde...

sont des spécimens empiriques ou anthropologiques ".

Il paraît donc reprendre le chemin de Hegel.

Mais s'ilgarde son privilège à la philosophie occidentale, ce n'est pas en vertu d'un droit qu'elle aurait, et comme si ellepossédait dans une évidence absolue les principes de toute culture possible c'est au nom d'un fait, et pour luiassigner une tâche.

Husserl a admis que toute pensée fait partie d'un ensemble historique ou d'un " monde vécu " ;en principe donc, elles sont toutes des " spécimens anthropologiques ", et aucune n'a de droits particuliers.

Il admetaussi que les cultures dites primitives jouent un rôle important dans l'exploration du " monde vécu ", en nous offrantdes variations de ce monde sans lesquelles nous resterions englués dans nos préjugés et ne verrions pas même lesens de notre propre vie.

Mais il reste ce fait, justement, que l'Occident a inventé une idée de la vérité qui l'obligeet qui l'autorise à comprendre les autres cultures, et donc à les récupérer comme moments d'une vérité totale.

Enfait, il y a eu ce retournement miraculeux d'une formation historique sur elle-même, par lequel la pensée occidentalea émergé de sa particularité et de sa " localité ".

Présomption, intention qui attendent encore leur accomplissement.. »

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